Régis Genté: «Comprendre les avantages et les inconvénients des réformes géorgiennes est important pour l’Ukraine»

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À Kiev, le 08 juillet 2015  – A présent que Mikheïl Saakachvili est gouverneur de la région d’Odessa, en Ukraine, nous voyons que la compréhension de ce que furent les réformes géorgiennes, avec leurs côtés positifs et négatifs, est importante pour l’Ukraine. « J’ai rencontré M. Saakachvili il y a deux jours à Odessa, et pour moi, il est clair qu’il a une idée précise de ce qu’il veut faire», a déclaré Régis Genté, journaliste français, auteur des livres «Poutine et le Caucase» et «Voyage au pays des abkhazes», lors d’une conférence de presse à l’Ukraine Crisis Média Center.

Régis Genté, qui s’est installé en Géorgie en 2002, lorsque Edouard Chevardnadze était encore au pouvoir, a souligné que les réformes de Saakachvili avaient réussi à éra    diquer la corruption colossale de la Géorgie post-soviétique. Le succès de la réforme du pays a été la suite réussie de la «Révolution des roses».

«Je tiens à souligner que les réformes en Géorgie ont été vraiment réussies, car dans la Géorgie d’aujourd’hui, il n’y a vraiment plus de corruption. Après l’arrivée au pouvoir de M. Saakachvili, je n’ai jamais plus vu un policier accepter un pot de vin ou commettre tout autre acte de corruption». Le journaliste explique le succès de ces réformes par l’existence d’une véritable volonté politique, extrêmement forte. « Les réformes géorgiennes ont été réussies grâce à la volonté politique. On ne faisait pas semblant de réaliser des réformes, elles concernaient tout le monde, même les personnes défavorisées, comme les Africains immigrés qui me disaient qu’ils n’avaient jamais eu le moindre problème, s’ils n’enfreignaient pas la loi, comme j’ai pu le constater à l’occasion d’un reportage par exemple», a souligné Régis Genté.

Parallèlement, l’auteur de «Poutine et le Caucase» a détaillé les points faibles du gouvernement de Saakachvili et les raisons pour lesquelles ce dernier a perdu les élections parlementaires de 2012 et présidentielle de 2013. Actuellement, son parti politique ne bénéficie plus que de 20% du soutien auprès du peuple géorgien.

Selon le journaliste, il y a cinq raisons principales pour lesquelles Saakachvili a perdu le pouvoir.

En premier lieu, Saakachvili a  perdu des élections transparentes et démocratiques. Et cela est aussi le résultat positif de sa politique. Dans les pays démocratiques, les électeurs soutiennent souvent les changements de pouvoir. Dans l’exercice de la liberté d’expression, les citoyens changent souvent d’opinion, même si c’est juste par goût du changement et dans l’espoir d’une vie meilleure, quels que soient les succès du gouvernement sortant, explique le journaliste en substance.

La deuxième raison de l’insatisfaction vis-à-vis du gouvernement de Saakachvili vient d’un fait qu’un grand nombre de fonctionnaires géorgiens ont été licenciés après 2004. «Par exemple, à l’époque, il y avait plus de 70 000 fonctionnaires qui travaillaient au Ministère des Affaires Intérieures, soit deux fois plus que nécessaire. Le régime de Chevardnadze les gardait pour se protéger, au cas où. Plus de la moitié de ces policiers et officiers se sont retrouvés sans travail, et ont donc été mécontents du gouvernement de Saakachvili », a souligné Régis Genté.

La troisième raison pour laquelle Saakachvili a perdu le pouvoir réside dans la diffusion des vidéos exposant les faits d’abus de pouvoir par la police dans les prisons géorgiennes. «Je ne dirais pas qu’il s’agissait des tortures, mais ces vidéos montraient de réel abus », a précisé Régis Genté. «Cela a ébranlé la confiance en Saakachvili, car les électeurs ont vu la divergence entre les déclarations sur les succès démocratiques supposés, faites par Saakachvili et ses équipes, et la réalité, c’est-à-dire la violation des droits de l’homme à l’égard des prisonniers. Les gens ont considéré cela comme une pratique post-soviétique de doubles standards». D’autant que la situation dans les médias ou quant à l’indépendance de la justice étaient aussi loin de l’image donnée.

La quatrième raison est économique. Il n’y avait pas plus de corruption et de bureaucratie dans le pays, tous les obstacles à l’afflux d’investissements ont été enlevés, mais le gouvernement n’a pas réussi à véritablement créer une dynamique créatrice d’emplois. Peut-être aussi parce qu’il a trop misé sur l’idéologie libérale de l’autorégulation du marché. Les Géorgiens ont continué à quitter le pays au cours du règne de  Saakachvili en raison de l’absence d’emplois.

La cinquième raison de la défaite de Saakachvili est la guerre de 2008. Certaines personnes estiment que cette guerre a eu lieu en raison de l’attitude supposée provocatrice de Saakachvili vis-à-vis de la Russie. L’histoire récente de la Crimée prouve que ce n’était pas la question… Quoi qu’il en soit, ceux qui en Géorgie estiment que M. Saakachvili a une responsabilité dans la guerre de 2008 sont assez minoritaires dans son pays et cette question n’a pas joué un rôle crucial dans ses défaites électorales.

En résumant, le journaliste a souligné que le principal problème de Saakachvili était le fait qu’il essayait de briser le cercle vicieux de la corruption dans la société dans un contexte où peu de forces sociales ou politiques se sont opposées à lui, pour le modérer, le critiquer. D’où les libertés prises parfois avec les principes démocratiques. M. Saakachvili lui avait le sentiment qu’il fallait aller vite, notamment à cause de la pression de la Russie, et que dans un premier temps il fallait mettre ces principes de côté. «Malheureusement, Saakachvili n’avait pas de véritable opposition non plus. Tous les membres actifs du secteur public qui ont lutté contre Chevardnadze, sont devenus ministres et députés sous Saakachvili. Donc, il n’y avait plus personne pour critiquer ses erreurs».

La révolution en Géorgie a été menée de front par un petit groupe de personnes, donc en comparaison avec la Géorgie, l’Ukraine a ses chances. La révolution en Ukraine a été réalisée par le peuple, par Maïdan. L’initiative des changements vient d’en bas et les transformations de la société civile jouent un rôle important.

« En Ukraine, les changements ne viennent pas des élites, mais du peuple ukrainien. Et c’est probablement là une véritable chance pour l’Ukraine », a résumé Régis Genté.