La série télévisée « Tchornobyl » est devenue un véritable succès pour ses créateurs. L’histoire de la plus grande catastrophe technologique du monde a été appréciée à la fois par les spectateurs et les critiques : environ un million de personnes ont regardé la série et un grand nombre de médias en ont parlé. « Tchornobyl » a été tourné dans une atmosphère, de façon dramatique et avec une grande attention portée aux détails de la vie soviétique, qui ont été transmis aussi fidèlement que possible. Immédiatement après la première, le public a commencé à discuter de la précision avec laquelle il transmettait l’esprit du temps et les détails de la catastrophe.
La série est également devenue très populaire en Ukraine, où des millions de personnes se souviennent bien de 1986. De nombreux médias ont analysé ce qui relevait de la vérité et ce qui relevait de la fiction artistique dans ce film. L’UCMC, qui a publié un grand article sur Tchernobyl au printemps 2016, à l’occasion du 30e anniversaire de l’accident, a également tenté de comprendre ce qui était vrai et ce qui était fiction.
Nos sources, qui nous permettent d’évaluer la pertinence du film par rapport aux événements liés à la catastrophe, sont les témoignages récents de deux témoins directs de l’accident, ainsi que d’importants livres et documentaires consacrés à Tchornobyl.
Nos témoins sont Olexiy Breus, qui était ingénieur principal au 4e réacteur de la centrale en 1986. Son lieu de travail est cette même console qui figure dans le premier épisode de la série «Tchornobyl» de HBO. Il est arrivé au travail dans la matinée, alors que la tragédie s’était déjà produite. Son témoignage a été recueilli par les journalistes du service ukrainien de la BBC . C’est Breus, un jeune spécialiste de 27 ans à l’époque, qui a appuyé sur le dernier bouton du réacteur 4. Olexiy Breus a vu et communiqué personnellement avec les employés de la station, qui sont ensuite devenus les prototypes des personnages de «Tchornobyl». Au cours de tous ces événements, il a reçu une exposition importante (120 rem au standard soviétique de 5 rem par an), après quoi les médecins lui ont interdit de travailler sur des sites radioactifs. Plus tard, Olexiy Breus a travaillé comme journaliste. Aujourd’hui il vit à Kiev, il a 60 ans.
Un autre témoignage important est l’interview de Borys Stolyartchuk, ingénieur en chef de la gestion des réacteurs. Il était personnellement présent au tableau de commande du 4e réacteur lors de la garde de nuit le 26 avril 1986. Il participait directement à l’expérience et a assisté à l’explosion. Stolyartchuk est l’un des rares à avoir survécu à l’épicentre de la tragédie. L’interview a été enregistrée par l’auteur principal de l’édition ukrainienne de LB Sonya Koshkina pour le projet Kishkina en novembre 2018.
En outre, notre source est le livre «Tchornobyl: l’histoire de la tragédie» de l’historien ukrainien Serhiy Plokhiy, professeur d’histoire ukrainienne et directeur de l’Institut scientifique ukrainien de l’Université Harvard aux États-Unis. En novembre 2018, ce livre, publié par l’éditeur anglais Allen Lane, a remporté le prix Baillie Gifford, le prix littéraire britannique le plus prestigieux dans le genre non-fiction. Un autre livre classique est «La prière de Tchernobyl» de Svetlana Alekseevitch, lauréate du prix Nobel.
En réalité, l’histoire est un peu différente. Valery Légasov s’est vraiment suicidé et a laissé les cassettes audio derrière lui, bien qu’il ne les ait pas cachées derrière la grille de ventilation. De plus, cette tentative de suicide n’était pas la première pour lui. Un an plus tôt, un académicien avait tenté de mettre fin à sa vie avec une dose mortelle de somnifères. Mais les médecins l’ont alors sauvé en 1987. Les causes du suicide étaient nombreuses. Légasov est devenu un héros en Occident grâce à son rapport honnête sur la catastrophe nucléaire de Tchornobyl. Mais les dirigeants soviétiques ne l’aimaient pas : il n’a pas reçu l’étoile du héros de l’URSS, bien que la candidature de Légasov au prix ait déjà été annoncée. En outre, un an et demi après la tragédie, des collègues se sont mis à douter sur la méthode utilisée par Légasov pour éteindre le feu du réacteur.
