L’aéroport de Donetsk : ce qui s’est passé

La chronologie

L’histoire de l’aéroport de Donetsk commence le 27 juillet 1931 quand le Conseil municipal de la ville Stalino (le nom de Donetsk entre 1924 et 1961) a ordonné au département des services municipaux de trouver un terrain pour la construction d’un aéroport civil. L’aéroport «Stalino» ouvre ses portes en 1933, le premier vol Stalino-Starobilsk a eu lieu la même année.

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En 2011, le Conseil des ministres d’Ukraine a attribué à l’aéroport le nom de Sergiy Prokofiev, célèbre compositeur ukrainien soviétique. Un an après, en mai 2012, le nouveau terminal de 7 étages, d’une capacité de 3100 passagers par heure, est inauguré pour la Coupe d’Europe 2012. Ce bel aéroport est devenu un vrai symbole du Donbass, il accueillait des vols ukrainiens, mais aussi internationaux, notamment à destination de Munich, Vienne, Dubaï, Prague, Istanbul, Tel Aviv… Et ensuite, la guerre est arrivée….

Un coup de feu fatidique

Le 18 avril 2014, soit 4 jours après le début officiel de l’opération anti-terroriste (ATO) dans le Donbass, les séparatistes sont entrés sur le territoire de l’aéroport et y ont hissé leur drapeau. Cependant, l’aéroport a continué à fonctionner jusqu’à fin mai, malgré l’annulation de leurs vols par une majorité de compagnies aériennes. Le 25 mai 2014, les combattants armés du bataillon Vostok (commandant Olexandre Chodakovsky) dont la plupart étaient des ressortissants de Tchétchénie et du Daghestan ont pénétré sur le territoire de l’aéroport. Depuis, plus aucun avion civil n’a atterri sur les pistes de l’aéroport.

Illya Koudinov, un habitant de Donetsk, se souvient bien de ces jours :

On avait l’impression que tout le monde s’en foutait de savoir à qui appartenait Donetsk et ce qui lui arriverait. Car le début a été spectaculaire. Le 26 mai est devenu le point de référence le plus important de la guerre. Savez-vous combien de gens ont été tués et blessés ce jour-là, combien de voitures et de maisons ont été détruites? Le supermarché «Métro » a été pillé dans les deux jours qui ont suivi, quelques personnes, y compris une femme, ont tellement bu de l’alcool volé au supermarché qu’ils sont morts sur place.

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Le 26 mai dans la matinée, un des séparatistes est monté sur le toit du terminal en tenant un système de missile anti-aérien «Igla». Il visait l’avion de chasse ukrainien MIG-29 qui volait autour du terminal. Alors, un sniper du 3ème régiment de l’unité des forces spéciales de Kropivnytzky (à l’époque Kirovograd) a aperçu ce tireur, a rapporté la situation au commandement et  a reçu l’autorisation de tirer. C’est avec ce coup de feu que la bataille pour l’aéroport de Donetsk a commencé. En quelques heures seulement, le 3ème régiment de l’unité des forces spéciales de Kropivnytzky a nettoyé le territoire de l’aéroport des séparatistes et a hissé le drapeau jaune et bleu en haut du terminal.

Pendant deux mois, les défenseurs de l’aéroport ont été en état de siège. Pour leur apporter des produits alimentaires, de l’eau potable et des munitions, leurs camarades auraient dû percer la ligne de défense des séparatistes.

Un des commandants, dit Redoute, du régiment qui se trouvait à l’aéroport de Donetsk en été 2014, raconte :

Tous les jours, nous attrapions des saboteurs qui «nous rendaient visite» depuis le quartier Poutilivsky de Donetsk. Et tous les séparatistes capturés avaient plusieurs casiers judiciaires. Ils disaient tous la même chose «on m’a envoyé pour déminer le territoire».

Les Cyborgs: braves parmi les braves

Les militaires ukrainiens ont contrôlé l’aéroport durant tout l’été, mais à la fin du mois d’août, les combattants pro-russes ont reçu un nombre important d’armes lourdes, y compris des systèmes de lance-roquettes multiples «Grad» et des chars avec des plaques d’immatriculation masquées. Ils les ont utilisées pour tirer sur l’aéroport. Cependant, les défenseurs de l’aéroport gardaient leurs positions.

