Le mois sanglant. Deux ans après la tragédie d’Ilovaysk

Il y a deux ans, l’armée ukrainienne avançait rapidement vers la frontière russo-ukrainienne. L’opération anti-terroriste était sensée de se terminer dans les jours à venir. Cependant, la bataille d’Ilovaysk a changé le cours de ce conflit armé. C’est lors de la bataille d’Ilovaysk que l’armée russe est directement et ouvertement intervenue aux côtés des séparatistes en rendant impossible la fin du conflit. L’offensive victorieuse de l’armée régulière ukrainienne et des bataillons volontaires s’est transformée en une tragédie qui a coûté la vie à plusieurs centaines de soldats ukrainiens.

Pour commémorer le deuxième anniversaire de la tragédie d’Ilovaysk, l’UCMC publie la chronique de ces événements tragiques appelé «encerclement d’Ilovaysk».

La tentative de libération d’Ilovaysk

Trois mois après le début du conflit dans le Donbass, appelé officiellement «opération anti-terroriste », vers la mi-août 2014, l’armée ukrainienne était sur le point de libérer les territoires contrôlés par les séparatistes. L’armée ukrainienne avait divisé les troupes des séparatistes en deux parties. Les affrontements atteignaient les banlieues de Lougansk, Donetsk, Makiyivka, Horlivka…. Tous les jours, l’état-major ukrainien diffusait la liste des villes et villages libérés. Les porte-paroles de l’opération anti-terroriste assuraient que Lougansk était encerclé et que Donetsk le serait bientôt. L’armée ukrainienne contrôlait deux chemins stratégiques E-50 et H-21, reliant Donetsk et Lougansk près de Debaltseve et Chashtersk, en repoussant les séparatistes.

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Quelques jours avant l’opération de libération d’Ilovaysk, le 7 août, l’état-major ukrainien décide d’encercler la ville et de couper les chemins utilisés par les séparatistes pour le transfert des renforts. Pour accomplir cet objectif, l’état-major a positionné le 40ème bataillon de défense territoriale «Krivbass», renforcé par les véhicules de combat et les militaires de la 17ème brigade de chars. Le 9 août 2016, les bataillons volontaires «Donbass» et «Azov» se joignent à eux pour l’opération d’Ilovaysk.

Yuriy, combattant de «Krivbass» : «Nous avons reçu l’ordre de garder nos positions dans le champ. Dans le champ, où il n’y avait aucun arbre où on ne pouvait pas se cacher. Donc, nous avons décidé de partir sur une autre position….Mais l’état-major a reçu l’information que nous étions positionnés dans le champ. Et au cours de la journée, ces positions ont été bombardées par l’ennemi avec une grande précision. Je suppose que l’ennemi savait qu’on devrait arriver dans ce champ et à cet endroit exact».

Les premiers affrontements pour Ilovaysk commencent le 10 août. Les séparatistes ont renforcé leur défense en bâtissant des fortifications à l’intérieure de la ville. Tandis que les volontaires ukrainiens se préparent à l’assaut de la ville sans armement lourd ni artillerie. L’armée régulière ukrainienne n’avait que des mortiers, des mitrailleuses de gros calibre et quelques véhicules de combat.

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Avant le 18 août, les militaires ukrainiens ont réalisé quelques tentatives d’assaut sans réussir à prendre la ville. C’est seulement une semaine plus tard qu’ils ont pu prendre des quartiers de l’est d’Ilovaysk et avancer vers le chemin de fer.

Le 23 août, les forces ukrainiennes ont été renforcées par les bataillons volontaires «Donbass», «Dnipro-1», «Kherson», «Svityaz», «Mirotvortes», ainsi que les 93ème et 17ème brigades de l’armée régulière. Malheureusement, les sépartatistes appuyés par les unités militaires russes ont réussi à encercler les troupes ukrainiennes. Ils ouvraient systématiquement le feu sur les routes reliant Ilovaysk avec «la grande terre», donc, les ambulances transportaient les blessés,  franchissaient les barrages de feu La ville était aussi constamment bombardée.

Pendant que se déroulaient ces événements, le gouvernement ukrainien préparait le défilé militaire en l’honneur du Jour de l’Indépendance.

