Dans les coulisses du service de presse de Donetsk. Version 1

L’article a été publié sur le blog de Paul Gogo

Ces « leaks » ont été publiés sur Twitter d’une façon particulièrement étrange. Tellement étrange qu’il est, contrairement aux apparences, peu probable que l’initiative vienne vraiment de Donetsk. En attendant d’en savoir plus, il convient de dénoncer le silence et l’inaction honteux des autorités ukrainiennes quant aux attaques qui se font de plus en plus fortes envers les journalistes en Ukraine. Car une nouvelle fois, nos données personnelles (passeports et numéros de téléphone) se retrouvent dévoilés au public. Cette partie du public qui réagit en lançant une chasse aux sorcières dans le monde de la presse ukrainienne souvent par nationalisme exacerbé ou par patriotisme mal placé, n’a pas l’intelligence de comprendre le pourquoi de ces échanges de mails et de ces demandes d’accréditations envoyées poliment aux séparatistes, l’importance pour un pays plongé dans une guerre de l’information, d’avoir une vision d’ensemble du conflit.

Les faits

Jeudi 4 août au matin, un compte Twitter supposé appartenir à Tatiana Egorova, responsable des accréditations presse en auto-proclamée République Populaire de Donetsk a diffusé un étrange tweet : « Moi, Egorova Tatiana S.,employée du MGB (ministère de la sécurité d’état) de la DNR, je ne peux plus mentir et je ne veux plus permettre à d’autres de le faire« . Le SBU tagué, et un lien Dropbox publié. Dedans, plus de 1 300 emails et leurs nombreuses pièces-jointes hackés sur la boite mail de la secrétaire. La lecture minutieuse des emails laisse entrevoir la vie quotidienne de ce service chargé de contrôler et d’empêcher le travail des journalistes dans le Donbass. Un quotidien fait de complots, d’espionnage, de conflits entre les « fonctionnaires, d’amour, de rebondissements… Bref, une vrai sitcom qui aurait pu être humoristique si elle n’avait pas entraîné une suppression du droit de parole aux gens du Donbass qui, eux, ne sont pas payés pour vivre à Donetsk et vivent bel et bien toujours sous les bombes.

tweet initial

Qui sont les personnages principaux ?

  • La boite mail est gérée par Tatiana Egorova, une fonctionnaire du service de presse des séparatistes de Donetsk chargée de délivrer les indispensables accréditations sur place.
  • La majorité des correspondances ont lieu entre-elle et Janus Putkonen, finlandais, interlocuteur principal de la secrétaire, responsable du service « enquête sur les journalistes ».
  • Quelques emails d’un subalterne de Janus Putkonen, Laurent Brayard, y apparaissent. Brayard était bien connu des journalistes français dont nombre d’entre-eux se sont régulièrement fait insulter et diffamer sur ses blogs personnels. Il y apparait comme étant légèrement parano, à plusieurs reprises persuadé que des complots se montent dans son dos pour le pousser à quitter Donetsk. C’est d’ailleurs comme ça que ça s’est fini. Il expliquera ses difficultés à vivre dans ces conditions dans une lettre publiée dans l’email n°0-1038.
  • Svetlana Kisileva que Brayard accuse justement à plusieurs reprise de vouloir sa perte. Il l’accuse d’avoir milité pour sa déportation. Mais c’est semble-t-il elle qui a fait venir Brayard et Erwan Castel (un vieux de la vieille, français dont la participation aux conflits armés est devenu son métier) à Donetsk lors de l’organisation d’un « congrès anti-fascistes » et ce, depuis Moscou (où Brayard vivait). Le rôle de Kisileva n’est pas clair mais elle semble particulièrement proche de l’Unité continentale (un groupe de combattant français ultra nationaliste, d’extrême droite) et des idéologues de la Novorossiya. Son rôle est d’autant plus flou qu’elle semble chargée de délivrer les salaires aux fonctionnaires du service et semble avoir une certaine autorité sur l’équipe.
  • Christelle Néant (ça ne s’invente pas), une française à priori envoyée à Donetsk pour remplacer l’illustre Laurent Brayard.

