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Les Cyborgs : la vie après l’aéroport de Donetsk

Les militaires ukrainiens qui défendaient l’aéroport de Donetsk ont raconté à l’édition ukrainienne «Focus» leurs souvenirs et les rêves qu’ils ont faits depuis la fin des combats pour l’aéroport. L’Ukraine Crisis Média Center a traduit en français un extrait du passage de cet article dans le cadre de l’édition spéciale du janvier “L’aéroport de Donetsk”. 


Ivan Trembovytzky, commandant-adjoint du régiment de la 95e brigade aéromobile. Avant la guerre, il était rédacteur à la télévision.

 Je ne me prends pas pour un Cyborg. Les Cyborgs sont une légende que les gens ont inventée pour avoir quelque chose en quoi croire. Ensuite, les gars ont soutenu cette légende et ont commencé à croire qu’ils étaient des superhéros. Et personne ne se souvient que, avant l’aéroport de Donetsk, il y a eu deux autres aéroports : celui de Lougansk et celui de Kramatorsk où les gars sont restés encerclés pendant deux mois et demi. Sans parler des militaires qui se sont battus pour Saur-Mohyla et Stepanivka. L’aéroport n’était pas plus terrifiant que ces endroits-là.

Quand tu te trouves dans des conditions extrêmes, le plus important est de rester positif et de plaisanter le plus possible. Quand tu as un coup de blues, il faut en parler. Mon ami Jora était avec moi à l’aéroport de Donetsk. Nous dormions l’un à côté de l’autre et nous parlions avant de nous endormir. Nous parlions de nos inquiétudes. Cela m’a  aidé à survivre à la mort de mes amis. Il ne faut surtout pas tout garder à l’intérieur de soi. Sinon, tu vas te détruire de l’intérieur ou tu vas finir par devenir alcoolique.

C’est à la guerre que j’ai compris que la famille était la chose la plus importante dans la vie. Je comprends que ça a l’air banal, mais c’est la vérité. C’est la raison pour laquelle je vais me marier. Avec une ancienne camarade de classe. Nous ne nous sommes pas vus depuis 19 ans, mais lors de mon séjour dans l’aéroport de Donetsk, je lui ai passé un coup de fil. Vous savez, à la guerre, pendant des mois, on ne voit autour de soi que les mêmes tronches de mecs. J’aime beaucoup ces tronches, mais j’ai fini par m’en lasser.

Serhiy Galyan, militaire de la 95e brigade aéromobile. Avant la guerre, il était étudiant en langues étrangères appliquées.

Vous savez ce qui ma aidé à supporter toutes les horreurs de laéroport? J’ai accepté le fait que nous n’avions aucune chance de rester en vie. Je me suis fait à l’idée que j’allais mourir. J’avais toujours peur, mais je ne ressentais plus de panique, ni de terreur. Maintenant, alors que tout ça est derrière moi, j’ai à nouveau peur de la mort. C’est bien.

Après la guerre, j’ai commencé à  beaucoup plus apprécier la vie et à moins faire confiance aux gens. J’ai vu les corps déchiquetés de mes amis et je comprenais qu’ils avaient été tués par un être humain. Peu importe qui il était : un habitant du Donbass ou un Russe. Il y a un an, cet être humain vivait dans mon pays ou dans le pays voisin et travaillait dans un service de sécurité pour une entreprise quelconque et maintenant il était l’auteur de ce genre de choses.

Plus que tout au monde je veux que cette guerre se termine. Peu importe sous quelle forme : un conflit gelé, une nouvelle Transnistrie. Peu importe. Pourvu qu’elle se termine.

Andriy Gretchanov (surnom Rachman), chef du service de renseignement de la 81e brigade d’assaut, militaire de carrière. Il a passé 1 mois à l’aéroport de Donetsk et quatre mois en prison. Libéré le 30 novembre.

Quand j’étais en captivité, je pensais tout le temps à un poème. Le héros de ce poème est un soldat blessé et il rêve qu’il se trouve dans un verger de pommiers. Il essaie d’attraper une pomme, mais il n’y arrive pas. À chaque fois qu’il se réveille, il se rend compte que ce n’est pas une pomme, mais une ampoule et qu’il n’est pas dans un verger de pommiers, mais dans une chambre d’hôpital. C’est ainsi que moi je me réveillais tous les jours, seul dans ma cellule.

