On peut affirmer indéfiniment que la politique n’a rien à voir avec le sport. En fait, la politique est toujours liée aux domaines où circulent de grosses sommes d’argent, y compris le sport. Surtout le football.
Les 14-15 mai 2016, l’Ukraine a vu le dernier tour de la «Première-ligue», son championnat national de football. Ici on ne parle plus du principe sportif, mais des facteurs politiques et économiques. L’Ukraine Crisis Media Center a fait une recherche pour comprendre pourquoi les clubs de football meurent en Ukraine.
Dans les années 90, à la fin de la période de stagnation due à la désintégration de l’Union Soviétique, et au début de la reprise économique dans les années 2000, les clubs de football ukrainiens ont commencé à prendre de l’essor, atteignant le sommet de leur gloire en 2010. Les clubs ukrainiens sont devenus des participants permanents des compétitions européennes «play-off», leurs propriétaires achetaient des joueurs étrangers prometteurs. Cet «âge d’or» du football ukrainien a été en même temps «l’âge d’or» des clans oligarchiques qui le finançaient, pour la plupart il s’agissait des représentants l’ancien «Parti des régions».
Le football comme divertissement des oligarques
Presque tous les propriétaires des clubs de football ukrainiens sont des oligarques ou des figures politiques sorties des groupes oligarchiques. Ces gens savent gagner de l’argent, mais le football n’a jamais été vu comme «un business». Pour eux, c’était une sorte de jouet, une version contemporaine des combats de gladiateurs, un loisir – c’est à dire quelque chose qui donne du plaisir mais exige un certain financement. Les oligarques pouvaient se permettre un tel divertissement car ils avaient une autre poche où ils pouvaient prendre l’argent.
Les événements de la Révolution de la Dignité ont bouleversé la disposition des forces politiques dans le pays. Les représentants du «Parti des régions», constituant l’ossature de la direction des clubs de football, ont perdu des positions clés sur l’arène politique ukrainienne. Certains parmi eux ont subi d’importantes pertes dans leurs affaires, d’autres ont dû quitter le pays et ont été assujettis aux sanctions qui ont impacté leur situation financière. Certains s’ennuyaient de ne pas s’occuper du football, mais l’habitude aidant, ils ont continué à contrôler leurs clubs.
Les propriétaires exilés
Alexandre Iaroslavsky, homme d’affaires ukrainien, a développé «Métalliste», le club de Kharkiv, qui a gagné successivement 6 médailles de bronze au championnat Ukrainien et a participé aux compétitions pour la coupe d’Europe. Plus tard M. Iaroslavsky a vendu le club à Sergiy Kourtchenko, représentant de la «famille» de Victor Ianoukovitch, qui était à l’époque Président de l’Ukraine. Il a confessé plus tard qu’on l’a forcé à vendre l’équipe. En février 2014, M. Kourtchenko s’est enfui en Russie. Un mois plus tard, le Bureau du Procureur Général a lancé un avis de recherche et ses comptes ont été gelés. Après cela le financement normal de l’équipe «Métalliste» s’est arrêté.
Le club est tombé en ruines: l’entraîneur a donné sa démission, les joueurs n’ont pas été payés à temps. Plus tard, on a coupé l’électricité et l’eau à la base du club et la Cour a saisi ses biens. Au début de l’année, l’ancien avant du «Métalliste» et de l’équipe nationale ukrainienne, Marco Devitch a effacé une dette de 350 000 dollars à son équipe, mais cela ne l’a pas sauvée: le montant total de la dette de «Métalliste» a déjà dépassé 25 millions de dollars.
Il est très probable que «Métalliste», l’un des plus anciens clubs d’Ukraine, disparaisse du niveau professionnel. Compte tenu de la crise économique en Ukraine, l’apparition d’un sauveur prêt à se charger d’une dette de 25 millions de dollars est peu vraisemblable.
L’heure n’est pas au football
Les équipes sont devenues maintenant une charge excessive pour Nestor Choufrytch et Viatcheslav Bogouslaev, anciens membres du «Parti des régions». Le premier est patron de l’équipe «Goverla», le second – de l’équipe «Metalourgue» de Zaporizhzhya. Ces deux équipes ont une histoire semblable: les députés ont passé les fonctions de dirigeants des équipes à leurs fils. Pour ces deux, l’heure n’est pas au football. Faute d’une stratégie de développement et de gestion bien coordonnée, auxquelles s’ajoute une aggravation de la situation financière de son patron, «Metalourgue» est mort juste au milieu de la saison en décembre 2015, sa dette atteignant 20 millions de hryvnia. «Goverla» en raison de ses dettes n’a pas obtenu l’attestation pour la saison prochaine et maintenant envisage une déclaration de faillite.