Le traitement de la presse en DNR

Janus, roi du journalisme à Donetsk le déclare plusieurs fois dans ses mails : L’objectif est « de remporter la guerre de l’information« , c’est une obsession chez lui. Pour rappel, un journaliste, lui, combattra la guerre de l’information (par définition menée par des communicants) en informant les gens. Dans les premiers mails, le service de presse de la DNR organise le montage d’un reportage TV destiné à être diffusé sur les médias locaux. Il va sans dire que ces fuites montrent clairement qu’aucun des médias de Donetsk n’est indépendant, tous relayent les communications du service de presse dont Janus est le responsable.

C’est l’information principale de cette fuite. Les séparatistes du Donbass s’emploient clairement depuis un an à empêcher les journalistes étrangers qui ne respecteraient pas leurs éléments de langage de travailler. La chose est faite en masse, peu de journalistes voient leurs demandes d’accréditations acceptées. Il n’y a que la BBC qui bénéficie d’un traitement de faveur : Mail 0-970 »La BBC n’est pas « friendly » avec la Russie ni avec la DNR. Mais c’est mieux de leur donner les accréditations parce qu’ils ont de l’influence » explique Janus.

Refus

Mais ce leak dévoile une vraie volonté de contrôler le travail des journalistes. Plus le temps passe, plus les refus se multiplient, et avec le temps, les réponses positives sont souvent conditionnées à une rencontre avec Janus ou Brayard. Si l’équipe semble avancer en roue libre, il est tout de même question dans l’email 0-1184 à l’intitulé « Top secret », d’un « officier de Moscou » attribué à l’un des collègues de Janus. Ce collègue s’étonnera de sa présence auprès de Janus qui lui répondra un simple « TOP SECRET ». Un James Bond en puissance le Janus.

En parlant de secrets, Janus adore ça les mails « Top secret ». Il en envoie très régulièrement à sa secrétaire préférée. Il s’agit d’une liste de journalistes précise (Le Monde, le Figaro, l’AFP, la BBC…) dont toutes les publications sont quotidiennement listées par le service de presse. L’objectif, réagir rapidement si l’un de ces médias se met à publier des choses trop déplaisantes. à noter que la liste déjà publiée plusieurs fois par des hackers ukrainiens apparait elle aussi très régulièrement mise à jour dans les emails de nos deux personnages principaux. Du vert pour les journalistes copains jusqu’au rouge pour les journalistes méchants.

rouges
Les journalistes méchants.

Le fonctionnement du service

Une grande partie des emails reçus sont des demandes d’accréditations venues du monde entier. Nous connaissons tous cette adresse que nous avons toujours utilisé pour faire nos demandes d’accréditations. C’est pour cela que ce leak contient une nouvelle fois tant de données personnelles de journalistes. Car à chaque demandes nous envoyions des photocopies de nos passeports. C’est cela qui pousse d’ailleurs à penser que nos hackers ukrainiens/patriotes de la dernière fois n’y sont peut-être pas pour rien dans cette nouvelle publication.

Une fois la demande reçue, la secrétaire demande à Janus si elle peut l’accepter. Janus (où ses collègues) enquêtent (tapent nos noms sur Google) et déterminent notre appartenance au camp des gentils ou des méchants semble-t-il « au feeling ».

Il apparait dans au moins deux emails que les « fonctionnaires » de ce service sont payés pour y travailler. Dans son émouvante lettre d’adieu, Laurent Brayard explique que lors de son arrivée Svetlana Kisileva lui avait proposé de recevoir 200 € par mois ou 100€ plus un appartement gratuit. Brayard a choisi la seconde proposition. De quoi survivre à Donetsk..

Il est à noter que si, comme précisé précédemment, le service a l’air d’agir en roue libre, il apparait au cours des emails qu’une hiérarchie garde le service à l’œil. Il y a au moins la fameuse Svetlana Kisileva qui semble faire la pluie et le beau temps dans le service, mais il y a aussi une direction qui semble empêcher les « fonctionnaires » de ce service, également chargés de rédiger des articles pour « l’agence de presse » officielle de la DNR, de travailler comme ils le souhaiteraient. Laurent Brayard s’en fait plusieurs fois l’écho dans des emails énervés dans lesquels il regrette de ne pas pouvoir aller travailler sur le front et faire « son travail de journaliste« . Une ironie du sort pour cet homme chargé d’empêcher les vrais journalistes de faire leur travail…

Enfin, les membres de ce service sont visiblement régulièrement interrogés par quelqu’un, comme pour s’assurer que les ordres seront respectés. Brayard ne semble pas fan de ces séances d’interrogatoire… (Plus de précisions à venir).

