Les combats pour la place d’armes de Debaltseve représentent l’un des plus grands affrontements dans le Donbass. Plusieurs milliers de militaires, des centaines de véhicules de combat et de pièces d’artillerie lourdes y ont participé.
La phase la plus aigüe a duré un mois, du 25 janvier au 18 février 2015, elle a consisté en bombardements massifs d’artillerie, ainsi qu’en échanges de coups de feu, et même, en combats de chars. Parallèlement, un processus de négociations se poursuivait dans la capitale du Belarus qui s’est soldé par la signature des soi-disant «Accords de Minsk ». Ils ont été signés le 12 février 2015. Depuis, la ligne de démarcation n’a plus vraiment bougé.
Cependant, à la fin de 2016, suite aux combats acharnés, provoqués par les séparatistes, les militaires ukrainiens ont réussi à avancer sur l’arc de Svitlodarsk vers Debaltseve. Les autorités ukrainiennes affirment que cela ne contredit pas les Accords de Minsk, car depuis le début, les Accords prévoyaient que Debaltseve restait sous contrôle ukrainien.
L’UCMC a rédigé une publication exclusive sur l’une des plus grandes et plus controversées opérations stratégiques de la guerre russo-ukrainienne.
Le début de l’opération
Selon le ministère de la Défense de l’Ukraine, à partir de la deuxième moitié de janvier 2015, les séparatistes ont concentré leurs forces pour agrandir les territoires des «Républiques ». L’offensive était prévue dans 3 directions simultanément : la ligne Chtchastia-Tryochisbenka dans la région de Lougansk, le secteur de Debaltseve et le secteur de Marioupol dans la région de Donetsk. Le soi-disant «promontoire de Debaltseve » qui pénétrait dans le territoire de la DNR sur plusieurs dizaines de kilomètres est devenu la direction principale de l’offensive. L’état-major de l’Ukraine affirme que les séparatistes comptaient utiliser leur avancée à Debaltseve pour reprendre Bachmout (Artemivsk), Kramatorsk et même s’emparer de Kharkiv.
«Si nous nous n’avions pas tenté de sauvegarder ce promontoire, nous aurions eu beaucoup de pertes sur une autre direction. L’ennemi ne se serait pas arrêté. La situation était telle qu’ils allaient va banque. Bien entendu, ils voulaient surtout créer un nouvel encerclement pour déstabiliser la situation en Ukraine. Donc, je pense que nous avons bien fait. Il est toujours important de garder une place d’armes pour regrouper les forces et les moyens et empêcher l’extension du conflit. Si nous avions battu en retraite, l’ennemi ne se serait pas arrêté. Et nous n’aurions plus rien eu pour l’arrêter. Il se serait emparé d’Artemivsk, Kramatorsk pour s’avancer vers Kharkiv. Donc, notre objectif principal était de lui causer des pertes si importantes pour qu’il abandonne ses projets ».
Evgen Ostryanski, chef adjoint du département d’analyse militaro-stratégique de l’état-major de l’Ukraine
Les combattants pro-russes ont lancé une offensive active sur les banlieues de Debaltseve le 25 janvier 2015. Selon les données de l’état-major, début février 2015, les Forces militaires de l’Ukraine dans la zone de Debaltseve incluaient 4 700 militaires des Forces armées ukrainiennes et 500 militaires de la Garde Nationale, du SBU et du ministère de l’Intérieur. En face d’eux, il y avait 19 000 combattants pro-russes, y compris des militaires de carrière russes et 8 groupes tactiques d’unités de chars et de divisions d’artillerie des Forces militaires de la Fédération de Russie.
La perte de Vouhlehirsk et Logvinovo
L’ennemi a commencé son attaque par des bombardements puissants des unités militaires ukrainiennes à Vouhlehirsk, Nikichene, Ridkodoub, Tchernoucine, Sanjarivka, Troytske, Popasna et Debaltseve. Ils utilisaient de l’artillerie, des lance-roquettes multiples, des chars et des mortiers.
Le 27 janvier, les combattants pro-russes ont attaqué les forces ukrainiennes à Vouhlehirsk, au nord-ouest de Debaltseve. Après des affrontements acharnés qui ont duré 4 jours, l’armée ukrainienne a dû abandonner la ville. En partant, elle a miné la route de Vouhlehirsk jusqu’à Debaltseve, mais l’ennemi a utilisé les immeubles à plusieurs étages de Vouhlehirsk pour corriger les tirs. Les forces ukrainiennes ont essayé à plusieurs reprises de reprendre le contrôle de la ville, mais en vain.
C’est lors des combats pour Vouhlehirsk que des avions d’attaque au sol russes ont survolé l’Ukraine pour la première fois. Ils ont volé très bas au-dessus des divisions ukrainiennes.
