Le meilleur modèle d’adaptation sociale des combattants démobilisés s’appuie sur le principe appelé “les égaux aident les égaux ». Cela signifie que les entraîneurs eux-mêmes sont des anciens combattants. – les représentants de l’ONG «Pobratymy»

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Kiev,   8   février  2016.  Au  cours  de  l’année  passée,   l’ONG «Pobratymy» («Les confrères») a élaboré deux programmes pour les anciens combattants.

Le premier, appelé «Les égaux aident les égaux», vise à traiter les troubles de stress post-traumatique et les traumatismes. Il consiste à mettre en place des formations pour surmonter le choc que provoque les combats et pour entraîner les anciens combattants afin qu’ils puissent eux-mêmes devenir des entraîneurs pour leurs confrères.

Le deuxième, «Secteur V», est un programme d’adaptation à la vie quotidienne pour les soldats rentrés du front. «Le principe de l’aide mutuelle où les égaux aident les égaux est une ligne rouge autour de laquelle s’articule tout ce projet. Il y a une communication entre les vétérans. Ce système a déjà prouvé son efficacité au Danemark et dans plusieurs autres pays du monde», raconte Artem Denysov, directeur de l’ONG «Les confrères». L’idée de ce projet est née fin 2014 et s’est concrétisée grâce à la collaboration d’experts danois et américains.

Le premier groupe a commencé à étudier en février 2015 et a terminé sa formation au mois de juillet. Les participants sont ensuite devenus les entraîneurs du deuxième groupe.

Les auteurs du projet estiment qu’il est très important que les combattants revenus du front ne soient pas livrés à eux-mêmes suite à leur expérience du conflit. «La guerre éveille quelque chose de préhistorique dans la conscience humaine, des instincts peu contrôlés, qu’on ne sait pas comment maitriser. C’est un océan vraiment turbulent dans la conscience. Il faut l’étudier, mais personne ne nous raconte comment faire. Plus vous en savez, plus vous en avez peur, car les choses qui sont «normales» pour le soldat qui a fait la guerre sont complètement incompréhensibles pour le monde «normal», dans la vie quotidienne. Ici les gens ont peur des réactions des anciens combattants », raconte Taras Kovalyk, ancien combattant du bataillon bénévole «Aydar».

Blessé, Taras Kovalyk a du passer quelques mois dans le monde civil, mais n’a pas réussi à s’habituer à cette vie, alors il est reparti au front. Quelques temps plus tard, des confrères lui ont raconté ce projet. Maintenant Taras est un des entraîneurs du programme «Les égaux aident les égaux », et poursuit en parallèle ses études à l’Université Catholique Ukrainienne, au sein de la faculté de l’administration publique ainsi que dans une université grecque, au sein d’une faculté de psychologie.

Pour Taras, il est primordial que les entraîneurs soient eux-mêmes des combattants qui ont eu la même expérience, car celui qui n’a pas vu la guerre de ses propres yeux «ne comprend pas du tout ce qui ce passe  avec les vétérans».Le programme « Les égaux aident les égaux » se compose de quatre étapes. Lors de la première étape, on raconte et on explique ce qui ce passe pour un soldat démobilisé sur le plan psychique. Pendant la deuxième étape les participants se familiarisent avec divers mécanismes de travail liés à leur expérience. «En fait, plusieurs traumatismes existent déjà avant la guerre, mais pendant, ils s’exacerbent», affirme Taras Kovalyk.

Pendant la troisième étape, on travaille directement avec ses problèmes pour finalement passer à la quatrième étape de recouvrement post- traumatique et du développement personnel. «La participation à ce projet m’a beaucoup aidé à comprendre ce qui se passait en moi. J’ai de nouveau le désir de vivre et de créer, j’ai compris ce que je veux  faire  à  l’avenir»,  raconte Mykola Zmiévskyi, ancien combattant de la brigade aéromobile 79, aujourd’hui participant du 2e groupe qui poursuit encore ses courses. Avant la mobilisation il travaillait dans une usine comme fondeur d’acier. Maintenant il a décidé de devenir bariste – « pour offrir de la joie aux gens », dit il.

