Tchaïka, la diplomatie fraternelle des Cosaques en Bretagne

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Світлини – Чайка “Пресвята Покрова”

L’Ukraine est aujourd’hui victime d’un conflit oublié. Les épreuves qu’elle traverse se noient dans les infortunes qui frappent certaines parties du monde et les aléas de la vie quotidienne, auxquels chacun est confronté. C’est pourquoi l’Ukraine doit se faire connaître. Pour y arriver, elle a besoin d’espoirs, de victoires pacifiques et d’amis. Gagner les cœurs et le respect, c’est bien ce qu’ont réussi à faire, dans une petite ville bretonne, les bénévoles de l’association “Tovarystvo Kish” venus de Lviv.

Presviata Pokrova, la tchaïka (« chaika » ou « chajka » en translittération anglo-saxonne) réplique d’un bateau des Cosaques zaporogues ayant navigué entre le XVe et le XVIIe siècles, a été construite l’année de l’indépendance du pays. Elle a sillonné l’Europe et y a porté l’Ukraine, bien avant Euromaïdan. Elle en est devenue un symbole et un original monument emblématique. Après 16000 milles nautiques de navigation, soit 25000 km, c’est-à-dire plus de la moitié de la circonférence de la terre, la tchaïka a failli disparaître à Pont-Aven, quasi-abandonnée, rongée par la pourriture due à l’eau douce, ayant sombré deux fois, hors d’état de naviguer. Là,  seul Laurent Lesiourdmaître verrier d’art, croyait que le bateau pouvait encore être sauvé. Il n’a jamais baissé les bras et a su entraîner quelques bonnes volontés locales pour sa conservation, en attendant mieux. Il est même venu à Paris en plaider la cause auprès de la diaspora ukrainienne.

Pendant ce temps-là, en Ukraine, Tarass Beniakh, qui avait participé, en 1991, à la construction du bateau, battait le rappel de tous ceux dont la tchaïka avait changé la vie et contribué à façonner leur personnalité d’adulte, ainsi que leurs valeurs. Grâce à son énergie, la démarche a fonctionné. Le Président de l’association locale de préservation du patrimoine maritime, La Belle Angèle, confie:

Lorsque j’ai rencontré Tarass, j’ai compris qu’il irait jusqu’au bout. Nous devions faire ce que nous pouvions pour l’aider.

Palette-Aven_160728_005Tarass Beniakh, Photo B.Grua

Tarass Beniakh effectue différents allers et retours en 2015-2016, entre la Bretagne et l’Ukraine, pour se coordonner avec la municipalité, pour estimer les travaux, pour superviser le grutage, lors de la mise au sec des 20 mètres et des 10 tonnes de la tchaïka, pour transporter le moteur en Pologne, afin de le faire reconditionner, et pour apporter du mélèze destiné à la couverture du pont.

Finalement, Tarass Beniakh revient le 12 juin 2016, à Pont-Aven, avec des planches de chêne, des voiles neuves, réalisées par Myron Humenetskyy et une équipe d’une dizaine de personnes. On y compte des forgerons (avec une forge!), un charpentier de marine, le même Myron Humenetskyy, d’autres compagnons de la construction initiale et participants des navigations précédentes. S’y joignent des jeunes déterminés, bien souvent artistes. Ils établissent leur “Sitch“, à la fois chantier et lieu de vie, dans un endroit mis à leur disposition par Monsieur le maire.

Encart 1“La Sitch” gravure de Riegelman et photos B. Grua à Palette-Aven

En bordure de la belle rivière, animée par la marée et la lumière changeante, flotte comme une atmosphère libre, sûre et organisée du Maïdan romantique de décembre 2013. Les conditions sont austères mais l’humour… et les palettes, collectées par Laurent Lesiourd, ne manquent pas. La petite colonie ukraino-bretonne s’accorde le nom de “Palette Aven”, une dénomination qui va devenir légendaire. Le Gwenn ha du, pavillon national breton, y flotte conjointement avec l’étendard azur et or du pays des Cosaques. Au total, ce sont 19 Ukrainiens qui s’y succéderont. Leur défi va passionner la communauté de la petite cité d’art, à la fois marine et terrienne. Les visiteurs, les promeneurs et les professionnels, de plus en plus nombreux, sont dubitatifs, curieux, étonnés puis enthousiastes.