Les séparatistes repoussent légèrement les positions des militaires ukrainiens en créant ainsi les conditions pour un encerclement. Ils utilisent leur position avantageuse à la colline Saour-Mohyla, qu’ils avaient pris quelques temps auparavant, pour couvrir l’armée ukrainienne d’obus d’artillerie, tandis que l’armée russe tirait à partir du territoire de la Russie en utilisant de l’artillerie lourde, y compris des systèmes de lance-roquettes multiples «Grad» et «Ouragan».

L’encerclement. Le début de la fin

À partir du 24 août, la Russie fait ouvertement entrer des troupes de l’armée régulière en Ukraine. Cela a commencé par l’offensive à l’est de Marioupol. Durant les premiers jours, l’armée russe occupe les localités de Markino, Kovske, Tcherbak, Klimkino, Sedovo-Vasylivka, Kouznetsy, Rosa Luxembourg. La ville de Novoazovsk a été pratiquement détruite par l’artillerie russe et laissée à la merci de l’ennemi le 27 août alors qu’il avançait rapidement vers Marioupol.  Le bataillon «Azov» quitte donc la région d’Ilovaysk pour aller défendre Marioupol.

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Yuriy, combattant de «Krivbass» : «Notre bataillons a reçu l’ordre de prendre Ilovaysk d’assaut à plusieurs reprises. Nous sommes allés voir : les positions des séparatistes étaient très bien renforcées. Mais les généraux nous ont affirmé qu’on pouvait prendre Ilovaysk en 2 jours. En vérité nous y avons passé 20 jours, sans vraiment prendre la ville. Les services de renseignement de «Dnipro-1», «Azov» nous ont rapporté plusieurs fois que les positions des séparatistes étaient parfaitement renforcées, qu’il nous fallait des chars et une bonne préparation d’artillerie. Mais l’état –major n’a jamais agit. Les généraux ne savaient se battre que sur le papier… Ils donnaient des ordres ouvertement stupides. C’est pour ça que nos pertes ont été si importantes».

Les bataillons des séparatistes «Oplot» et «Vostok» bien armés sont arrivés à Ilovaysk. Les troupes russes perçaient la frontière russo-ukrainienne et débarquaient à Illovaysk. Les Russes utilisaient l’artillerie lourde y compris les systèmes de lance-roquettes multiples «Grad».  L’état-major ukrainien a sous-estimé l’ennemi et a ordonné aux unités d’artillerie et de chars ukrainiennes de quitter la région d’Ilovaysk et à l’infanterie ukrainienne qui gardait des positions pour aller vers Marioupol….Cependant, les services de presse de l’opération anti-terroriste et du Conseil de sécurité ukrainiens diffusaient l’information que la situation était stable, que de l’aide aux militaires encerclés avait été envoyée , que des centaines de séparatistes avaient été tués, des dizaines de véhicules de combat détruits et que les blessés ukrainiens allaient être transportés dans des hôpitaux par un couloir de sécurité organisé et sûr.

Une autre percée des troupes russes a eu lieu dans la région de Lugansk. Les troupes russes ont essayé d’encercler les combattants ukrainiens à Lutugino, Georgievka et d’arriver sur l’arrière de l’armée ukrainienne à Debaltseve.

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Olexandre, combattant du «Donbass» : «À partir du 24 août, la situation est devenue vraiment chaude. On était bombardés sans cesse par des systèmes de lance-roquettes multiples, des systèmes d’artillerie. Ils nous ont brûlé tous nos véhicules de combat….Étant donné le nombre d’obus qui arrivaient, nous avons compris que c’était l’armée russe. Nos proches nous appellaient pour prévenir que l’armée russe arrivait. Mais nos commandants disaient que ce n’étaient que des groupes de sabotage russes perdus… Tandis que les Russes nous contactaient directement».

Le 28 août, l’état-major ukrainien a ordonné aux troupes ukrainiennes de quitter Ilovaysk. Le même jour, une grande manifestation a eu lieu devant le bâtiment de l’état-major à Kiev pour exiger du gouvernement de débloquer l’armée ukrainienne, d’armer les bataillons volontaires avec des chars et de l’artillerie, ainsi que de renvoyer Valeriy Geletey, ministre de la Défense.