Ce coup porté à son égo, ainsi que le fait que ses collègues aient rejeté ses projets visant à renforcer la sûreté des réacteurs nucléaires ont poussé le scientifique au suicide. En tout cas, selon l’historien Serhiy Plokhiy dans le livre «Tchornobyl». Plus tard, un documentaire «Après Tchornobyl. Académicien Légasov» a été tourné pour décrire sa vie et son rôle.
«Ce jour-là, j’ai vu Akimov et Toptunov. Ils étaient dans mauvais état. On voyait qu’ils allaient très mal, ils étaient très pâles, Toptunov était littéralement blanc. Et puis à l’hôpital, comme on me l’a raconté, sa peau s’était noircie. J’ai vu d’autres collègues qui travaillaient la nuit – ils étaient très rouges.
«Il y a un épisode dans le film, une personne qui a visité un réacteur ressort et sur ses vêtements, il y a des taches rouges. Il est difficile de dire si les radiations brûlent si vite. Mais ceux que j’ai vus rouges, sont tous morts ».
Selon Serhiy Plokhiy, au total, le lendemain de la catastrophe de Tchernobyl, 126 personnes ont été hospitalisées. Mais la transformation ultérieure des liquidateurs victimes des radiations est transmise comme une futilité, y compris la période « invisible » au cours de laquelle les brûlures passent et il semble que le patient se remet.
La scène de funérailles dans les deux premières semaines après l’accident est aussi réelle. Ils sont également enterrés dans deux cercueils : bois et plomb, et la tombe a été remplie avec du béton.
Dans le même temps, des informations sur l’incendie sont inexactes. Olexiy Breus a déclaré: «Tout le monde a entendu parler d’un incendie sur le toit et craignait que le feu ne se propage au bloc suivant et ne se développe. Mais le feu sur le toit est un mythe. Il n’y a pas eu d’incendie, comme le disent les pompiers eux-mêmes et les opérateurs présents sur place.
«Il y avait des incendies locaux, ils ont été rapidement éteints. Et sur le toit, il y avait des pompiers qui versaient de l’eau dans le réacteur chaud qui avait explosé. Cependant, si, dans le mode habituel, on verse 48 000 tonnes d’eau par heure dans le réacteur, cette fois-ci, la chaleur était si importante que l’eau aurait dû s’évaporer sans même arriver jusqu’au réacteur. Mais les pompiers ont dû remplir une telle tâche, ils ont été mis là et ils éteignaient le réacteur.
«Et c’est à cause de cela qu’ils sont morts plus tard. Il s’agit de cinq pompiers du service d’incendie de Pripyat, dont Vassily Ignatenko. Et le sixième pompier mort est Volodymyr Pravik, chef de la garde du service des incendies de la centrale de Tchornobyl.
«Sans diminuer leur héroïsme, la question demeure: était-il nécessaire d’éteindre le réacteur ainsi?», résume Olexiy Breus.
Olexei Breus a déclaré: « La réunion, décrite dans le film, au cours desquelles des volontaires ont été choisis, n’a jamais existé. Ce travail a été planifié à l’avance. La décision sur la nécessité de retirer l’eau au-dessous du réacteur a été prise quelque part en haut, ensuite confiée à la commission gouvernementale, aux dirigeants de la centrale nucléaire et à eux de trouver des plongeurs. Ils ont trouvé Ananenko, Bespalov et Baranov … Ils n’étaient pas volontaires. Cela ne diminue pas complètement leur héroïsme. Bien sûr, ils n’avaient pas de scaphandres autonomes ou bathyscaphe. Ils avaient une combinaison en plastique transparent, la tête ouverte ».
«Les niveaux de rayonnement, bien sûr, étaient élevés, beaucoup plus élevés que les conditions normales. Mais pas catastrophiques, ils n’y ont pas contracté la maladie des radiations. Chaque fois qu’ils pouvaient, ils ont couru pour réduire les effets des radiations».
On craignait que la « lave » ne descende non seulement au niveau de la piscine que les plongeurs ont vidée, mais plus loin jusqu’aux eaux souterraines. Pour arrêter cela, ils ont essayé de percer un tunnel pour faire passer de l’azote liquide et saisir la lave. Mais finalement, il s’est avéré que ce n’était pas nécessaire, l’azote n’a pas été utilisé.
