“En Ukraine, on observe le réveil extraordinaire de l’esprit national accompagné par une plus grande liberté d’expression ce qui influence les artistes”, Nikita Manokhin, peintre ukrainien

Nikita Manokhin,peintre ukrainien, originaire de Marioupol vis et travaille en France. Dans quelques jours, il présentera ses tableaux au Centre culturel de l’Ambassade d’Ukraine en France. Pour cette occasion, ce jeune peintre de grand talent a accepté de donner une interview exclusive aux journalistes de l’UCMC


  Pourriez- vous nous racontez le début de votre carrière artistique?

Je n’avais aucun  intérêt envers l’art jusqu’à l’âge de 16 ans, magré le fait que mes parents étaient tous les deux artistes. Ce n’est qu’à la terminale que j’ai fait mes premiers dessins, des portraits au crayon. Ma mère les a vus et elle m’a proposé de choisir l’architecture en tant que spécialisation universitaire. Après une année de préparation, j’ai passé le concours d’entrée de la faculté. A l’université, j’ai rencontré un artiste établi, chef de l’Union des Artistes de la région, Anatoliy Dereza. Avec l’aide de cet artiste, j’ai commencé à peindre, en plein air comme au studio, et j’ai fait ma première exposition à Donetsk. C’est à cette étape-là que je me suis rendu compte que je voulais devenir artiste professionnel, que ce métier m’attirait plus que tout autre.

En gros, ma carrière artistique commence par un cycle d’une trentaine d’œuvres créées à l’été 2009. Ce cycle contenait surtout des paysages champêtres, des vues de rivière, des couchers de soleil. Ayant peint ces tableaux, je les ai montrés à la directrice du musée central de Marioupol. J’ai été accepté tout de suite, et en automne 2009 déjà je commençais à m’exposer avec des artistes établis de ma ville natale. Je continuais cette pratique jusqu’à mon déménagement à Kyïv.

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Quel est votre style de peinture?

C’est difficile de définir un seul style, parce que quand un artiste travaille il ne pense pas aux styles, c’est après qu’on trouve des ressemblances. Mais quant à moi c’est de l’impressionnisme avant tout, malgré le fait qu’on trouve parfois des éléments de pop-art et d’expressionnisme dans mes œuvres. Les principes des impressionnistes me sont les plus proches, je sens que c’est à moi. Je choisis l’impressionnisme parce que pour moi ce style représente la liberté d’expression artistique et de technique, mais aussi l’émotion et la possibilité de percevoir le monde dans toute sa richesse et de transmettre cette richesse par des œuvres artistiques.

Où cherchez-vous de l’inspiration pour vos tableaux?

Chaque jour, j’aperçois beaucoup de scènes qui méritent d’être peintes, juste en me promenant, en regardant la nature ou l’architecture. J’ai toujours besoin de quelque base réelle pour mon travail, que ce soit un paysage, une photo, un visage ou un événement vécu. Mais dans mes œuvres, j’exprime aussi mes propres sentiments et émotions envers cette réalité qui m’inspire. Je transmets ma perception individuelle de choses et d’événements existants, des objets qui attirent mon attention et qui m’évoquent certaines émotions. La partie essentielle dans mon procès de création c’est la musique, je ne peins pas sans en écouter. La musique me donne davantage d’émotion et de force, et ça se voit dans la peinture.

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Comment évaluez-vous l’art moderne ukrainien? Qu’est-ce qui a changé depuis ces dernières années?

Je crois qu’en Ukraine il y a beaucoup d’artistes doués qui restent inconnus. Surtout parce qu’il existe ce qu’on pourrait appeler « l’art populaire » et « l’art des riches » destiné à faire l’étalage de certaines fortunes. Ceux qui ont de l’argent cherchent à être surpris par la peinture, ils aiment trouver un sens profond, caché, à l’art et aiment qu’on leur raconte des histoires. Et la plupart des gens cherchent un réalisme photographique, ils jugent  la qualité d’une peinture à sa ressemblance à une photo. Et à cause de ça aujourd’hui des styles entiers de la peinture restent dans l’ombre du « mainstream », y compris l’impressionnisme, et le professionnalisme d’un peintre n’est pas du tout la clé du succès.

Ces dernières années, certainement, ont amené une poussée pour les artistes, car un artiste s’inspire toujours des événements, et il y en a eu énormément. On observe le réveil extraordinaire de l’esprit national accompagné par une plus grande liberté d’expression ce qui influence sans doute les artistes. On s’inspire de l’héritage national, on crée les styles entiers sur cette base, on raconte sans peur ce qu’on veut raconter. Ce sont des processus qui demandent du temps, mais je voudrais croire qu’en Ukraine on connaîtra un plus grand épanouissement artistique. Ce qui l’empêche, c’est sans doute la situation économique. En Ukraine, on aime rappeler aux artistes un proverbe : « Pour créer, l’artiste doit avoir faim ». Mais avec une telle attitude, personne n’aura envie de créer.

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Quels souvenirs gardez-vous de Marioupol?