«En gros, les événements à Debaltseve ont pu commencer quand le 25e bataillon de la défense territoriale «Rus’ de Kyiv » a quitté Nikichene. Ensuite, le point de contrôle de Ridkodoub a été pris d’assaut. Avec tout ce que j’ai vu, je peux vous assurer que nous n’avions plus des séparatistes en face de nous, depuis longtemps, nous étions confrontés à l’armée régulière russe. Nous avons fouillé tous les tués, pour trouver leurs papiers et les transmettre au Service de renseignement. Et tous les papiers appartenaient à des militaires de carrière russes ».
Oleg Vysotchan, 128e brigade d’infanterie de montagne de Transcarpatie
Dans la nuit du 30 janvier 2015, l’ennemi a ouvert un feu d’artillerie fourni sur le point de contrôle 1301 dans la banlieue nord-ouest de Vouhlehirsk. Profitant des dommages causés par ces tirs, au moins 5 chars ennemis se sont approchés du point de contrôle. Les combattants pro-russes étaient bien plus nombreux que les militaires ukrainiens et encerclaient petit à petit la ville. Pour ne pas rester dans le chaudron, les militaires ukrainiens ont commencé à battre en retraite de Vouhlehirsk.
Le 7 février, après toute une série de combats, les Forces armées ukrainiennes ont laissé le village de Ridkodoub et le 9 février, les séparatistes ont pris sous leur contrôle le village de Logvinove traversé par la route de Debaltseve à Artemivsk. C’est par cette route que les Forces armées ukrainiennes recevaient des approvisionnements.
«Nous avions travaillé sur des positions de l’ennemi, notre état-major nous envoyait les coordonnées des séparatistes pour qu’on puisse les atteindre. Nous étions complétement épuisés. Dans les jours de combats les plus lourds, les gars chargeaient entre 140-160 obus par jour. Chaque obus pèse 50 kilos, donc cela fait 7,5 tonnes à charger par jour. Les gens étaient tellement fatigués ! Cela a duré 9 jours, une semaine et demie d’un travail d’enfer ! Des rumeurs se répandaient selon lesquelles nous étions trahis par le commandement. C’est une diversion pure et dure : ils nous ont laissé sans aide, sans renforts. Plus tard, j’ai vu des véhicules de combat que nous avions envoyé en réparation, personne ne les avait touchés. Nous posions des questions à nos commandants : aura-t-on une aide ? Ils nous répondaient sans aucune certitude : oui. Mais nous n’avons jamais rien reçu ».
Serhiy Kouznev, capitaine de la 128e brigade d’artillerie.
C’est après avoir pris le contrôle de la route d’Artemivsk qui traverse Logvinove, que les séparatistes ont parlé de l’encerclement des Forces ukrainiennes à Debaltseve. Tandis que l’état-major ukrainien a toujours nié la possibilité d’encerclement.
Le retrait
Les dénommés Accords de Minsk ont été signés le 12 janvier et prévoyaient un cessez-le-feu total à partir du 15 février.
Olexandre Zachartchenko, «leader » de la DNR, a exhorté les forces ukrainiennes à abandonner toutes tentatives de rompre l’encerclement et a promis de les laisser sortir si elles abandonnaient les armes et les véhicules.
Après l’installation d’un cessez-le-feu très approximatif, les séparatistes ont transféré plusieurs unités supplémentaires à Debaltseve, qu’ils appelaient déjà «notre région intérieure». Donc, les bombardements des positions des militaires ukrainiens se sont intensifiés. Il n’y avait plus de renforts pour soutenir les unités ukrainiennes, donc l’état-major a décidé que toutes les unités devaient quitter le secteur avant le 18 février. Les militaires ukrainiens partaient par petits groupes sous la couverture des véhicules blindés de combat et de l’artillerie en suivant deux routes principales. Le premier trajet passait par Debaltseve-Novogrygorivka-Troytske, le deuxième par Debaltseve—Novogrygorivka-Nyjne Lozove-Louganske.
«À Debaltseve nous étions basés à la sortie de la ville près de la stèle. Nous avons d’abord été encerclés à Ridkodoub, et ensuite nous l’avons été à Debaltseve. Nous sommes arrivés à Artemivsk par Myronivske. C’était une boucherie. Nous sortions de la ville sous les bombardements. Certains étaient en voiture, d’autres allaient à pied. Beaucoup de gens ont été tués. Des bénévoles nous aidaient beaucoup. L’État nous avaient donné une tenue de camouflage, une arme automatique, quelques balles, les bénévoles nous ont donné tout le reste. Nous avions l’impression que certains soldats n’étaient pas du tout préparés, qu’ils avaient été envoyés sur le front trois jours après la mobilisation. À Debaltseve, j’ai vu des combattants Tchétchènes qui pourchassaient quelques centaines de soldats de la Garde Nationale à travers toute la ville. Ils ne pouvaient même pas résister. Aucune préparation. Seuls nos militaires bien préparés ont pu les arrêter ».
