Par Andrey Piontkovski, essayiste et politologue russe
Le Président français a annoncé que la France était en état de guerre. Ces paroles doivent être suivies de décisions graves. L’agresseur est bien connu : il s’agit de l’Etat islamique ou DAECH, un état criminel autoproclamé qui contrôle un territoire bien défini, en Syrie et en Irak, deux pays complètement déstabilisés. La France et ses alliés de l’OTAN doivent faire face à un défi lancé ouvertement non seulement à la France, mais aussi à toute la civilisation occidentale; ils doivent pénétrer sur le territoire contrôlé par DAECH, détruire ses infrastructures, liquider ou capturer et envoyer devant le Tribunal ses dirigeants et tous les coupables de crimes contre l’humanité.
Cette décision est difficile à prendre. Des militaires occidentaux périront certainement, surtout lors des opérations au sol. Il y aura inévitablement des dommages collatéraux : des victimes parmi les civils. D’autres attentats auront probablement lieu. Le problème de la terreur islamique ne disparaîtra pas avec la liquidation de DAECH. Cette idée perverse et faussement religieuse de la destruction de la civilisation occidentale inspirera sûrement d’autres fanatiques. Tout cela est vrai.
Mais si l’Occident ne répond pas à ce défi lancé par l’État Islamique, il cessera définitivement, malgré toute sa puissance économique et militaire, d’être un sujet de politique internationale et d’autres acteurs décideront de son sort.
Examinons maintenant la position de la Russie de Poutine. Sans même avoir eu la décence de laisser passer un peu de temps après la tragédie, la propagande du Kremlin a annoncé au monde entier, avec enthousiasme, comment elle comptait utiliser ce carnage pour atteindre ses propres objectifs. Et c’est Sergei Markov, politologue et député du Parlement russe, qui a exposé le plus ouvertement les plans du Kremlin:
« Il faut immédiatement renforcer la sécurité à Moscou.
La Russie, les États-Unis et la France doivent ensemble écraser l’État Islamique en Syrie, en Irak et au Liban.
Il faut cesser de suite le conflit, dont la cause est l’Ukraine, entre la Russie et l’Occident. Il faut remplacer la junte de Kiev par un gouvernement «technique», apporter des amendements à la Constitution, dégager les néo-nazis et organiser de nouvelles élections libres. La junte de Kiev est un des obstacles principaux à la lutte commune des États-Unis, de l’UE et de la Russie contre les terroristes».
Pour résumer, demain, lors de la réunion du G20, « l’homme le plus puissant du monde » proposera à l’Occident «son aide» pour affronter DAECH, dans les meilleures traditions de la «coalition anti-hitlérienne». Et il demandera aussi une récompense, à savoir un blanc –seing, pour le partage tout à fait fraternel de l’Ukraine, ainsi que les garanties de la « légitimé» du bourreau Assad pour que ce dernier garde son pouvoir.
Certes, c’est à l’Occident de décider. Mais j’estime que dans cette situation, les négociations ne sont pas appropriées. Tout d’abord, l’Occident n’a pas besoin de cette aide. Il saura vaincre DAECH sans l’aide d’un quelconque Poutine.
Ensuite, abandonner l’Ukraine à la merci de son voisin-agresseur est aussi immoral et dangereux pour l’Occident que sa capitulation devant l’État Islamique.
Et surtout, on peut abandonner l’Ukraine, mais l’Ukraine ne se rendra jamais. On peut mettre fin au conflit, dont la cause est l’Ukraine, entre la Russie et l’Occident. Mais personne ne pourra mettre fin au conflit entre la Russie et l’Ukraine. Car les Ukrainiens ont crû en eux-mêmes. L’Ukraine se battra pour son indépendance, pour sa dignité, pour son avenir européen. L’Ukraine s’est battue contre Staline jusqu’en 1953. Poutine ne tiendra pas si longtemps.
Gloire à l’Ukraine!