Évidemment, je garde beaucoup de souvenirs liés à ma ville natale. Il y a toujours eu dans cette ville une situation écologique déplorable. Il y a beaucoup d’industries, et les propriétaires des usines n’ont aucune envie de dépenser de l’argent pour protéger les habitants des problèmes de santé que la sidérurgie cause. Mais pour moi cette ville c’est surtout ma famille, mes années d’enfance, les moments de bonheur malgré les difficultés, les choses qui ne reviendront jamais. C’est aussi l’endroit où ma carrière artistique a commencé, où je me suis senti artiste. C’est un endroit où on a laissé beaucoup de choses, c’est un peu un fantôme des chagrins du passé, et ça me serait assez difficile d’y retourner. Marioupol aujourd’hui, en plus, a beaucoup changé suite à la guerre et la menace permanente d’invasion (à ce sujet j’ai même créé un tableau), la ville devient de plus en plus déserte avec des maisons abandonnées. Et l’esprit pro-russe hante la ville, c’était aussi une de raisons pour lesquelles ma famille ne voulait plus y rester.

Pourquoi avez-vous choisi la France pour vivre et travailler?

Je n’ai pas choisi la France, c’est la France qui m’a choisi, c’est un peu le hasard. C’est une histoire romantique comme la France. La personne que j’aime y habite, et c’est pour ça que j’étais obligé d’y déménager. Moi, je n’avais jamais de rêve d’émigrer, de vivre en Europe, j’aimais beaucoup Kyïv, mais la vie s’est tournée comme ça. J’aime beaucoup ce pays, pour moi la France est pleine de découvertes, c’est un pays très énergique, très jeune d’esprit, dirigé vers l’avenir, le pays où le patrimoine est précieusement gardé, mais le progrès est bien accueilli aussi. Et certainement, c’est un pays d’héritage culturel inestimable et de grande beauté ce qui en fait un endroit magnifique pour les artistes.

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Que pensez-vous de la situation actuelle en Ukraine?

Je pense qu’il y a du progrès malgré tous les problèmes, malgré la guerre. Bien sûr, on ne peut pas tout faire vite, mais la transformation se passe peu à peu. Malheureusement, ce n’est pas encore suffisant au niveau de la corruption, la situation est assez dangereuse, car l’État essaie de faire les économies au détriment des plus pauvres, en permettant aux oligarques de s’enrichir encore plus. C’est peut être un équilibre politique fragile que le gouvernement essaie de garder. Le peuple ukrainien s’organise et se construit lui-même sans aide de l’État, et parfois même malgré l’État. Par exemple, les gens ne veulent pas payer des impôts à cause du niveau de la corruption, mais ils aident volontiers à l’armée. Je crois que les gens se rendent déjà compte que c’est à eux d’amener leur pays à la victoire, et c’est ça la clé du succès. C’est ça en quoi la pensée de l’URSS est différente de la pensée européenne. L’homme soviétique attend toujours que le pays fasse tout pour lui, tandis que les européens font tout eux-mêmes, ils luttent pour leurs droits, ils changent leurs pays, ils prennent la responsabilité.

Qu’est-ce que les Français comprennent et ne comprennent pas dans la situation en Ukraine?

Il y a des gens très différents ici, je ne voudrais pas généraliser. Il y a ceux qui ne savent pas du tout ce qui se passe en Ukraine, ne suivent pas les actualités, ne savent pas qu’il y a un conflit et que les gens meurent, ne se rendent pas compte de ce que c’est que la Russie d’aujourd’hui. En partie parce qu’il n’y a pas suffisamment de communication de la part de l’Ukraine, on n’a pas de moyens de parler en Europe comme la Russie avec ces chaînes de télévision internationales. Mais quand même il y a aussi ceux qui savent, ceux qui aident, ceux qui expliquent aux autres, ceux qui écrivent des livres pour expliquer. En France, en Belgique il y a des gens qui envoient des camions et des camions d’aide aux soldats ukrainiens, aux orphelins ukrainiens, aux hôpitaux ukrainiens. Il y a des gens qui écrivent directement aux soldats pour les consoler, pour les inspirer, parfois pour les guérir. Dans mon entourage, la plupart de gens sont comme ça. En général, même ceux qui ne sont pas impliqués, comprennent logiquement que la Russie n’a pas raison. Mais la situation politique française est sujette à d’autres facteurs, tels que les attentats et l’islamisme, aujourd’hui la France cherche de la protection contre ça. Et la Russie en profite.

Quels sont vos projets d’avenir?

En ce moment je lance deux expositions que j’appelle «Impressionnisme ukrainien». Le but de ces expositions est de montrer l’Ukraine d’aujourd’hui en France, montrer les beautés de ce magnifique pays, et aussi ses plaies et ses problèmes. Ensuite je compte travailler sur la France, car j’ai beaucoup voyagé ici et j’ai vu beaucoup de choses magnifiques que je voudrais montrer avec ma peinture. Mais l’Ukraine aura toujours sa place dans mon art. Je compte continuer mon travail en tant qu’artiste et consacrer ma vie à la peinture, apprendre de nouvelles choses et montrer des choses au monde, promouvoir mon pays à l’étranger.

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