Le 9 décembre 2019, le très attendu sommet au format Normandie s’est tenu à Paris. Contrairement aux craintes de nombreux analystes ukrainiens, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a peu d’expérience en politique, n’est pas devenu une «proie facile» pour Vladimir Poutine. A l’issue du sommet, les participants à l’action «Pas de capitulation», qui a eu lieu à Kyiv, ont annoncé la suspension de la manifestation. En d’autres termes, la reddition des intérêts nationaux qu’ils craignaient n’a pas eu lieu.
Le président ukrainien a réussi à éviter bon nombre des pièges et des risques de cette réunion et a même remporté plusieurs victoires tactiques au cours des pourparlers. Lesquels et à quoi s’attendre ensuite, lisez plus loin dans l’article de l’UCMC.
La réunion des quatre dirigeants et une conférence de presse conjointe ont dévoilé ce que l’on savait depuis longtemps: les parties russe et ukrainienne n’ont pas de vision commune pour résoudre la situation dans le Donbass. Les discours de Zelensky et de Poutine l’ont clairement démontré: ils ont décrit des réalités différentes. L’Ukraine cherche à restaurer son intégrité territoriale par le retour du Donbass et de la Crimée, à rétablir le contrôle de ses frontières, refuse de se fédéraliser, cherche à préserver un État unitaire dont la politique étrangère est déterminée par le peuple. Le président Zelensky a pu exprimer clairement et publiquement cette position lors d’une conférence de presse conjointe à Paris.
Il a également précisé que la Crimée est ukrainienne, que l’Ukraine ne mènera aucune négociation avec les républiques fantoches, ce que souhaiterait Vladimir Poutine. «L’Ukraine et moi, en tant que président, refusons de mener des négociations directes avec les représentants du pouvoir illégal des territoires temporairement occupés », a assuré Volodymyr Zelensky.
La Russie, à son tour, cherche à faire passer le conflit armé dans l’est de l’Ukraine pour un conflit interne, pour un conflit civil. La Russie demande la mise en œuvre des accords de Minsk signés par les pays du format Normandie en février 2015, dans les conditions de la pression militaire de la Russie, lors de l’attaque des troupes russes sur Debaltseve. Aujourd’hui, la Russie exige la mise en œuvre de ces accords, en particulier en mettant l’accent sur les aspects politiques: octroi d’un statut spécial pour les territoires occupés inscrits dans la Constitution ukrainienne, élections dans les territoires avant l’instauration du contrôle de la frontière d’État, amnistie pour les militants, etc.
Qu’est-ce qui a été convenu?
Malgré les objectifs stratégiquement différents et les visions différentes du conflit entre l’Ukraine et la Russie concernant le Donbass, les parties ont réussi à franchir plusieurs étapes tactiques pour désamorcer et poursuivre les négociations.
Échange de prisonniers d’ici la fin de l’année. Ce sont ceux qui sont détenus sur le territoire des soi-disant Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk, pas tous, car certains sont dans les prisons de la Fédération de Russie. Comme l’a expliqué le président Zelensky en communication avec des journalistes ukrainiens, l’accord est limité par les prisonniers détenus dans des « caves du Donbass ». Les prisonniers d’opinion et les Ukrainiens détenus illégalement dans les prisons de Russie, ainsi que les prisonniers de Crimée occupée ne seront pas échangés. Zelensky n’a pas su se mettre d’accord avec Poutine.
«Pour commencer, nous nous sommes mis d’accord: toutes les personnes définies contre toutes les personnes définies. Maintenant, ils vont nous montrer les listes. Il s’agit pour l’instant du Donbass. Faisons le premier pas. C’est un grand pas en avant car 72 personnes peuvent rentrer chez elles », a-t-il déclaré.
Déploiement de troupes dans trois zones (non-précisées) supplémentaires d’ici mars 2020. Angela Merkel a mentionné au début de la conférence de presse qu’il s’agissait des zones aux abords de Stanytsya Louhanska et Petrovske.