Ce qui est le plus difficile à vivre : l’aéroport ou la captivité? Physiquement, c’est l’aéroport, psychologiquement, c’est la captivité. Quand tu es au combat, tes camarades sont à tes côtés et il y a des choses qui dépendent de toi. Quand tu es en captivité, rien ne dépend de toi. La captivité est la forme la plus épouvantable d’esclavage.

Mes projets d’avenir, c’est de faire soigner mon oeil, d’aller en vacances, de fêter le jour de l’An chez moi avec ma femme. Ensuite, je reviendrai dans mon régiment, je reviendrai à la guerre. Je ne peux plus me passer de mes camarades. Je sais qu’il y a ma famille, ma maison, mes proches, mais je me suis tellement attaché à mes camarades que je suis même passé chez eux alors que je rentrais chez moi de captivité. Ils sont aussi ma famille.

Quand la guerre sera terminée, je vais m’occuper des groseillers qui poussent dans le jardin près de la maison. Je voudrais devenir archéologue. Je veux creuser la terre pour trouver des tessons de poterie, du bois. Je veux faire mes études d’archéologie par correspondance.

Valery Loginov, officier de la 95e brigade aéromobile. Avant la guerre il était le chef du réseau de stations service OKKO dans la région de Jytomir.

J’ai entendu le mot « Cyborg » pour la première fois en octobre 2014. Nous étions à Peski et les journalistes venus faire un reportage sur nous, nous ont dit que c’était comme ça qu’on appelait désormais les défenseurs de l’aéroport de Donetsk. Ce mot n’a trouvé aucune résonnance en moi. Nous ne sommes pas des robots. Nous sommes des êtres  humains.

Javais très peur. Oui, parfois,  j’avais vraiment très peur. Mais quand il se passait des choses, j’étais toujours dans l’action. C’est après que mes mains commençaient à trembler. Quand une balle siffle au-dessus de ta tête, tu penses : c’est bien qu’elle siffle. Donc  ce n’est pas à toi qu’elle est destinée.

Ce n’est pas la vie à la guerre qui m’a changé, c’est la vie après. Je suis devenu plus vieux dans ma tête. Avant de rentrer, j’avais passé deux mois à commander des gens, à prendre des décisions décidant de la vie ou de la mort. Là-bas, il n’y avait que deux couleurs : le noir et le blanc. Tous ceux qui étaient autour de nous, les militaires, les bénévoles, ils n’étaient pas indifférents. Quand je suis revenu dans la vie civile, j’ai vu beaucoup de gens qui vivaient comme si la guerre n’existait pas.

Ruslan Onogda, conducteur du véhicule d’infanterie de combat de la 79e brigade aéromobile. Avant la guerre, il était électricien. Il a passé 10 jours à l’aéroport de Donetsk. Il est toujours dans l’armée ukrainienne.  

Je me suis engagé volontairement et quand la durée de mon engagement est arrivée à son terme, jai signé un contrat jusqu’à la fin de l’opération anti-terroriste. Comment pouvais-je rentrer chez moi, alors que la guerre continuait? Ma femme m’a fait un scandale, mais elle s’est vite calmée. Je suis là depuis un an et demi, elle s’est habituée.

Le plus terrifiant à l’aéroport était de rencontrer et de perdre aussitôt des gens bien. Je n’arriverai jamais à oublier Bohdan Zdebsky, correcteur de feu dans l’équipe de notre véhicule et, en un instant, il n’a plus été là. Il y a eu aussi d’autres gars que nous n’avons pas réussi à sortir vivants de l’aéroport.

Je ne pense pas que j’aurai du mal à m’habituer à la vie civile. Toutes ces dépressions et les difficultés d’adaptation sont inventées par ceux qui n’ont rien à faire et qui aiment se plaindre.

Je ne veux pas faire de fixette sur les difficultés. À quoi bon? Il faut continuer à vivre. J’ai ma femme, mes enfants, j’ai beaucoup de choses à faire. Cela me soutient. Je suis un homme heureux.

photo: focus.ua, obozrevatel.ua, kp.ua

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