À Kyïv, le 25 avril 2015 – Antoine Arjakovsky, historien français, co-directeur du pôle « Société, Liberté, Paix » au Collège des Bernardins, directeur émérite de l’Institut d’Études Œcuméniques de Lviv, philosophe et théologue a présenté la version ukrainienne de son livre « Russie-Ukraine, de la guerre à la paix? » lors d’une conférence de presse à l’Ukraine Crisis Média Center.
« Les intellectuels et les politiciens français ont tendance à se laisser influencer par la propagande russe. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre en essayant d’expliquer les processus qui se sont déroulés en Ukraine de novembre 2013 à aujourd’hui », a déclaré Arjakovsky.
Dans son livre, l’historien a tenté d’expliquer les raisons de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Une des explications est basée sur la comparaison du conflit russo-ukrainien actuel avec le conflit historique entre la France et l’Allemagne, quand au XIX siècle, toutes les deux revendiquaient le statut d’héritière unique de l’Empire Romain. « La Russie et l’Ukraine mènent le même combat pour le rôle d’héritière de la Rus’ de Kyïv. Depuis le XIX siècle, les deux pays proposent une historiographie exclusive : Karamzine en Russie et Grouchevskiy en Ukraine, écrivant chacun que leur pays est le seul successeur de la Rus’ de Kyïv », a-t-il expliqué.
« C’est la base de cette guerre et les historiens doivent expliquer qu’un mythe c’est trés bien, car il aide à former l’identité nationale mais en même temps, les mythes de ce genre sont dangereux. Il faut se tourner vers l’historiographie critique » a déclaré Arjakovsky.
Une autre thèse très importante de ce livre est une critique de la conception de Samuel Huntington sur sa théorie « Le Choc des civilisations ». « Je critique activement Huntington car selon sa conception, la paix entre l’Ukraine et la Russie ne sera possible qu’une fois que l’Ukraine sera divisée en deux parties. La partie catholique de l’Ouest qui tend vers la Pologne, appartiendra à la civilisation occidentale et la partie orthodoxe, qui tend vers la Russie appartiendra à la civilisation orthodoxe ».
Selon Arjakovsky, l’Ukraine contredit à cette théorie, car c’est un pays bilingue, biculturel et même œcuménique. « Elle garde les traces de la civilisation romaine et de la civilisation byzantine et c’est un cas unique en Europe. Il faut bien comprendre que c’est ce qui fait la différence entre l’Ukraine et d’autres pays. Si nous parvenons à le comprendre, nous parviendrons à comprendre le reste » a-t-il souligné.
L’expert a décrit les mesures à prendre pour sortir de ce conflit.
« Il faut que la Russie fasse le même chemin que celui que la France a parcouru dans les années 60. Elle doit se rendre compte qu’elle est un empire et reconnaître que la Crimée était une colonie. Ensuite, il faut procéder à une décolonisation », a-t-il ajouté.
« Le soutien économique de l’Ukraine doit devenir la priorité pour les États-Unis et l’Europe pour qu’elle puisse réaliser tous les réformes nécessaires. Il est aussi très important d’armer l’Ukraine et de lui apporter un soutien diplomatique. L’Europe doit faire comprendre à la Russie qu’elle ne veut pas d’affrontement, que l’Europe n’est pas contre la Russie, que le projet « Grande Europe » est toujours envisageable ».
Antoine Arjakovsky a souligné que le peuple ukrainien doit soutenir le gouvernement mais que le gouvernement doit aussi travailler davantage avec la société et la privilégier. « En Europe, nous admirons ce qui se passe en Ukraine, mais nous voyons aussi que la situation reste très fragile et nous considérons que le pouvoir doit coopérer davantage avec la population. Et pour que la voix de l’Ukraine soit entendue en Occident, il faut augmenter la présence médiatique de l’Ukraine en Europe ».