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Чайка Пресвята Покрова (Tchaïka Presviata Pokrova), de Julian Kukhlevskyy sur Vimeo.

Des pièces en fer sont forgées sur place et remplacées. Douze bordés en chêne, les grandes planches extérieures de la coque faisant 5 à 6 mètres de long, sont changés. Cinq cents rivets sont remplacés. Certaines nouvelles membrures en chêne sont substituées aux anciennes. Tout le barrotage du pont est reconstruit et couvert d’un contreplaqué stratifié à l’époxy, auquel on adjoint de belles pièces d’ébénisterie, des hiloires préparées à Lviv. La coque est calfatée et goudronnée. L’intérieur de la cale est peint, à l’exception des fonds, qui sont goudronnés, eux aussi. La vergue brisée est ouverte, complétée, ré-assemblée, poncée et vernie, comme le mât.

Le jeudi 28 juillet 2016, veille du départ, il ne reste plus qu’à poser les lattes de mélèze du pont, à remettre en place le moteur et à accastiller le bateau. Ces derniers travaux se dérouleront au début de la prochaine saison. En attendant, la tchaïka est soigneusement bâchée pour l’hivernage. Toutes les précautions sont prises pour assurer une bonne protection contre la pluie et pour ventiler la coque.

Encart 2Travaux sur la tchaïka en juillet 2016, photos B. Grua

Le même soir, les Cosaques reçoivent à dîner la municipalité, les membres de La Belle Angèle, les correspondantes locales des quotidiens régionaux et tous ceux qui les ont soutenus.

Encart 3Quelques membres de l’équipe de reconstruction, 28 juillet 2016, photos B.Grua

Il n’y a pas que le “kulish“, ayant mijoté tout l’après midi, qui a occasionné de sincères et nombreux compliments. Nous en prendrons quelques exemples.

Claude Berthelom, photographe de “La Belle Angèle”, très familier des navires traditionnels fait clairement savoir son appréciation.

Les Ukrainiens ont quitté Pont-Aven ce matin vendredi 29 juillet 2016. La galère (c’est ainsi qu’on appelle la tchaïka à Pont-Aven) est sauvée. Ils ont réalisé un travail colossal. Ils reviennent terminer le chantier dès l’obtention de nouveaux visas et le renflouement de la cagnotte. Ils ont remercié La Belle Angèle en organisant une soirée très chaleureuse.

Maryse Danjou journaliste pour “Le Télégramme”, quotidien régional, parle selon les même termes, dans son article du 30 juillet 2016.

Maurice le Reste, président de La Belle Angèle, qui a aidé les Ukrainiens tout au long du chantier, avoue: “L’année dernière, je pensais que le bateau était foutu“…
Les Ukrainiens de l’association Kish à Lviv ont fourni un travail de titans
Il faut dire que tout le monde a été bluffé par le travail abattu en si peu de temps…
Pour l’heure, les Ukrainiens sont repartis dans leur pays. Ils reviendront peut-être en septembre ou au printemps, s’ils peuvent obtenir des visas. En attendant, la chajka reste au quai à sable, bien protégée et sous la surveillance de tous ses amis de Pont Aven.

Le quotidien “Ouest France” dont la journaliste locale a suivi de près les différents événements relatifs à la tchaïka en dresse un beau résumé historique et décrit ce qu’elle a observé lors de la clôture du chantier dans son article du 31 juillet 2016. On y constate la récurrence d’un terme particulièrement élogieux.

Après avoir vécu des heures sombres, la galère Presviata Pokrova, renaît petit à petit de ses cendres. En quelques semaines, les Ukrainiens ont réalisé un travail de titan pour sa réfection […] Un travail titanesque […]Une tente, prêtée par l’association La Belle Angèle, sert de cuisine et de chambre aux Ukrainiens qui ont travaillé d’arrache-pied à la réfection du bateau, depuis le 12 juin. Trois équipes se sont succédé avec Taras Benyakh, le président de l’association Tovarystvo Kish, soit 18 personnes. Un travail titanesque abattu en quelques semaines. […] Les Ukrainiens sont repartis, jeudi soir, et souhaitent revenir, en septembre ou en mars. La tchaïka reste au fond du quai, surveillée par les associations pontavenistes Presviata et La Belle Angèle. Taras compte encore un mois de travail […]