Prolongation du mandat de l’OSCE. Il s’agit de surveiller le front 24 heures par jour, car les observateurs achèvent généralement leur travail avant la nuit. Cela rendait leurs rapports peu liés à la réalité car les combattants ont tendance à tirer sur des positions ukrainiennes la nuit. Cependant, l’OSCE n’a pas encore accepté d’accorder aux observateurs l’autorisation de patrouiller de nuit pour des raisons de sécurité.
Cessez-le-feu complet à la fin de l’année (ces cessez-le-feu ont été conclus régulièrement, mais ont été constamment rompus). Durant la seule journée de la réunion en format Normandie, trois militaires ukrainiens ont été tués.
Les parties ont également convenu que la prochaine réunion au format Normandie se tiendrait d’ici mars 2020.
Qu’est-ce qui n’a pas été convenu?
Rétablissement du contrôle des frontières par l’Ukraine. Le texte des accords de Minsk indique que l’Ukraine récupérera le contrôle à la frontière après les élections. Mais il est évident que sans contrôle de la frontière, il est impossible de considérer le territoire comme étant désoccupé, de mener une campagne électorale honnête et de suivre la situation. Des élections démocratiques libres ne peuvent pas avoir lieu sur ce territoire. Par conséquent, Volodymyr Zelensky a clairement déclaré que l’Ukraine devrait récupérer le contrôle de la frontière avant les élections. La Russie n’est pas d’accord avec ceci.
Tenue d’élections locales dans le Donbass. Les partis ne sont pas parvenus à s’entendre sur le déroulement des élections. Selon la partie ukrainienne, les élections devraient être la dernière étape de la désoccupation des territoires, qui devrait commencer par le retrait de toutes les formations militaires. Aucun progrès n’est réalisé sur cette question pour le moment.
Minsk flexible?
La volonté des partenaires occidentaux de l’Ukraine de considérer avec plus de souplesse les accords de Minsk représente une certaine victoire diplomatique. Rappelons que l’Ukraine a signé le deuxième Protocole de Minsk en février 2015 et qu’il contient des éléments qui ne sont pas dans l’intérêt de l’Ukraine. En particulier, sur le contrôle aux frontières.
Une lecture littérale de «Minsk» indique que les élections sur les territoires occupés se déroulent sans contrôle de la frontière. Mais cela n’a pas de sens, affirment-ils à Kyiv, car cela signifiera que la frontière restera ouverte aux groupes de renseignement et de sabotage, aux mercenaires et aux armements russes. Les autorités ukrainiennes estiment que la tenue d’élections équitables est impossible dans ces conditions.
C’est le document le plus problématique de l’hiver 2015, le 9ème paragraphe qui stipule: d’abord les élections dans le Donbass, puis le rétablissement du contrôle de la frontière.
Cette controverse autour de ce point a conduit dans une impasse tous les précédents pourparlers en format Normandie et ceci a duré trois ans, puisque la dernière réunion en format Normandie a eu lieu en 2016.
Après tout, la question que l’Ukraine pose depuis plusieurs années : est-il possible de modifier les accords de Minsk? Est-il réaliste de le faire pour que les changements soient avantageux pour l’Ukraine?
Lors du sommet Normand du 9 décembre 2019, l’équipe du président Macron a fait savoir que les propos de Zelensky sur le fait de vouloir voir ce changement « seraient légitimes ».
Berlin a également soutenu cette position. La chancelière allemande Angela Merkel a soutenu Zelensky dans l’idée de tels changements, et c’est une très bonne nouvelle pour l’Ukraine. « La question est de savoir si ce document (accords de Minsk) est définitivement fixé, ou s’il peut être modifié. Le président Zelensky a suggéré de le changer … Nous espérons que ce document (accords de Minsk) sera à nouveau flexible et qu’il sera réanimé », a-t-elle souligné.
Cet épisode est important en tant qu’illustration du soutien international de l’Occident à l’Ukraine dont les ukrainiens commençaient à douter. Plus important encore, cette « ligne rouge » était également inviolable pour le président Zelensky.