Vous vous demandez à quoi sert l’open data ? Allez voir en Ukraine

                                                                                      Articlé publié sur L’Obs avec Rue 89 le 2 novembre 2015

 

L’ONG Nashi Groshi (Notre argent) traque la corruption en Ukraine. Son arme : les immenses bases de données publiques mises à la disposition de tous. Jusqu’à une affaire à 1,82 milliard de dollars.

Au mois de janvier 2015, alors que l’équipe de l’ONG ukrainienne Nashi Groshi (Notre argent) fait son tour habituel des décisions de justice, quelque chose attire son attention  : une plainte d’une entreprise locale, qui a contracté un prêt de plus de 30 millions de dollars pour acheter des machines en Angleterre. Les machines ont été payées à l’avance, mais n’ont ensuite jamais été importées en Ukraine. La cour de justice réclame donc que la société britannique rembourse l’entreprise ukrainienne, tout en consacrant la validité du prêt.

Les enquêteurs de Nashi Groshi sont immédiatement suspicieux. Pour commencer, le montant du prêt est inhabituel, tout comme le fait qu’il ait été contracté en dollars et non dans la monnaie locale. Surtout, le prêt a été contracté auprès de Privat Bank, une banque possédée notamment par l’oligarque Igor Kolomoïski, troisième fortune d’Ukraine. Enfin, la période est sensible. Irina Sharpinska, membre de Nashi Groshi et qui a travaillé sur cette affaire, explique :

«  A cette époque, la banque centrale d’Ukraine venait de refinancer plusieurs banques, dont Privat. Nous étions donc particulièrement attentifs à tous ces cas impliquant des banques. »

Et de fait, Nashi Groshi va ce mois-là révéler l’une des plus importantes affaires de fuite de capitaux que l’Ukraine ait connue ces dernières années.

L’Ukraine, leader des données ouvertes

Nashi Groshi est une des nombreuses ONG ukrainiennes qui traquent et dénoncent la corruption dans le système politique et économique du pays. Et pour divulguer l’étendue des malversations commises, l’organisation dispose d’une arme redoutable  : les registres d’Etat.

Car, alors que le pays lutte péniblement pour mettre sa législation et son système économique aux standards européens, les données ouvertes représentent un domaine où l’Ukraine n’a rien à apprendre de l’Ouest. Des dizaines de registres permettent de consulter très simplement un ensemble d’informations sur des personnes, des sociétés ou des propriétés foncières, et ainsi de relever des incohérences parfois révélatrices de cas de corruption. Arachnys Compass, un site compilant des adresses de bases de données de registres commerciaux à travers toute la planète, place ainsi le pays à la quatrième position de son classement mondial en la matière (la France est sixième).

Cette fois-ci, c’est le registre des décisions de justice qui va représenter le départ de l’investigation. Cette énorme base de données concentre toutes les décisions de toutes les cours de justice ukrainiennes. Un matériel formidable, que Nashi Groshi met très régulièrement à profit, notamment pour identifier des appels d’offres frauduleux.

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