REPORTAGE – Les combattants volontaires de Pravyi Sektor, milice paramilitaire d’extrême droite, ne croient pas que le nouvel accord de Minsk sera appliqué. Bien qu’ils aient du mal à recruter, ils disent vouloir mourir pour l’Ukraine.
Un centre de colonie de vacances. Des balançoires, des toboggans, des pancartes d’enfants qui s’amusent, voilà où s’est retranchée la singulière base arrière des féroces soldats de Pravyi Sektor (“secteur droit”). Les partisans de ce parti politique antirusse né en 2013 pour défendre la révolution de Maïdan ont la réputation sulfureuse de flirter avec des idéaux d’extrême droite. Seule la présence des hommes en treillis à l’entrée désormais grillagée du camp laisse entrevoir que la fonction originelle des lieux n’a plus rien à voir avec des jeux d’enfants. Ces derniers jours, des volontaires sont venus grossir les rangs de Pravyi Sektor, même si le recrutement faiblit un peu. Le concept de la guerre ne s’apparente plus à une vague idée en l’air. Les blessés affluent dans les hôpitaux de la ville. Se battre peut vouloir dire mourir. Mais pour Pravyi Sektor, qui ne donne pas cher du “dernier bout de papier signé” à Minsk, le mot d’ordre demeure : résistance jusqu’au bout.
“Je conseille aux Français de ne pas trop se détendre”
Cela fait une dizaine de mois que le commandant Chorniy et ses hommes ont investi cet endroit reculé de l’Ukraine, à la limite du Donbass. Il y aurait, selon notre hôte, 14 bataillons de 450 hommes sur zone, dont 4 seraient au combat, 10 en réserve, des chiffres impossibles à confirmer. La nuit et la journée passées dans ce campement n’ont montré qu’une centaine d’hommes présents sur place. Très vite, une unité de soldats volontaires a été formée. “Nous ne recevons aucune aide de l’armée régulière”, explique le commandant, un homme tout en rondeur, à laquelle il ne faut surtout pas se fier. Il a la réplique aussi mordante qu’un serpent qui fond sur sa proie. “L’armée est déjà très mal outillée, poursuit-il, alors vous imaginez un peu ce que c’est pour nous. Mais nous sommes les bénévoles de l’armée de Dieu, nous nous battons pour la terre de nos ancêtres. Si j’ai un conseil à donner aux Français, c’est de ne pas trop se détendre! Toutes les guerres commencent en Ukraine, et Poutine n’a pas l’intention de s’arrêter là.”
Il fait nuit noire. Un bruit monte dans le froid polaire. Il provient d’un bâtiment fermé par une grande porte, où est attaché un énorme cadenas. Une fois à l’intérieur, on est pris à la gorge par une puissante odeur de métal tordu, chauffé à blanc, et de graisse épaisse. Ramon, 40 ans, fait figure de professeur Tournesol. Il est très choyé. Parce que de lui dépend le miracle : celui de la transformation du fer, de l’acier ou d’autres matériaux en armes. Une feuille de papier est posée devant lui. L’esquisse d’une kalachnikov y a été dessinée. Samouraï, 40 ans, beau gabarit et gradé du bataillon, lui apporte une matraque télescopique et lui lance : “Vois ce que tu peux en tirer.” Les armes du Pravyi Sektor sont récupérées chez l’ennemi ou données par des sympathisants. “Voilà avec quoi on se bat! Pourtant, ce sont nous, les bataillons de volontaires, qui faisons le sale boulot, parce que l’armée régulière ne combat pas en première ligne. Ce sont nos hommes qui meurent en premier”, affirme Samouraï, à la fois fier et amer.
L’armurier du bataillon Pravyi Sektor tenant une arme qu’il a confectionnée, mardi. (Romain Carre/ABACA POUR LE JDD)
Au début du conflit, ce sont les plus éduqués qui sont partis se battre. L’officier de presse, Alla Megel, une petite dame dynamique qui s’est installée ici, toute seule avec son ordinateur, en avril dernier, admet que le recrutement pose désormais un problème. “Les ressources des bénévoles ne sont pas infinies, soupire-t-elle, préoccupée. D’autant que l’armée mobilise aussi maintenant davantage de monde. Nos volontaires ne sont pas du tout payés. Pravyi Sektor n’est pas un bataillon légalisé comme celui d’Aidar qui reçoit une aide financière et des armes.” Ce dernier, composé de volontaires, dépend du ministère de l’Intérieur et Amnesty International demande sa dissolution en raison des exactions dont il est accusé.