Les 26 et 27 août, le ministère de la Défense et l’état-major a fini par envoyer de l’aide aux troupes ukrainiennes, mais cela ne suffisait plus. Les unités de réserve des 51ème et 92ème brigades mécanisées, ainsi que les unités du Pravy Secteur ne sont pas arrivés à rompre les positions de l’ennemi.

Le couloir de la mort

A ce moment là, le président russe Vladimir Poutine rentre officiellement dans le jeu en exhortant les chefs de guerre des séparatistes à organiser un couloir de sécurité pour laisser sortir les militaires ukrainiens.

Le couloir s’ouvre le 30 août, mais en vérité, c’était un piège. Les militaires ukrainiens qui se sont précipités vers la sortie de l’encerclement ont été fusillés par les troupes russes arrivées à Ilovaysk. Entre temps, l’artillerie russe se trouvant de l’autre côté de la frontière continuait de tirer…..

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Les messages alarmants arrivent du champ de bataille : «Voici les résultats de ce couloir de sécurité que la Russie nous a laissé. Des centaines des cadavres, des centaines des prisonniers. Pas de couloir, ils nous tirent dessus. Nous avons réussi à sortir, mais environ 500 gars ont été tués. Les Russes sont arrivés pour les abattre … ».  Plus tard, les vidéos effrayantes arrivent aussi…

Le journaliste Rostislav Chapochnikov a passé quelques semaines à Ilovaysk avec les militaires ukrainiens. Il a réussi à survivre lors d’une fusillade de la colonne de militaires qui quittait le champ de bataille. Rostislav raconte : «Nous étions dans des voitures qui roulaient à travers champ. Dans ce champ, des armements avaient été installés : des mortiers, des canons…. ils nous tiraient dessus comme si nous étions des cibles dans un champ de tir. Ce n’était plus une bataille, ils nous fusillaient tout simplement… ».

Il est à noter que les Russes n’avaient même pas pitié de leurs propres militaires capturés la veille par les Ukrainiens. Ces prisonniers partaient avec les Ukrainiens et étaient eux aussi abattus.

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Olexiy Arestovitch, analyste militaire écrit : «Après que l’artillerie lourde et les chars russes ont fusillé nos soldats, quelques centaines de blessés sont restés dans la zone de ce «couloir ». Alors, les «vaillants» officiers russes ont organisé l’abattoir. Les militaires russes se sont alignés et sont partis examiner les champs pour achever nos militaires blessés. Du point de vue militaire, ceci est une action abominable, il n’y a que le massacre organisé des enfants qui est pire».

Olexandre, combattant de la 93ème brigade raconte : «C’était la fin août, nous étions dans un champ de tournesols… C’était beau, vous savez, comme sur les photos d’un livre touristique sur l’Ukraine. Le ciel bleu, le soleil couchant, le beau champ de tournesol et les soldats russes qui marchent à travers ce champ en achevant nos blessés…. ».

Cette retraite sanglante continue jusqu’à 7 septembre. Les forces armées militaires quittent la région d’Ilovaysk.

Les pertes

Deux ans se sont écoulés depuis la tragédie d’Ilovaysk. Les coupables dont les fautes ont coûté la vie à des centaines de militaires, voir plus, laissés à la morte n’ont jamais été punis. Les autorités n’arrivent toujours pas à déterminer le nombre exact de morts. En septembre 2014, Vitaly Yarema, alors Procureur de l’Ukraine, parle de 200 militaires ukrainiens tués à Ilovaysk.

En mars 2015, Anatoly Matios, Procureur militaire général, déclare qu’il s’agit de 360 militaires tués et 500 blessés, mais un mois plus tard, il diffuse les chiffres suivants : 459 tués et 478 blessés.

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Andriy Sentchenko, chef du Comité d’enquête sur les événements d’Ilovaysk auprès du parlement ukrainien, déclare en octobre 2014 que les pertes des Ukrainiens dans cette bataille se montent à 1000 personnes.

Les bénévoles et les ONG parlent de plusieurs milliers de morts…

L’article a été préparé sur la base des matériaux d’Obozrevatel, Fakty, Bigmir.
photos: obozrevatel; rian.com.ua; hromadskeradio.org; panoptikon.org, focus.ua ; ukrstream.tv; www.telegraf.in.ua