Un des Cyborgs, dit Tayfoun, raconte :

Le seul moyen de rejoindre l’aéroport c’était d’utiliser un véhicule blindé, sachant qu’une partie du trajet se trouvait entièrement sous un feu nourri. Nous avons surnommé cette partie «la route de la mort ». Tout le trajet prenait 10 minutes. Si tu as de la chance, tu arrives à passer, si tu n’as pas de chances, tu te fais exploser. La  piste de décollage était couverte de chars et de véhicules blindés brûlés. C’étaient ceux qui n’avaient pas réussi à passer.

Parallèlement, la Russie a lancé une grande offensive : les unités de l’armée russe ont encerclé les militaires ukrainiens à Ilovaysk et se sont abattus sur Marioupol.

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Malgré les offensives incessantes des séparatistes appuyées par l’artillerie lourde, notamment, des mortiers Tulipe de 240 mm, des obusiers et des lance-missiles Ouragan, les militaires ukrainiens continuaient de résister à tel point que les séparatistes choqués les ont surnommés les Cyborgs (un «organisme cybernétique», en science-fiction un être vivant, intelligent qui a reçu des greffes de parties mécaniques).

C’est ainsi qu’un des combattants séparatistes décrit la situation :

«Putain, je ne sais pas qui défend cet aéroport de Donetsk, mais depuis trois mois nous ne réussissons pas à les foutre dehors. Nous avons essayé de le prendre d’assaut, ils nous ont cassé la gueule et nous avons dû reculer. Je ne sais pas qui garde l’aéroport, mais ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des Cyborgs».

À la fin de septembre 2014, l’aéroport est devenu le point le plus chaud de la zone de l’ATO. Les meilleures unités des séparatistes participent à l’assaut, mais elles finissent toujours par reculer. Le 30 septembre, les séparatistes déclarent avoir pris l’aéroport, mais en fait, en un mois, ils n’ont avancé que de 500 mètres. Les militaires ukrainiens contrôlent toujours les terminaux et la piste d’atterrissage.

Le petit lapin blanc

À la fin de 2014, les bénévoles ont décidé de soutenir les Cyborgs en créant un calendrier 2015 avec les photos de ces braves militaires. La première photo du calendrier est tendre et vraiment émouvante: un militaire, le visage fatigué et grave, garde dans ses bras un petit lapin blanc!

Cette petite bête habitait à Pisky, une banlieue chic tout près de l’aéroport. Lors des bombardements, un obus a détruit une maison habitée, la seule chose qui restait c’était une cage avec ce lapin. Donc, les militaires de la 95ème brigade ont décidé de l’adopter.

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«Tout au début, on voulait le manger. Mais Dmytro, dit «Amour», a dit qu’il ne laisserait personne embêter ce lapin. Depuis il vivait chez nous. On l’appelait «Blanche-neige ». Au début, quand il entendait des explosions d’obus, il se cachait, mais, par la suite, il s’est habitué.

Plus tard, il s’est avéré être une lapine, qui a mis au monde 4 petits lapereaux. Le militaire qui s’en occupait le plus est parti en permission et a emporté toute cette petite famille chez lui à Dnipro.

Les Cyborgs ont résisté, c’est le béton qui n’a pas tenu le coup

Après le Jour de l’An, les combats sont devenus de plus en plus acharnés. Le 13 janvier 2015, la tour de contrôle a fini par s’écrouler. C’était une vraie tragédie pour tous les Ukrainiens qui considéraient cette tour comme le symbole de la résistance contre l’agression russe. Le même jour, deux positions des soldats ukrainiens ont été détruites par les chars russes. C’était le début de la fin de l’épopée héroïque qui a duré 242 jours….

Un des Cyborgs, dit «Cobra», raconte :

Les séparatistes et les troupes russes avaient des armes lourdes et nos gars n’avaient que des kalachnikovs, des fusils de sniper, des armes anti-chars. Mais nous étions prêts à tenir jusqu’au bout, personne ne voulait se livrer. Des gens ordinaires sans aucune hésitation se levaient contre l’acier. On sortait et on était face à face avec les chars

Les Cyborgs demandent de l’aide, mais tout comme lors de la bataille d’Ilovaysk, les renforts n’arrivent pas…. «On est attaqué de deux côtés par l’artillerie et les chars qui ne sont qu’à 400mètres de nos positions. Notre artillerie n’arrive pas. Les combattants nous ont posé un ultimatum: quitter l’aéroport avant 17 heures. Ils menacent de nous  liquider si nous restons. Les balles volent à travers le terminal. Mais nous ne partirons pas. Nous n’avons pas l’intention de reculer. Pendant trois jours ils nous détruisent avec des armements lourds. Il ne reste plus rien. Nous attendons du renfort», a déclaré un des militaires ukrainiens.

