Les retombées nucléaires d’une possible détente entre Trump et Poutine

Mariana Budjeryn et Andreas Umland

Jusqu’à présent, la future politique de Trump à l’égard de la Russie demeure un mystère.
Veut-il initier un rapprochement entre les États-Unis et la Russie ? Dans ce cas, les sanctions contre la Russie seront de plus en plus difficiles à maintenir.
Dans le pire des cas, l’équipe de Trump pourrait juger que la sécurité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine sont un obstacle potentiel à l’amélioration des relations avec Poutine.

Si cette option est retenue, l’administration américaine devrait se souvenir que les relations internationales ne sont pas un ensemble de relations bilatérales mais un maillage similaire à une toile d’araignée et qu’une traction d’un côté déclenche un mouvement sur les autres côtés les plus éloignés. Le réseau dans lequel l’Ukraine est impliquée est le Traité de Non-Prolifération Nucléaire, l’un des traités comportant le plus de pays adhérents dans le monde, et destiné à freiner la prolifération des armes nucléaires.

En 1994, l’Ukraine a rejoint ce réseau comme État non nucléaire, une décision impliquant l’abandon de ce qui était alors la troisième force de frappe nucléaire dans le monde.

Ce mouvement constructif avait un prix : les États-Unis, la Russie et le Royaume-Uni
s’engageaient à assurer la sécurité de l’Ukraine par un mémorandum signé à Budapest, en Hongrie, le 5 décembre 1994, et dès lors appelé Mémorandum de Budapest. Il était destiné à empêcher précisément ce qui s’est passé en Crimée en 2014. Le non-respect par l’un des signataires a déjà causé suffisamment de dommages. L’abandon des sanctions prises suite à l’action de la Russie contre l’Ukraine ôterait définitivement toute valeur à ce traité et serait un signe dévastateur pour la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, dont ce Mémorandum est devenu une pierre angulaire.

Le Mémorandum de Budapest est certainement imparfait. C’est un accord diplomatique officialisant des engagements politiques et non un traité légalement contraignant, bien que le gouvernement américain ait rappelé à l’Ukraine qu’il prenait ces engagements au sérieux. Le mémorandum ne contient pas non plus de sanctions en cas de non-respect. Les parties signataires s’accordent simplement à se consulter si une situation se produisait relative aux engagements pris par les signataires. L’esprit de ce mémorandum n’était pas de fournir de nouvelles garanties ou des garanties particulièrement renforcées mais de souligner que le respect de ces engagements de démilitarisation nucléaire par l’Ukraine et son accession au Traité de Non-Prolifération faisaient partie intégrante de la lutte de la communauté internationale contre la prolifération nucléaire.

Le non-respect par la Russie du Mémorandum de Budapest affaiblit la raison d’être de cette communauté luttant contre la prolifération. Le Traité de Non-Prolifération est par nature discriminatoire : il légitimise la possession d’armes nucléaires par seulement cinq États qui sont également les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations-Unies mais exige l’abstention des autres membres signataires de posséder des armes nucléaires. La reconnaissance de ce statut exceptionnel pour les cinq membres officiels du club nucléaire leur impose spécifiquement de ne pas abuser de ce statut à leur avantage au risque d’éroder la légitimité de cet accord avantageux au sein même du Traité de Non-Prolifération. Les cinq puissances nucléaires historiques sont déjà sous le feu des critiques croissantes des signataires non-nucléaires du TNP pour leurs efforts insuffisants à conduire un désarmement nucléaire, comme le club des cinq puissances s’y était engagé en vertu du TNP. Cette frustration s’est accumulée pendant la décennie écoulée au point de susciter un mouvement demandant l’abandon total des armes nucléaires.

Qu’un État membre du TNP disposant d’armes nucléaires utilise la force pour annexer une partie du territoire d’un autre État dénucléarisé membre du TNP, tout en bloquant l’assistance à cet état envahi par les signataires occidentaux en utilisant la menace de ses armes nucléaires, aura un effet dévastateur sur l’effort international visant à réduire la prolifération des armes de destruction massive dans le monde.

Une telle action ridiculise la communauté internationale luttant pour réduire la prolifération de telles armes à laquelle l’Ukraine a adhéré sous la condition qu’une telle agression ne puisse se produire. C’était une décision qui impliquait non pas l’abandon d’un hypothétique droit à développer de telles armes mais la remise physique d’un formidable arsenal existant à la Russie !

Jusqu’à ce jour, la réponse des États-Unis a été largement conforme à son statut de membre fondateur du TNP et aux engagements politiques de 1994 envers l’Ukraine. Les États-Unis ainsi ont lancé les consultations prévues par le Mémorandum de Budapest et ont condamné sans équivoque l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine. L’administration Obama a prononcé des sanctions contre la Russie et a fourni à l’Ukraine un appui militaire sous forme d’instructeurs et d’équipement militaire non létal, même si cela reste limité et très modeste. Clairement, il est cependant significatif que les officiels américains responsables des négociations ayant abouti au Mémorandum de Budapest soient apparus comme les plus ardents défenseurs d’une assistance militaire plus significative, incluant des armes défensives létales, ce à quoi l’administration Obama s’est refusée.

Si la Maison Blanche abandonne maintenant implicitement ses engagements relatifs à la sécurité de l’Ukraine, elle enverra un message inquiétant à tous les États, amis ou ennemis, désireux de se doter d’armes nucléaires en dehors du contrôle du TNP. Les États-Unis annonceraient ainsi que les engagements d’une grande puissance n’ont aucune valeur. La nouvelle administration américaine mise en place par Donald Trump doit garder à l’esprit qu’une façon de rendre l’Amérique grande (de nouveau) est d’honorer les engagements pris et d’être du bon côté de la lutte active contre la prolifération des armes nucléaires.


Andreas Umland est directeur de recherches à l’Institute for Euro-Atlantic Cooperation à Kyiv, éditeur responsable de la série d’ouvrages Soviet and Post-Soviet Politics and Society, consultant au Journal of Soviet and Post-Soviet Politics and Society, distribués hors d’Europe par Columbia University Press. 

Mariana Budjeryn est membre de Stanton Nuclear Security Fellow à l’école Kennedy de Harvard, Belfer Center. Ses recherches concernent la non-prolifération internationale des armes nucléaires et la politique de désarmement nucléaire de l’Ukraine, du Bélarus et du Kazakhstan après l’effondrement de l’Union Soviétique. Les vues exprimées sont celles de l’auteur.

Une version étendue et plus détaillée de cet article est publiée sur le site internet de la Harvard International Review
Edmond Huet, qui a traduit cet article en français, est un expert de l’armement qui a participé aux travaux du Science and Technology Center of Ukraine dans le cadre d’un think tank reportant à l’administration présidentielle sur la mise en place en Ukraine d’une production de munitions pour armes légères. Vivant à Kyiv depuis trois ans, il s’exprime souvent dans les médias ukrainiens et étrangers.