Sergueï Magnitski, l’Homme qui a affronté la corruption russe

Le 8 avril 1972 est la date de naissance de Sergueï Magnitski, audit de l’ Hermitage Capital Management, décédé dans une prison de Moscou,  la «Matroska tichina » (« le Silence des matelots »).  Pour son anniversaire, l’UCMC présente en  raccourci l’article de Polit.ru sur cet homme qui a osé affronter l’ensemble du système de corruption russe et qui a payé de sa vie son courage.

Qui était Magnitski?

Sergueï Magnitski est né à Odessa le 8 avril 1972, mais il a obtenu la nationalité russe et est parti vivre à Moscou. Il a fait ses études à l’Académie des Sciences économiques de la Russie. En 1995, Sergueï Magnitski a commencé à travailler en tant qu’audit dans une compagnie de consulting, Firestone Duncan, où il a occupé le poste de chef du département du consulting fiscal.

L’un des clients de Firestone Duncan est la filiale russe du Fonds  d’investissement Hermitage Capital Management, fondé par William Browder. Au début des années 2000, ce fonds était le plus important fonds de Russie.

Sergueï Magnitski. Photo: www.mediaport.ua

L’affaire de l’Hermitage Capital Management

En 2007, les forces de l’ordre russes commencent à perquisitionner chez Hermitage Capital Management et aussi chez Firestone Duncan. Les dirigeants de HCM sont accusés d’avoir créé un système d’évasion fiscale à travers un réseau de filiales. Selon les enquêteurs, les filiales du Fonds ont  illégalement acquis des actions d’entreprises stratégiques russes, y compris « Gazprom » et « Rosneft ». Au cours des perquisitions les documents et  les données sauvegardées sur les ordinateurs  ont été saisis. Le Fonds vend alors tous ses capitaux russes. Plus tard, HCM déclare que le ministère de l’Intérieur russe a saisi illégalement trois filiales du Fonds en utilisant les documents volés au cours de la perquisition.

Sergueï Magnitski  lance alors une enquête indépendante au cours de laquelle il apprend que les documents et les tampons saisis avaient été utilisés pour le réenregistrement d’un certain nombre d’entreprises du Hermitage au nom de nouveaux propriétaires  et le remboursement illégal d’ impôts pour un  montant de 5, 4 milliards de roubles.

En s’appuyant sur les faits découverts par Magnitski, la banque NSBC et le Fonds Hermitage ont déposé plusieurs plaintes auprès des 3 principales instances des forces de l’ordre russe : le Département de la sécurité de l’Intérieur, le Comité d’enquête et le Bureau de Procureur général de Russie. Les plaintes indiquaient les noms et les prénoms des agents du Département principal des affaires criminelles (GUVD) impliqués dans ce crime. Cependant, au lieu d’engager immédiatement une enquête, les forces de l’ordre ont transmis ces plaintes aux agents du GUVD,  à ceux-là mêmes qui figuraient dans ces plaintes. Ces derniers ont initié des poursuites  pénales contre les membres de l’Hermitage Capital.

William Browder et Ivan Tcherkassov, dirigeants de la filiale russe du Fonds, ont été accusés par contumace d’évasion fiscale  et  inscrits sur la liste internationale des personnes recherchées.

L’arrestation et le décès de Sergueï Magnitski

Sergueï Magnitski a été arrêté dans l’affaire de l’Hermitage le 27 novembre 2007. Il a été accusé de contribution d’évasion fiscale du Fonds et de création de schémas illégaux pour acheter des actions de « Gazprom ».  Il a été mis dans une cellule d’isolement № 5, puis transféré en avril 2009 dans une cellule d’isolement  au «Silence des matelots ».

Au début de juillet 2009, les médecins ont diagnostiqué chez Magnitski  une pancréatite et des calculs biliaires. Ils lui ont conseillé une intervention chirurgicale, mais une semaine avant la date de l’opération, le 25 juillet, il a été transféré dans une cellule d’isolement à la prison Boutyrka, où il n’y avait pas d’hôpital.

Le 13 novembre, la Cour Tverski de Moscou a refusé de remplacer la mesure préventive, le laissant en prison, ses plaintes sur son mauvais état de santé n’ont pas été prises en compte. Le 16 novembre, l’état de santé de Sergueï Magnitski  a empiré, il avait besoin d’être hospitalisé.  À la fin de la journée, il a été transporté à l’hôpital  du «Silence des matelots », mais l’intervention chirurgicale n’a pas eu lieu. Le 16 novembre à 21h50, les médecins ont constaté le décès de Sergueï Magnitski suite à une rupture au niveau du pancréas en raison d’une nécrose pancréatique. Cependant, plus tard, les enquêteurs ont déclaré que Magnitski était mort d’une crise cardiaque.

«Silence des matelots ». Photo: exzk.ru

Quelle est la cause de  la mort de  Sergueï Magnitski ?

La mort de Sergueï Magnitski  dans une prison russe est devenue le symbole de l’anarchie policière et de la corruption qui règnent en Russie.

À la fin de décembre 2009, le Comité public du contrôle des droits des prisonniers de Russie a publié un rapport, indiquant que le juriste était mort en raison «des conditions de détention inhumaines, humiliantes pour  la dignité de l’homme  et  assimilées à des tortures ».

En 2011, le Conseil des droits de l’Homme auprès du président de la Russie a déclaré que l’arrestation et détention de Sergueï Magnitski étaient illégales et que les accusations avaient été fabriquées par les agents du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie et le ministère de l’Intérieur russe.