«En revanche, les mineurs ont tout fait et ont été irradiés. Ils n’ont pas reçu les doses d’irradiation dans le tunnel, qui était en réalité un dépôt de radiations, mais quand ils sortaient pour boire et fumer. Ils enlevaient les appareils respiratoires, se déshabillaient, pas entièrement comme dans le film, mais se déshabillaient tout de même… », raconte Olexiy Breus. La scène entre les mineurs et le ministre de l’Énergie n’a pas l’air pas très convaincante.
Cette scène est plutôt une convention artistique. «Je sais que les gens se sont vraiment rapprochés de la centrale pour regarder ce qui se passait », explique Olexiy Breus. « À l’hôpital, j’étais dans une pièce avec a un garçon, un étudiant qui s’était rendu sur le pont à vélo le 26 avril. Il a reçu la dose d’irradiation à partir de laquelle une maladie par radiation classique du premier degré s’est développée. C’est-à-dire qu’il suffisait d’approcher le lieu de la catastrophe pour tomber malade ».
«Mais je n’ai pas entendu parler des personnes qui sont allées massivement regarder l’incendie dans la nuit. Je pense que c’est une convention artistique».
En réalité, Légasov a en fait inventé le moyen d’éteindre le réacteur, mais même dans la composition du mélange, il y avait aussi du plomb. Une scène avec un hélicoptère est une aventure artistique : un hélicoptère est vraiment tombé, mais en octobre 1986. L’hélicoptère était censé verser de l’eau sur le toit du réacteur pour empêcher la propagation de la poussière de radiation, mais des pales de l’hélicoptère se sont accrochées au câble d’une grue et l’appareil est tombé à côté du réacteur.
En réalité, comme l’explique Plokhiy dans son livre, Dyatlov n’a pas insisté sur le fait qu’un réservoir de refroidissement avait explosé. L’ingénieur en charge des réacteurs, Borys Stolyartchuk, a également déclaré qu’il n’y avait pas eu de discussions sérieuses entre les travailleurs. Il a également déclaré que le procès de Dyatlov et de ses collègues était un procès des personnes rendues responsables dans cette affaire.
Un an après l’explosion, lors d’un procès contre les dirigeants de la centrale nucléaire de Tchornobyl, Dyatlov a reconnu qu’il n’avait pas réussi à rétablir le travail du réacteur après une chute soudaine de sa puissance. Mais selon sa version, la cause principale de l’accident est l’imperfection du réacteur lui-même.
«Le film redonne très bien l’ambiance émotionnelle qui prévalait alors parmi le personnel et les autorités. En fait, personne ne savait comment agir. Nous, les opérateurs, les dirigeants de la station, les responsables, Gorbatchev… personne ne le savait, car il n’y a jamais eu des situations comme ça auparavant. Mais c’est normal dans une telle situation: il faut du temps pour déterminer ce qui s’est passé et ce qu’il faut faire par la suite», déclare Olexiy Breus.
«En ce qui concerne les personnages des personnalités clés de la catastrophe de Tchornobyl, tels que le directeur Bryukhanov, l’ingénieur en chef Fomine, l’ingénieur en chef adjoint Dyatlov, alors là, la série n’est pas qu’une convention artistique, mais carrément un mensonge», dit-il.
«Leurs personnages sont complètement déformés, très méchants. En fait, ils n’étaient pas comme ça. Je pense que Dyatlov, qui a dirigé les tests cette nuit du 26 avril au quatrième bloc, est devenu le principal anti-héros de la série, car c’est ainsi qu’il était perçu par les employés subordonnés de la centrale et les opérateurs subalternes, après l’accident. Mais c’était la première impression. Puis ils ont changé d’avis.
C’était vraiment un homme dur, on avait peur de lui. Lorsqu’il est arrivé au travail, c’était un événement qui mettait tous les efforts à rude épreuve. Cependant, Dyatlov était toujours un spécialiste de haut niveau (…) et la cause de l’accident n’était pas dans son style autoritaire, mais dans les défauts du réacteur … », explique Breus.
Vous trouverez ici les souvenirs vidéo de Dyatlov, décédé d’une crise cardiaque en 1995, et sa version des événements.