Ils ne croient pas à la trêve
Bataillon, régiment, division… Il faut bien comprendre que, même si la terminologie reste très militaire, la réalité est toute autre. Certes, le Pravyi Sektor a pris modèle sur la Légion étrangère et chacun a un pseudonyme mais la discipline relève davantage du groupuscule paramilitaire que d’une armée professionnelle. Les grades n’existent pas, et tout le monde s’apostrophe par le terme d’”ami”. Il existe néanmoins un respect subtil à l’égard d’une hiérarchie, et des punitions. Pas de mise aux arrêts ou de cachot. Non, ce sont, comme chez les Cosaques, auxquels Pravyi Sektor ne cesse de se référer, des coups de fouet. Surtout en cas de consommation d’alcool, interdit en période de guerre. Si les volontaires de l’armée régulière ne cachent pas leur fonction civile, les volontaires ici ne vous diront que très rarement ce qu’ils faisaient avant. De quoi alimenter tous les fantasmes. “Pas du tout, rétorque le commandant Chorniy, mais nous sommes nés une deuxième fois. Ce qui compte, c’est ce que nous faisons aujourd’hui. Nous sommes un rempart contre Poutine. On ne gagne pas une guerre avec des négociations. Soit on gagne, soit on perd. Mes hommes et moi, on est là pour casser la tête à des types comme Poutine.”
8 heures du matin. Une centaine d’hommes se tient là, devant le bâtiment du réfectoire. L’instructeur, Gatilyo, 39 ans, coiffure à la cosaque, donne les ordres : ce sera la prière puis le salut avant de rompre les rangs pour aller petit-déjeuner. Tout cela sans grande contrainte. Ce matin-là, un seul homme s’est levé plus tôt, pour un jogging sur la piste recouverte de neige. Un trio s’éloigne néanmoins. Les trois hommes vont rejoindre une clairière et s’entraîner au tir. Kalachnikov et RPG. Ils ont entre 22 et 28 ans. Ils sont arrivés il y a peu et ne croient pas à la trêve. “Poutine ne comprend que la force.”
Fini les accolades ultraviriles
Un homme est arrivé tard, dans la soirée. Puissant, animal, il a tout du mâle qui revient du front. Le commandant Bars sent la poudre et le canon. Il se trouvait à Piski, position ukrainienne à quelques kilomètres de l’aéroport de Donetsk, une zone de violents combats. C’est le cri du cœur, dans la pièce : “Ah, voilà notre héros national!” L’homme est dans ce bourbier depuis le 23 août dernier.
Tous ici veulent lui ressembler. C’est un de ces hommes à mi-chemin du robot et de l’être humain, un “cyborg” dont même les ennemis, les séparatistes, reconnaissent un courage hors du commun. Les mauvaises langues disent que lui et les siens ne se battent pas tant que ça, que ce sont en réalité les unités d’élite qui font le boulot. Peut-être. En attendant, le commandant Bars montre les images vidéo prises avec son téléphone de l’aéroport de Donetsk, totalement dévasté. “J’étais à la tête d’un bataillon d’une cinquantaine d’hommes. Six ont été tués par des mines et par des chars, et il y a eu une quinzaine de blessés. Poutine n’arrêtera pas, je vous le dis, je l’ai vu de mes yeux.” L’ambiance s’est alourdie. Fini les accolades ultraviriles. Malgré son héroïsme sans fard, Bars est porteur de mauvaises nouvelles : il est celui par qui la guerre vient frapper à la porte. Ils en sont persuadés : dans peu de temps, les Russes seront là. Et ceux de Pravyi Sektor comptent bien se battre jusqu’à la mort.
Le Journal du Dimanche
http://www.lejdd.fr/International/Europe/Dans-le-dernier-carre-des-miliciens-ukrainiens-718166