Un voyage contre l’image de la France

Un peu de droit international pour commencer, d’après la résolution A/68/L.39, l’ONU “Souligne que le référendum organisé dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol le 16 mars 2014, n’ayant aucune validité, ne saurait servir de fondement à une quelconque modification du statut de la République autonome ou de la ville de Sébastopol” et “Demande à tous les États, organisations internationales et institutions spécialisées de ne reconnaître aucune modification du statut de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol sur la base de ce référendum et de s’abstenir de tout acte ou contact susceptible d’être interprété comme valant reconnaissance d’une telle modification de statut.”

Nous pouvons donc considérer ce voyage comme une violation manifeste du droit international et de la résolution de l’ONU. Pour des députés qui se veulent sérieux cela commence mal. Mais bon, continuons notre petite histoire sur le voyage de nos 10 insignifiants parlementaires français dans le monde poutinien d’un roi Ubu moscovite.

C’est donc à l’initiative de l’association “Dialogue franco-russe”, dont on connaît la partialité au sujet de la politique russe, que nos dix parlementaires français ont entrepris jeudi dernier un voyage en Russie avec aussi un passage en Crimée, partie de l’Ukraine annexée par Moscou après un référendum contesté.

Ce voyage de ces dix parlementaires en Russie puis en Crimée a déjà fait l’objet de nombreuses critiques. Sur les participants, huit appartiennent au parti Les Républicains : Thierry Mariani, Nicolas Dhuicq, Claude Goasguen, Jacques Myard, Patrice Vercère, Sauveur Gandolfi-Scheit et Marie-Christine Dalloz. Dans cette délégation figurent également le sénateur UDI de Paris Yves Pozzo di Borgo et le député radical de Charente Jérôme Lambert. Tous des premiers de la classe avec de jolies têtes de vainqueurs. En effet, à l’exception de Thierry Mariani les autres parlementaires rivalisent d’insignifiance sur la scène politique française.

Nous allons nous intéresser rapidement à notre petit groupe. Thierry Mariani, co-président du “Dialogue franco-russe”, dont la connaissance réelle et exacte de la Russie se résume à sa femme  et aux grands hôtels de luxe, est à la tête d’un groupe de députés qui partage un anti-américanisme et une opposition systématique à l’Union européenne. Le sénateur UDI de Paris Yves Pozzo di Borgo qui propose de détruire une partie de l’Ambassade des États-Unis à cause des écoutes de la NSA. Nicolas Dhuicq qui est l’un des députés UMP qui a voté contre le Pacte budgétaire européen en octobre 2012. De même, en septembre 2014 il a accompagné 13 autres parlementaires français à Moscou pour exprimer son soutien au régime russe et rencontré des personnalités faisant l’objet de sanctions internationales. Claude Goasguen qui a été notamment président de la Corpo d’Assas, partisan de l’Algérie française, soutien de Jean-Louis Tixier-Vignancourt (candidat d’extrême droite à la présidentielle de 1965). Jacques Myard qui est l’un des deux députés UMP qui ont votés contre la loi autorisant la modification de la Constitution en vue de la ratification du traité de Lisbonne le 16 janvier 2008 après s’être engagé en faveur du « non » lors de la campagne du référendum français sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe (2005).  Patrice Vercère est aussi l’un des députés UMP qui a voté contre le Pacte budgétaire européen en octobre 2012. Sauveur Gandolfi-Scheit qui en septembre 2010 est condamné par le Tribunal Correctionnel de Lyon à 6 mois de prison avec sursis pour coups et blessures sur son assureur Gino Vairelles. Marie-Christine Dalloz : ce voyage fera enfin parler d’elle car elle est totalement inconnue. Jérôme Lambert, le 25 juin 2013 est le seul député du groupe Socialiste, républicain et citoyen à s’abstenir sur le projet de loi sur la transparence de la vie publique.

Vendredi dernier, le patron des députés PS au Parlement a qualifié de “honte” ce déplacement. “C’est une honte que ces dix parlementaires se rendent en Crimée sans avoir le moindre rapport avec les autorités ukrainiennes, a déclaré Bruno Le Roux, sur France info. C’est une soumission et une honte pour le Parlement français.” Bruno Le Roux figure parmi les 89 personnalités européennes auxquelles la Russie de Poutine a décidé d’interdire l’accès à son territoire en riposte aux sanctions européennes.

Mercredi dernier, la veille du départ des élus pour la Russie, Laurent Fabius s’était dit lui “choqué” par cette attitude. Il s’agit en effet du tout premier voyage de parlementaires français en Crimée après son annexion par la Russie de Poutine au terme d’un référendum en 2014, non-reconnu par la communauté internationale, qui avait approuvé à 95% ce rattachement. Rattachement qui a été imposé par la force des armes avec une assemblée prise d’assaut et cernée par les “petits hommes verts”.

Ces 10 parlementaires ne représentent en aucun cas la France et le gouvernement français ni le Parlement. Ils ont effectué ce voyage en leur nom propre et donc toutes leurs déclarations ne concernent qu’eux-mêmes, n’impliquent qu’eux-mêmes. Mais pour le Kremlin ce voyage est une nuisance jetée sur la politique française et une tache sur l’image de la France.

Olivier VEDRINE