Quelques jours avant sa mort tragique, Wassyl Slipak, chanteur d’opéra et volontaire sur le front d’Ukraine a donné son dernière interview à la chaîne biélorusse BELSAT. L’UCMC a publié cette interview traduite en français.
La dernière vidéo de Wassyl Slipak : «Les portes-paroles officiels ne disent pas toute la vérité sur le front ou alors ils la passent sous silence».
J’habitais provisoirement en France, en exil, et maintenant je suis là pour défendre l’Ukraine. Sans vouloir émigrer où que ce soit, je suis parti en France après avoir gagné un concours international grâce auquel j’ai eu la possibilité de participer régulièrement à des concerts et des festivals. À un moment donné on m’a proposé de rester. Je n’avais pas l’intention de rester, mais en entrant en France avec mon premier visa de deux mois, j’y suis resté 20 ans. Voilà toute mon histoire et je ne sais pas comment l’interpréter.
Pourquoi as-tu décidé d’échanger la France glamour contre une tranchée où tu es assis là?
Qui a dit que le Donbass n’est pas glamour? C’est nous qui choisissons ce qui est glamour. Je ne vois rien de grave dans le fait d’échanger un lit confortable contre un caveau blindé.
Quel effet cela fait-il pour l’homme de culture artistique que tu es de tenir les armes?
Ce sont justement les gens de culture qui sentent le mieux l’injustice, les hommes et les femmes de l’art ont une sensibilité particulière face aux évènements qui se passent. Je ne vois aucun problème dans le fait que, lorsque les dirigeants de l’Etat se rendent impopulaires, les autres, à savoir, les intellectuels, les gens de culture et d’art, et tous les autres prennent les armes. C’est un moment très important pour l’État. Le sentiment naturel pour n’importe quel peuple dans le monde est de prendre les armes afin de résister à l’agresseur qui tue par milliers ton peuple. Comment peux-tu rester à la maison et ne pas le faire ou ne pas aider ceux qui le font?
On dit que chacun doit faire son devoir…
On me le reproche très souvent, et je réponds simplement que c’est mon choix personnel. Je n’ai pas abandonné ma profession, ni mes activités, que ce soit le bénévolat ou les actions citoyennes que l’on fait pour l’Ukraine. Tout se passe en parallèle, simultanément. Je me sens obligé de me trouver ici aussi, sur la première ligne de défense, et c’est mon choix personnel. Je réponds que c’est moi qui l’ai choisi quand on s’indigne qu’un chanteur d’opéra arrive sur le front. Notre peuple adore les héros et c’est compréhensible. Moi, je ne le prends pas au sérieux. Jusque là, j’y allais de temps en temps pour de courtes périodes d’un mois, sauf que maintenant j’ai la possibilité de consacrer plus de temps et j’y resterai autant que je peux.
Il est très important d’avoir une information directe même en dehors de l’activité de bénévole. Par rapport à ce qui se passe ici, les portes-paroles et les médias officiels préfèrent mentir que dire la vérité, ou ils la passent sous silence. Je trouve cela criminel. Le manque d’information est criminel puisqu’on ne peut pas demander l’aide européenne ou insister sur le prolongement et le renforcement des sanctions sans dire la vérité sur ce qui se passe ici. En France, on ne sait toujours pas si cette guerre est de nature civile ou interétatique, entre l’Ukraine et la Russie. Tout le monde se pose des questions, pas uniquement le peuple ukrainien qui se trouve dans une situation vraiment grave, mais aussi les pays qui sont, on peut dire, nos alliés.
Les dirigeants doivent prendre les décisions qui permettent de mettre un terme à cette guerre sanglante, tandis que leurs actions actuelles cherchent plutôt à continuer ou à geler le conflit. Le fait est que le peuple ukrainien ne le veut pas et avant tout le peuple du Donbass ne le veut pas. Sur les sites on scande «Save Donbass people!». Mais ce qu’ils veulent en réalité, j’en suis sûr, c’est d’achever au plus vite cette guerre. Nous, le peuple ukrainien, on ne veut plus perdre les meilleurs fils de notre patrie, perdre des villages et des territoires. Tout ce qu’on veut c’est achever la guerre provoquée par l’agression de la Russie et poursuivie en raison de l’absence de position officielle de Kyiv. On aurait pu l’achever il y a longtemps, les bénévoles auraient pu la gagner si on ne les avait empêchés avec les paperasses de Minsk.