Serhiy, première division du 25e bataillon de la défense territoriale «Rus de Kyiv »
Après être sorties de la ville, les forces de l’opération anti-terroriste ont occupé une nouvelle ligne de défense le long de la rivière Louganka. Les combattants pro-russes ont essayé de les attaquer, mais sans succès. Au total, des affrontements actifs dans ce secteur se sont poursuivis jusqu’au 21 février.
Les résultats
L’état-major ukrainien semble être plutôt content des résultats de l’opération. «En conséquence des actions coordonnées des Forces de l’opération anti-terroriste, le projet de l’ennemi qui consistait à encercler nos unités dans le secteur de Debaltseve et les détruire a été interrompu. Les pertes que l’ennemi a subies, l’ont forcé à abandonner l’idée d’une autre offensive. Les Forces de l’opération anti-terroriste ont réussi à maintenir les positions le long de la rivière Louganka et de consolider leurs position sur la place d’armes de Louganske-Troytske-Popasna pour ne pas laisser les combattants prendre de nouveaux territoires ».
« Qu’ils arrêtent de mentir en disant qu’ils avaient un plan de retrait de Debaltseve. S’ils avaient eu un plan, il n’y aurait pas eu de points de contrôle abandonnés, de garçons qui n’étaient pas prévenus du retrait. Ceux qui ont pu s’orienter eux-mêmes s’en sont sortis. Mais il y a aussi ceux qui n’ont pas pu….. »
Natalia Zotova, bénévole de Moukatcheve
L’état –major ukrainien fait un bilan les pertes des Forces armées ukrainiennes à Debaltseve : « Lors des combats à Debaltseve du 15 janvier au 18 février, 110 militaires ukrainiens ont été tués, 270 blessés, 7 emprisonnés et 18 portés disparus. Durant toute la période de la défense du promontoire de Debaltseve, 136 militaires ont été tués et 331 blessés. Nous avons perdu environ 30% des véhicules de combat .Les pertes de l’ennemi s’élèvent à 870 personnes tuées. Il a aussi perdu environ 50 systèmes de lance-roquettes et d’artillerie, environ 110 chars et véhicules de combat et 24 camions».
« Je ne comprends pas pourquoi tout le monde dit que nous avons rendu Debaltseve? Les gars, nous avons rendu au minimum 9 localités autour de Debaltseve. C’est un morceau de la terre ukrainienne. Des habitants pro-ukrainiens y sont restés. Nous les avons laissés à la merci de l’ennemi, même si nous leur avions juré que nous n’allons pas partir. Que sont-ils devenus? Comment vivent–ils? »
Igor Loukyanov, dit «Maklaud », service de renseignement, bataillon «Rus de Kyiv »
Les militaires qui ont participé aux combats pour Debaltseve et les bénévoles affirment que les chiffres de l’état-major sont bien trop optimistes. Ainsi, les militaires de la 44e brigade d’artillerie qui couvraient le retrait de l’armée ukrainienne se souviennent d’avoir ramassé tellement de cadavres que les coffres de leurs gros camions débordaient. Igor Lokyanov, militaire du bataillon «Rus de Kyiv », raconte qu’il y avait 100 militaires dans son unité et seuls 14 ont réussi à sortir de Debaltseve. L’unité de recherche des cadavres «Tulipe noire » ne cesse de fouiller les champs autour de Debaltseve à la recherche de ceux qui ne vont plus jamais rentrer chez eux…. Les pertes réelles à Debaltseve, tout comme celles d’Ilovaysk restent inconnues…..
«Je ne sais pas, comment on peut y vivre maintenant. Là-bas, il n’y a plus aucune vie, même si des travaux de rénovation sont en cours, même si les gens sont aidés, les retraités perçoivent leurs prestations. Mais la ville n’est plus comme avant. Les gens sont terrorisés. Ils ont peur de tout. Ils reviennent à Debaltseve par désespoir. Là-bas, je n’ai vu personne sourire. Ils ont tous peur, le soir, ils éteignent la lumière. Je veux vivre en Ukraine, selon les lois ukrainiennes, et non pas selon les lois qui sont en vigueur à Debaltseve. La situation actuelle ressemble à celle de l’époque soviétique. Les gens ont peur de parler. Ils parlent de plus en plus bas. Mais moi, je ne vais parler de plus en plus bas. Je suis un être humain normal, libre, je veux avoir le droit de dire ce que je pense. C’est la raison pour laquelle je ne veux pas y revenir, même si c’est ma patrie. Je ne veux qu’un mec russe arrive sur ma terre, qu’il piétine ma maison. Quand je suis revenue à Debaltseve, ma maison avait déjà été occupée par des telles ordures… Mon fils y est revenu, il a décidé d’y vivre. Mais il n’y a pas vécu, il a été tué par un mec russe. Ils l’ont renversé avec un véhicule blindé de combat, ils étaient bourrés. En octobre 2015».
Tetyana Sobtchouk, habitante de Debaltseve, vit actuellement à Kharkiv.
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photo:Новини України, http://fakty.ictv.ua, BBC, День,ТСН, Голос Карпат