A Pont-Aven, l’Ukraine a remporté un succès magnifique et émouvant. Elle a montré le meilleur de son caractère. Elle a manifesté son ouverture. Elle a fait rêver. Elle y a gagné considérationattention et amitié. Le détachement cosaque est reconnaissant à l’égard de la municipalité de Pont-Aven, des membres de l’association La Belle Angèle, des habitants de la commune et de la presse locale pour la sollicitude, l’entraide et la bienveillance qu’ils ont manifestées pour la sauvegarde, puis le sauvetage de la tchaïka. Il leur dit un fort “douzhe dyuakuyu” ou un sonore “trugarez vras”. Il existe encore beaucoup de sympathie et d’attention à gagner en Bretagne et en France, dès lors que l’on porte un message vrai, que l’on en vit les valeurs et que l’on sait à qui l’on s’adresse. A Pont-Aven, les Cosaques ont parlé art, communauté, labeur, histoire, bateaux, construction et charpenterie navale. L’aventure re-dynamisée de Presviata Pokrova est un exemple à suivre.

Cette aventure doit se poursuivre. La tchaïka est un des meilleurs antidotes, au sein de la population française, contre les agissements et les propos de certains hommes politiques ou d’affaires sensibles aux sirènes pécuniaires du Kremlin. La tchaïka, dans la période actuelle, peut avoir un rôle diplomatique “de terrain” considérable en contribuant au rayonnement et à la connaissance de l’Ukraine. Il convient de bien mesurer toute la puissance potentielle de cet outil, à nouveau disponible, de réfléchir pragmatiquement, de façon innovante, aux moyens d’en stimuler la portée et d’en faciliter la mission.

Bernard Grua, Palette-Aven, Bretagne, 02/08/2016
Pour visionner les miniatures en grand format, vous pouvez vous rendre sur le blog de B. Grua

Vous êtes cordialement invités à  suivre l’actualité de la tchaïka « Presviata Pokrova » sur les pages Facebook en français ainsi qu’en ukrainien.

Revue de presse
Ouest FranceLa galère ukrainienne reprend vie à Palette-Aven, le 31 juillet 2016
InformNapalmLa tchaïka cosaque, gage de l’amitié entre l’Ukraine et la Bretagne, le 31 juillet 2016
Le TélégrammeChajka, les Ukrainiens sont partis, le 30 juillet 2016
Save TchaïkaTchaïka, état des travaux après 47 jours de chantier, au 28 juillet 2016
Save TchaïkaTchaïka, avancement des travaux après un mois de chantier, au 09 juillet 2016
Le TélégrammePort, la tchaïka en restauration , le 8 juillet 2016
RFIUn bateau cosaque échoué en Bretagne?, le 27 avril 2016
Le TélégrammePont-Aven; La chajka sortie de l’eau, le 13 mars 2016
InformNapalmIl faut sauver Tchaïka ukrainienne, amarrée à Pont Aven, le 26 janvier 2016
Le TélégrammePort. La galère sommée d’évacuer, le 15 janvier 2016
Ouest FrancePont-Aven. Le bateau ukrainien prié de bouger, le 07 janvier 2016
France BleueÀ Pont-Aven, la galère ukrainienne prend l’eau, le 29 décembre 2015
Ouest France: La galère ukrainienne en mauvaise posture , le 28 décembre 2015
Le TélégrammePort de Pont-Aven Il faut sauver la galère ukrainienne, le 28 décembre 2015
Ouest France: La galère ukrainienne de Pont-Aven a coulé, le 27 décembre 2015
Le TélégrammeGalère ukrainienne. Un appel à l’aide, le 23 septembre 2015
Ouest FranceLa réplique de galère ukrainienne hiverne au port, le 14 mars 2014
Ouest FranceAu détour du port (Pont-Aven), la réplique d’une galère ukrainienne, le 26 septembre 2013
Ouest FranceUne belle galère ukrainienne pour Vannes, le 15 août 2009
Ouest France: Pas de galère pour le bateau ukrainien, le 14 août 2009