L’enquête prouve que Sergueï Magnitski a été privé de justice, son affaire était menée par les personnes  mêmes qu’il avait accusées du vol du remboursement des impôts, il a également été privé de l’aide médicale nécessaire. Au cours de la dernière journée de sa vie, Sergueï Magnitski a été battu avec des matraques en caoutchouc par les gardiens de prison, par la suite l’ambulance appelée a dû attendre plus d’une heure avant d’être admise dans la cellule. Quand les médecins ont été autorisés à entrer, Magnitski était déjà mort.

Concernant sa mort, au terme de trois ans d’enquête, seul Dmitri Kratov, ancien médecin-chef-adjoint de la prison Boutyrka, a été inculpé « pour négligence ayant entraîné la mort » tandis que sept responsables de l’administration pénitentiaire ont été démis de leurs fonctions sans plus être inquiétés. Le vendredi 28 décembre 2012, suivant les réquisitions du parquet, le tribunal Tverskoï de Moscou a relaxé Dmitri Kratov au terme de son procès pour négligence.

Photo: Штурм Новости

Le scandale international

En avril 2010, Benjamin Cardin, sénateur au Congrès des États-Unis, a proposé une interdiction d’entrée aux États-Unis pour les fonctionnaires russes impliqués dans le scandale et la mort de Sergueï Magnitski. Le 26 avril 2010, il dépose une liste de soixante noms auprès de la secrétaire d’État Hillary Clinton. La liste comporte des noms de fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, du Service fédéral de sécurité, du Service fédéral des impôts, de la Cour d’arbitrage, du Bureau du Procureur général et du Service pénitentiaire fédéral. En septembre 2010, le Congrès a adopté ce texte.

En décembre 2010, le Parlement européen a voté une résolution qui interdisait l’entrée dans les pays de l’Union Européenne aux fonctionnaires russes impliqués dans l’affaire Sergueï Magnitski.

En mars 2012, la Chambre des communes du Parlement britannique a adopté à l’unanimité une résolution sur les sanctions de visa et l’arrestation d’actifs des fonctionnaires impliqués dans l’affaire Sergueï Magnitski, ainsi que  dans d’autres violations des droits de l’homme.

En décembre 2012, la «Loi Magnitski » (Magnitski Act) entre en vigueur aux États-Unis. Cette loi prévoit des sanctions personnelles contre les personnes responsables de violation des droits de l‘Homme et de la supériorité du Droit en Russie. En avril 2013, le ministère des Finances des États-Unis a publié  le premier contenu de la « liste Magnitski » qui, tout d’abord, comportait les noms de 18 personnes. Actuellement, les noms de 34 personnes sont inclus dans cette liste : celles qui ont eu une relation directe soit avec l’enquête sur l’affaire contre Magnitski, soit avec son procès post-mortem, les médecins de la prison, ainsi que les agents des forces de l’ordre qui figuraient dans l’enquête du juriste qui lui a  coûté la vie.  Ces personnes sont privées du droit d’obtenir un visa américain et leurs finances dans les banques américaines ont été bloquées.

La « Loi Dima Iakovlev »

En décembre 2012, après l’adoption de la «Loi Magnitski », les députés russes ont décidé d’adopter leur propre loi sur les sanctions contre les Américains violant les libertés et les droits des citoyens russes. Cette loi a été initiée par Sergueï Narychkine, président de la Douma russe.  Initialement, cette loi prévoyait l’interdiction d’entrée en Russie et l’arrestation des comptes bancaires des citoyens des États-Unis impliqués dans la violations des droits de l’Homme et dans des crimes contre les citoyens russes.

Cependant,  en deuxième lecture, Ekaterina Lakhova et Elena Afanasyeva, deux députées russes, ont proposé de  modifier le texte de la loi en ajoutant  l’interdiction d’adopter des orphelins russes par les citoyens américains et ceux des autres pays imposant des sanctions contre les citoyens russes en raison de leur implication dans des violations des droits de l’homme en Russie. Cette  loi devrait porter le nom de Dima Iakovlev, un enfant russe adopté par une famille américaine et décédé aux États-Unis.

Le 19 décembre 2012, la Douma russe a voté la loi en acceptant les amendements interdisant aux citoyens des États-Unis d’adopter des orphelins russes. Cette loi a également interdit aux ONG financées par les États-Unis et «représentant une menace pour les intérêts russes » de travailler sur le territoire de la Fédération de Russie.

La loi a provoqué une vague de mécontentements et a reçu le nom non-officiel de « Loi des ignobles » (#законПодлецов).

Photo: RUNYweb.com

6 faits sur Sergueï Magnitski

– Quand Jamison Firestone, le principal partenaire de Firestone Duncan, a demandé à Sergueï Magnitski de quitter la Russie, au moins temporairement, ce dernier lui a répondu : «Jamison, tu regardes trop de films long métrages, nous ne sommes pas en 1937 ».

-Le ministère de l’Intérieur russe a déclaré que Magnitski a été placé en cellule de détention provisoire, car il avait déposé une demande de visa à l’ambassade du Royaume-Unis et les enquêteurs supposaient qu’il allait quitter la Russie. Cependant, l’ambassade a confirmé officiellement que Magnitski n’avait pas fait de demande de visa.

-Magnitski et ses avocats ont déposé plus de 450 plaintes sur les mauvaises conditions de détention et sur le fait que le juriste ne recevait pas les médicaments que sa mère lui apportait.

-Depuis le début de son séjour dans des cellules d’isolement, Sergueï Magnitski a perdu environ 18 kilos.

– Le 12 novembre 2010, Magnitski a reçu pour sa probité, à titre posthume, un prix de l’organisation non gouvernementale internationale Transparency International, car «il croyait en la primauté du droit, ce qui lui a coûté la vie ».

– Il avait une épouse et deux fils.