L’agression des volontaires tchétchènes à Kiev : la théorie et les faits

Le 1 juin, dans le centre de Kiev, un inconnu a agressé Adam Osmaev, un volontaire Tchétchène, ancien commandant du bataillon Djokhar Doudaïev, et son épouse Amina Okoueva, volontaire et médecin. Mais l’agresseur est devenu lui-même une victime. En effet, Amina a saisi son pistolet et a tiré sur lui. Le résultat: Adam Osmaev et l’agresseur ont tous deux fini à l’hôpital, alors qu’Amina s’est empressée de donner une interview pour expliquer que l’agresseur avait été envoyé par le FSB pour liquider Osmaev. Cette version paraît-elle logique et qui sont réellement Osmaev et Okoueva? L’UCMC essaie de répondre à ces questions.

Amina Okoueva. Médecin? Tchétchène? Volontaire?

Comme pour beaucoup de personnages médiatiques de l’Ukraine actuelle, le chemin d’Amina vers la gloire a commencé sur le Maidan, où elle était médecin dans la centurie des anciens combattants d’Afganistan. Dans ses interviews de l’époque, Amina assurait qu’elle était chirurgienne, née à Odessa, qu’elle avait vécu à Moscou et que, par la suite, elle est retournée vivre à Odessa. «Ma maman est venue du Caucase du nord à Odessa pour faire ses études. C’est là que je suis venue au monde. Par la suite, nous sommes parties nous installer à Moscou, j’y ai terminé mes études secondaires et me suis mariée pour la première fois. Mais la vie m’a fait revenir à Odessa. On peut dire que j’ai été forcée de quitter Moscou, car avec la 2ème guerre de Tchétchénie, il était difficile pour des musulmans de vivre à Moscou. À Odessa, j’ai fait mes études à l’Université de médecine. J’ai été interne en chirurgie». Par la suite, Amina s’est mise à dire qu’elle vivait en Tchétchénie, mais qu’elle avait été obligée de partir car, selon elle, les musulmans seraient opprimés en Tchétchénie : «Porter un hijab, un voile musulman en Tchétchénie représente un danger de mort ».

Photo: Укроп.орг

Dans sa dernière interview, donnée après l’agression, Amina modifie complètement l’histoire de sa vie : «À partir de 1999, de la 2ème guerre de Tchétchénie, j’ai aidé la Résistance. Je ne vais pas vous donner plus de détails. C’est le mouvement de la Résistance qui m’a envoyée faire des études de chirurgie. Les blessures étaient mortelles pour nos gars dans les montagnes tchétchènes, car il y avait trop peu de médecins et il était trop dangereux de s’adresser à l’hôpital. Donc, je suis allée à Odessa, j’ai intégré l’Université de médecine d’Odessa où j’ai suivi des études pendant 6 ans, et par la suite j’ai fait un stage. Mais après le stage, je n’ai pas travaillé ». Il est à noter qu’Amina « a aidé la Résistance» très jeune : en 1999, elle n’avait que 16 ans (Amina est née le 6 juin 1983).

Photo: Апостроф

Cette interview, dans laquelle Amina donne exceptionnellement beaucoup d’informations sur elle-même, est sortie après l’agression de son mari, mais aussi après la diffusion dans les médias de la première page de son  passeport. Selon ce document, le prénom du père d’Amina était Victor. Il faut préciser que c’est un prénom très rare pour un Tchétchène. Aussi Amina explique que son vrai père est décédé très tôt et qu’il s’agit du prénom de son beau-père. Selon certains sources non-confirmées, le vrai nom d’Amina serait Anastasia (ou Natalia) Nikiforova. Elle se serait convertie à l’Islam lors de son premier mariage et serait devenue Amina à la même époque. Le nom de famille Okoueva lui viendrait de son premier mari.

Dans la presse, Amina Okoueva est souvent présentée comme une volontaire du bataillon Djokhar Doudaïev. En réalité, depuis le début du conflit dans le Donbass, elle fait partie du bataillon Kiev-2 du ministère de l’Intérieur. Dans certaines interviews, Amina assure qu’elle est infirmière, dans d’autre qu’elle est attachée de presse. Elle affirme aussi qu’elle était l’attachée de presse du bataillon Djokhar Doudaïev, quoiqu’il soit difficile d’imaginer qu’un attaché de presse, comme tout autre militaire, remplisse ces fonctions au sein de deux unités différentes. Dans tous les cas, elle réussit à cumuler son activité principale avec une participation directe aux affrontements.