«Goverla» s’est déjà vu retirer des points par les institutions de football ukrainiennes à plusieurs reprises. De plus son ancien avant, Maksym Chatskykh, a fait appel devant le Tribunal Arbitral du Sport à Lausanne. Selon des informations non-officielles, la Cour a déjà pris une décision en faveur du footballeur, mais la direction du club ne s’y intéresse pas.
Les perspectives de «Metalourgue» semblent plus optimistes. Grâce au soutien des mécènes qui ne sont pas indifférents à son destin, l’équipe a déjà commencé à participer à la ligue amateur. Cela donne de l’espoir, compte tenu du potentiel de la région de Zaporizhzhya où les supporters de football sont très nombreux. Deux joueurs de l’équipe, au minimum, participeront à un championnat d’Europe dans l’équipe nationale. Cependant, il est encore trop tôt pour parler de l’entrée de «Metalourgue» dans l’élite du football ukrainien.
Le président du club «Zoria» Yevgeniy Guelner, ancien membre du «Parti des régions», reconnaît aussi que son club a des dettes. Cela dit, actuellement, il n’a pas l’intention de vendre les joueurs.
Le jeu dans un autre but: le secteur d’influence de Kolomoïsky
Malgré ses positions extrêmement fortes, les politiciens du «Parti des régions» ne détenaient pas le monopole des clubs de football. Quelques équipes, par exemple «Volyn», «Kryvbas», «Arsenal» et «Dnipro», ont été sous l’influence de l’oligarque Igor Kolomoïsky, ancien gouverneur de la région de Dnipropetrovsk. Maintenant il semble qu’Igor Palytsia, propriétaire officiel de «Volyn» (ancien gouverneur de la région d’Odessa qui avait des liens forts avec le groupe «Pryvat» de Kolomoïsky), n’est plus intéressé par son club. Kolomoïsky, lui non plus, ne s’y intéresse pas. L’équipe commencera la prochaine saison au niveau amateur. Lors du championnat, «Volyn» a presque refusé de lutter pour sa victoire et a simplement joué pour terminer la compétition. L’équipe a des dettes envers plusieurs joueurs, pour cela on a retiré des points à son bilan. Il semble qu’il y ait une intention de liquider définitivement le club, en conséquence les joueurs ne recevront jamais leurs salaires.
«Kryvbas» et «Arsenal» (Kyiv) ont disparu quand Kolomoisky ne s’y est plus intéressé. Le destin de «Volyn» semble très évident.
Comment sauver le sport
Il n’y a pas si longtemps, les clubs de football pouvaient dépenser des montants colossaux sans se soucier de trouver l’argent. Leurs propriétaires-oligarques ont toujours couvert toutes les dépenses, alors ce déséquilibre entre le revenu et les dépenses n’était pas sensible. Désormais il est clair que le football ukrainien vit au-dessus de ses moyens.
Les porte-monnaies des oligarques ont maigri. Pour les politiciens-marionnétistes, l’heure n’est plus au football, ils sont préoccupés par d’autres problèmes. Il est évident que l’Ukraine a besoin de réformes non seulement dans l’économie et le secteur de protection de la nature ou des autorités policières, mais aussi dans le sport. Il est nécessaire d’introduire le principe européen d’autofinancement pour que les clubs puissent payer pour exister.
Les clubs ukrainiens doivent apprendre à gagner de l’argent, tandis que leurs propriétaires devraient se rappeler leurs acquis d‘hommes d’affaires et utiliser les mêmes principes pour leur «hobby». Il est temps d’envisager un modèle d’autofinancement – au moyen de la publicité, de la vente des droits de retransmission, de la vente des billets pour les matches et des produits portant le logo du club. Cela fonctionne bien en Europe et peut se révéler efficace en Ukraine. Il n’y a pas d’autre voie de développement: «l’âge d’or» des oligarques qui couvraient toutes les dépenses de leur «jouet» appartiennent au passé.
Actuellement, le football de club ukrainien se meurt. Pour les clubs, il ne s’agit plus d’une réforme comme voie vers des avantages économiques: l’habilité de s’adapter à ces nouvelles conditions est cruciale pour survivre à l’époque de l’indifférence de leurs patrons.