 Les volontaires

Des volontaires écrivent régulièrement à Janus afin de rejoindre les rangs de « l’armée séparatiste ». Ils sont majoritairement français. Ils sont nombreux et envoient leurs passeports et parfois une petite lettre de motivation. En cherchant un peu sur internet, rares sont les volontaires à ne pas être proches de l’extrême-droite française… Plus d’informations à venir.

Les visiteurs étrangers

Autant dire que les politiciens, écrivains et chercheurs venus légitimer la DNR sont majoritairement français. Et majoritairement proches de l’extrême-droite et des mouvements anti-atlantisme. D’ailleurs, des représentants du Front-National se font régulièrement inviter à Donetsk. Plus d’informations à venir.

Les perles

  • Mail 0-60. On y retrouve le scénario de « Facteur humain », une série en grande partie tournée à Donetsk et à priori produite par les séparatistes, une sorte de « feux de l’amour » qui se déroule sous les bombes. Pas commun. (Un épisode de Человеческий фактор).
  • Mail 0-1089. Laurent Brayard, le français en charge des accréditations liées à la presse française se retrouve chargé d’une mission particulière par un certain Gérard. L’aider à retrouver sa chérie ukrainienne qui a rejoint le Donbass sans le prévenir. Gérard a rencontré sa jeune et jolie ukrainienne sur un site internet destiné aux rencontres. Dans son email adressé à la DNR, avec lettres d’amour et passeport de sa bien aimée en pièces-jointes, Gérard l’affirme, »au départ, un réel amour s’est installé. » Mais le conflit ayant éclaté dans le Donbass, il décide de ramener sa Yuliia, 28 ans,originaire de Gorlivka (sous contrôle séparatiste et particulièrement touchée par les bombardements) en Auvergne. Là-bas, Yuliia tombera enceinte. Sauf que ce coquin de Gérard ne souhaitant pas laisser son amoureuse retourner voir sa famille à Gorlivka, c’est elle qui finira par filer à l’anglaise et disparaître définitivement. Une histoire d’amour brisée entre le Donbass et l’Auvergne, le tout à base de rencontre virtuelle, incontestablement le winner de ce leak. (L’objet initial de ce mail est « French lover »).
  • Les jeunes de la droite Populaire grillés. Dans un email (23/12/15) à entête « Les Républicains », Pascal Ellul, président des jeunes de la droite populaire déclare son amour pour les séparatistes (et avoue avoir fréquenté Thierry Mariani, désormais fameux relais du Kremlin en France, avant d’écrire son message. Ceci explique cela. Courrier Jeunes Droite Populaire) : « Nous serions ravis et surtout très honorés de pouvoir constater par nous-mêmes la réalité du terrain et pouvoir être des relais en France de ceux qui se battent pour la liberté ». On remercie au passage « la presse libre » d’avoir donné à Pascal un accès à la vérité vraie et on attend avec impatience les photos des jeunes de la droite populaire en visite diplomatique sous les bombes de l’aéroport de Donetsk.
  • Pas facile la vie de séparatiste non reconnu par la Russie… Dans un email envoyé le  31 mars 2016 (Incident de mon interrogatoire le 17 février 2016 à Novoazov-EN), Laurent Brayard fait un « rapport d’incident ». Lors d’un retour de Moscou à Donetsk via Rostov-sur-le-Don et Novoazovsk, Lolo se fait longuement interroger par le FSB. Au delà de l’anecdote, l’histoire illustre les chamailleries entre séparatistes français car Brayard accuse un de ses camarades, Laurent Courtois, supposé proche de la fameuse Svetlana Kisileva, de l’avoir accusé d’être un ennemi de la Russie. L’insulte suprême quand on donne sa vie pour la DNR !
  • Email 0-1139. Le nazi. Si tous les séparatistes ne sont pas hostiles à l’idéologie néo-nazie, il faut au moins reconnaitre à Laurent Brayard que lui, les néo-nazis, il n’aime pas ça. D’autant plus quand la personne accusée a été décorée par Igor Strelkov à Moscou… Alors forcément, lorsqu’il découvre qu’un des français les plus connus de Donetsk est un adepte de l’idéologie nazie… Brayard au rapport !

To be continued…

Paul Gogo