Photo: prportal

Amina adore discuter avec les journalistes et donner des interviews. Les sessions de photos, belles et professionnelles, sont une de ses faiblesses. Elle aime alors se transformer, soit en une femme guerrière, soit en une jeune fille timide vêtue d’un costume traditionnel tchétchène.

Adam Osmaev : son parcours depuis le fils de famille riche jusqu’au commandant d’un bataillon

Adam Osmaev est né à Grozny dans une famille riche : son père avait une entreprise pétrolière. Amin Osmaev, l’oncle d’Adam, a présidé le Conseil Suprême de la Tchétchénie, de 1996 à 1999 il présidait la Chambre des représentants de l’union populaire de la République tchétchène (une organisation pro-russe).

Il a fait ses études à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou (Russie) et à l’Université de Buckingham (Royaume-Uni) qu’il a quitté très rapidement.

En 2007, Le FSB a engagé une enquête préliminaire contre Osmaev dans une affaire de préparation d’un acte terroriste à Moscou, tout d’abord en tant qu’accusé, par la suite, comme témoin.

Plus tard, il s’est retrouvé en Ukraine où il a été arrêté le 4 février 2012 à Odessa. Adam Osmaev a été accusé en vertu de plusieurs articles du Code pénal ukrainien:

– article 263 (manipulation illégale d’armes et d’explosifs);

– Paragraphe 1 de l’article 258-3 (création d’un groupe terroriste ou d’une organisation terroriste);

– Paragraphe 2 de l’article 258 du Code criminel ( acte terroriste).

Les médias russes ont cité les déclarations d’Osmaev qui prétendait préparer des combattants à commettre des actes terroristes pour ensuite les envoyer en Russie. La cible principale était Vladimir Poutine, Premier-ministre russe de l’époque.

Le 14 août 2012, la Cour d’appel de la région d’Odessa avait pris la décision d’extrader Osmaev en Russie, mais le processus a été mis en attente en raison d’une interdiction de la Cour européenne des droits de l’homme, car la Cour a décidé qu’en Russie Osmaev pourrait être soumis à des tortures.

Photo: Таймер Одесса

Après la fuite de Ianoukovitch et le changement de régime en Ukraine, le 18 novembre 2014, la Cour d’Odessa a libéré Osmaev. L’accusation de préparation d’acte terroriste a été supprimée, mais Osmaev reste inscrit sur la base de recherche d’Interpol.

Après sa libération, Adam Osmaev a rejoint le bataillon Djokhar Doudaïev, qui était basé dans la région de Dnipro et partait dans la zone de l’ATO. À la fin de janvier 2015, Issa Mounaev, commandant du bataillon, a fait d’Adam son adjoint. Issa Mounaev a été tué au combat le 1e février 2015 lors de la bataille de Debaltseve en couvrant le retrait des Forces armées ukrainiennes. Les détails de sa mort demeurent inconnus et provoquent beaucoup de questions. Tout de suite après l’information de la mort de Mounaev, Amina Okoueva s’est empressée de donner une conférence de presse pour confirmer le décès de Mounaev et annoncer que désormais c’était son mari Adam qui serait le commandant du bataillon.

Photo: Википедия

Selon certaines données, après cette annonce, beaucoup de Tchétchènes ont quitté le bataillon en estimant qu’un homme sans expérience militaire ne pourrait pas être leur commandant. En tout cas, depuis 2015, il n’y a jamais eu d’informations concernant la participation du bataillon à des affrontements.

L’attaque contre Osmaev : est-ce vraiment «la main du Kremlin »?

Le 7 juin, le tribunal a décidé d’arrêter la personne ayant agressé Osmaev sans droit de liberté sous caution. À ce stade, l’accusé, qui est toujours hospitalisé, n’a fourni aucun témoignage. Les enquêteurs sont également silencieux.

Quelques heures après l’incident, les journalistes ont publié une information selon laquelle la personne ayant tiré sur Adam Osmaev serait Arthur Denisoultanov-Kourmakaev, dit Dingo, qui avait tué en 2009 Oumar Issrailov, ancien garde du corps de Ramzan Kadyrov. Oumarov Issrailov avait obtenu l’asile politique en Autriche pour avoir accusé Ramzan Kadyrov de tortures. Étrangèment, Arthur Denissoultanov-Koumakaev a réussi à venir s’installer en Ukraine où il avait même obtenu un passeport ukrainien au nom d’Olexandre Dakar.