Les participants du programme «Les égaux aident les égaux» qui ont fini les  courses  deviendront  aussi  des  entraîneurs  pour  le  programme

«Secteur V» – un projet du centre d’adaptation sociale des combattants.

«Ce projet est destiné à ceux qui ont besoin de l’aide mais ne sont pas encore prêts à travailler avec leurs confrères. Cet entrainement est plus intensif, il dure un mois et demi. Les familles des soldats démobilisés  sont aussi impliquées dans ce processus», raconte Ivona Kostyna, la fondatrice du projet et co-coordinateur de l’ONG «Les confrères».

De nos jours, l’Ukraine a un besoin urgent de projets de ce type, affirment les activistes de l’ONG « Les confrères ». « Le trouble de stress post-traumatique est un diagnostic très grave. Ce n’est pas sur la ligne du front qu’apparait ce phénomène, il se manifeste quand le combattant recommence sa vie en société » souligne Ivona Kostyna.

Si l’on se fie à l’expérience d’autres pays, il est clair que plusieurs problèmes, engendrés par l’expérience de la guerre, peuvent surgir même 10 ou 15 ans après ces événements, alors il faut déjà commencer à élaborer un système de travail avec les anciens combattants, un mécanisme à long terme. En même temps, il est nécessaire que ce mécanisme soit axé sur le résultat, pas sur le processus dont l’efficacité est mesurée par les indices quantitatifs, estime Andriy Kozniytchouk,  co-coordinateur du projet «Secteur V» et participant du 1er groupe du programme «Les égaux aident les égaux» et co-entraîneur.

Selon Andriy Kozniytchouk, les organisations non gouvernementales qui analysent l’expérience des unes et des autres ont plus de chances de réussir dans ce domaine que l’état, toujours trop lent et obsolète. «Notre but est d’aider le combattant qui est rentré de la guerre, pour qu’il triomphe de ses traumatismes et devienne meilleur qu’il ne l’était auparavant. D’habitude les gens, rentrés de la guerre, ne veulent plus vivre du même façon qu’avant la mobilisation», souligne M. Kozniytchouk.

Selon les auteurs du projet, plusieurs pays du monde ont une grande expérience dans ce domaine. Aucun de ces systèmes n’est cependant totalement exempt de défauts. Ainsi, selon les spécialistes ukrainiens, il est mieux d’emprunter les meilleures pratiques et d’essayer d’inventer  un mécanisme qui convient plus à la situation de l’Ukraine.

En dehors des programmes déjà mentionnés, les activistes vont dans la zone d’opération antiterroriste avec des cours d’instruction psychologique pour les soldats ukrainiens, organisés eux-aussi sur le principe «les égaux aident les égaux». En outre, les activistes travaillent avec ceux qui viennent de rentrer du front pour les avertir d’états et d’émotions auxquels ils peuvent être amenés à faire face et leur raconter comment travailler dessus.

Ivona Kostyna souligne aussi que la société devrait changer son attitude envers les combattants, ceux qui sont sur la ligne du front ainsi que ceux qui sont déjà démobilisés – une attitude qui s’est installée pendant les premiers mois du conflit quand l’armée ukrainienne avait des problèmes énormes avec la fourniture des armes. «Il ne faut pas traiter les combattants comme ceux qui ont besoin de condoléances, il ne faut pas les montrer dans les médias comme des «pauvres héros». Ce sont des  gens très forts, avec une expérience unique et des compétences uniques. Ils sont prêts à faire faire face à leur problème et travailler dessus […]  Ces gens ont un grand potentiel pour contribuer aux changements dans notre pays, mais cela verra le jour plus tard. Il faut plus de temps et de patience».

Dans l’avenir, l’ONG «Les confrères» pense à lancer des cours similaires pour les journalistes et les volontaires qui ont travaillé dans la zone du conflit. Ces deux programmes seront séparés, car dans ces deux cas l’expérience est différente, et par conséquent l’approche doit elle aussi être différente.