Le 22 janvier, les Cyborgs ont été obligés de quitter leurs positions principales dans le terminal de l’aéroport. Ceux qui sont restés avec les blessés ont été capturés par des séparatistes. Ces derniers ont violé toutes les lois de la guerre en humiliant et torturant leurs prisonniers, ils ont aussi filmé les militaires ukrainiens et ont diffusé ces vidéos sur leurs réseaux. Un des Cyborgs, Igor Branovytsky été battu presque à mort et tué par une balle dans la tête. Yuriy Sova, un des Cyborgs capturé, témoigne :

C’est Igor Branovytsky qui a été battu le plus sévèrement. Ils voulaient surtout trouver nos mitrailleurs et nos tireurs d’élite…. Nous avons dit qu’ils étaient tous restés sous les décombres, mais  tout d’un coup Igor a avoué être un mitrailleur. Nous sommes restés alignés devant le mur, tandis que les séparatistes ont traîné Igor sur le côté et ont commencé à le battre de plus en plus fort. Ils le frappaient dans les jambes et les pieds, et lui ont brisé beaucoup d’os. Il avait tellement mal qu’il ne pouvait même plus rester assis.Le médecin est arrivé pour panser Igor. Il restait allongé près du mur. C’est à ce moment là que Motorola a fait son apparition, il s’est approché d’Igor : «C’est quoi ce corps? ». Tantchik, un des séparatistes qui nous gardaient, a répondu: «Nous avons appelé une ambulance, elle viendra bientôt le chercher ».Motorola s’est penché sur Igor, l’a regardé et a dit : «Celui-là ne survivra pas». J’ai tourné la tête et j’ai vu Motorola sortir son pistolet et tirer deux balles dans la tempe gauche d’Igor…..

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Certains Cyborgs ont été libérés rapidement, d’autres sont restés en prison pendant de nombreux mois. Le dernier Cyborg, Taras Kolodiy, a été libéré le 18 décembre 2016, après 23 mois de captivité….

Deux ans après les événements à l’aéroport de Donetsk, personne ne sait combien de personnes sont restées sous les décombres. Selon certaines données, durant les deux derniers jours de la défense, les 19-20 janvier, 58 militaires ukrainiens ont été tués.

Mykola, militaire de la 80e brigade aéromobile, dit «Mychalytch »

Je ne regrette rien. Le Seigneur m’a laissé en vie. Pendant 15 jours, j’ai gardé la tour de l’aéroport de Donetsk, j’étais aussi à Pisky. Ces moments ont été difficiles, mais je ne regrette pas, car je sais très bien qu’il fallait défendre son pays. La ferraille ne tenait pas, mais nous, nous restions là-bas, car nous n’avions pas de route de retour. Notre pays, nos proches étaient derrière nous. Et personne n’a rendu l’aéroport. C’est juste qu’il n’y avait plus rien à défendre.

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À lire aussi: 

Les Cyborgs : la vie après l’aéroport de Donetsk. Les militaires ukrainiens qui défendaient l’aéroport de Donetsk ont raconté à l’édition ukrainienne «Focus» leurs souvenirs et les rêves qu’ils ont faits depuis la fin des combats pour l’aéroport.

Yuriy Sova, Cyborg de l’aéroport de Donetsk : «J’ai vu ce que Motorola faisait».Yuriy Sova, 27 ans, faisait partie des militaire de la 80ème brigade aéromobile—ces défenseurs légendaires de l’aéroport de Donetsk surnommé « Cyborgs »—et raconte son histoire lors de son témoignage contre Arseniy Pavlov, alias Motorola, un citoyen russe et criminel de guerre qui a notamment tué Igor Branovytsky, un militaire ukrainien capturé par les séparatistes.

Les Héros Inconnus de l’aéroport de Donetsk.Ils ont commencé leur parcours de combattants sur le champs de manoeuvre et d’entraînement au sein de la 95ème brigade des troupes d’élite d’assaut des Forces armées de l’Ukraine. Puis, ces soldats ont constitué une unité dénommée le 90ème bataillon aéroporté affecté (avec un statut indépendant) au sein de la 81ème brigade, première brigade créée depuis l’indépendance de l’Ukraine. Ils ont assuré la défense de l’aéroport de Donetsk, relevant la 95ème brigade de parachutistes. Ils se trouvaient au début dans l’ancien terminal, puis, à la suite des combats du 29-30 Novembre, ils se sont retranchés dans le nouveau terminal.

 

Photo : Сегодня, InfoResist, ТСН, odessa.comments.ua