Depuis la première soirée, Amina Okoueva affirme que l’attentat contre son mari a été organisé par le FSB. Quelques jours plus tard, elle a donné une grande interview à l’édition « Censor.net» pour expliquer sa version des faits. Cependant, la réaction de la société à cette interview a été très divisée, car certains ont trouvé que l’histoire était tirée par les cheveux.

– Amina assure que le tueur les a contactés en se faisant passer pour Alex Verner, journaliste du quotidien français «Le Monde » et ils se sont rencontrés à 4 reprises. Il paraît étrange qu’en 4 rencontres, ni Adam ni Amina ne se soient rendus compte que ce «journaliste français » était originaire de Tchétchénie. Amina explique : «C’était un bon acteur. Il parlait russe couramment, mais avec un accent européen (que veut-dire un accent «européen»?!), il se comportait de manière très polie».

– Selon la version des journalistes, notamment ceux de «Censor.net» : «Denisoultanov figurait dans un grand nombre d’affaires criminelles, y compris pour des menaces de mort en Russie et en Autriche, donc il a tout suite été identifié par la presse russe. Voici un article du média «Fontanka» donnant l’identité de l’agresseur, qui explique que Denisoultanov avait été arrêté par les forces de l’ordre autrichiennes en juin 2008, car il menaçait justement Oumar Issrailov ». On se demande encore comment les volontaires tchétchènes ont pu ne pas reconnaître un personnage si connu parmi les Tchétchènes.

-Dans son interview, Amina assure avoir dit à l’agresseur qu’elle était toujours armée. En toute logique, le tueur aurait dû d’abord tirer sur Amina pour la liquider ou l’immobiliser et ensuite tirer sur Adam.

– Tout de suite après la fusillade, Amina et son ami Igor Mosiytchouk, député ukrainien, venu immédiatement à l’hôpital, ont déclaré qu’Adam avait reçu des blessures très graves : «clavicules cassées, poumons transpercés, balles coincées dans sa colonne vertébrale. En outre, il a été opéré des poumons et du foie».

Malgré «des poumons transpercés, des balles coincées dans sa colonne vertébrale», une semaine après l’attaque, le 8 juin, Adam Osmaev est sorti de l’hôpital en marchant sur ses 2 jambes sans aucune aide. Une fois cette photo publiée, Amina explique qu’elle avait confondu les blessures et, en réalité, c’est l’agresseur qui avait reçu une balle dans la colonne vertébrale.

Il ne s’agit là que d’une partie des incohérences dans l’histoire «de la tentative de meurtre d’un volontaire tchétchène», la liste en est très longue. Et on ne sait toujours pas pourquoi Kadyrov a tenu à faire assassiner le commandant d’un bataillon inexistant, que personne n’a vu dans la zone du conflit depuis très longtemps.

Après avoir analysé la situation, certains experts sont arrivés à la conclusion qu’il s’agissait tout simplement d’un réglement de comptes entre Tchétchènes. D’autres assurent que toute cette «tentative de meurtre » est en vérité une séquence de la campagne publicitaire d’Amina et d’Adam qui apparaissent beaucoup plus souvent sur les plateaux télé que sur la ligne de front. Il est à noter aussi qu’en 2014, Amina a présenté sa candidature aux élections législatives, mais n’a pas eu suffisamment de voix. Depuis, elle multiplie les sessions photos, les apparitions sur les plateaux télé et dans les médias et elle aura probablement de belles chances d’atterir au parlement ukrainien lors des prochaines élections.

Malheureusement, la société ukrainienne reste prompte à glorifier des héros artificiellement créés, malgré de multiples déceptions. Là, on peut évoquer Semen Sementchenko, ancien commandant du bataillon «Donbass» et petit escroc de Donetsk avant la guerre. Ou bien Nadia Savtchenko, ancienne idole de millions d’Ukrainiens, devenue avec le temps une véritable bête noire après le grand nombre de déclarations et d’actions déraisonnables qui ont suivi sa libération. Il reste à espérer que le couple de volontaires Tchétchènes ne sera pas une nouvelle déception pour la société ukrainienne.