Amina la Tchétchène a choisi de se battre pour l’Ukraine

Amina Okueva a de quoi faire taire les mauvaises langues. Non, les Tchétchènes ne sont pas tous du côté des séparatistes. La preuve, la jeune femme de 32 ans, chirurgienne de profession, a rejoint les rangs d’un bataillon tchétchène qui se bat aux côtés des Ukrainiens.

Amina Okueva soignait les blessés sur Maïdan, désormais elle inflige la mort à ses ennemis. Ce jour-là, assise dans un petit restaurant cosaque, le moral de la jeune femme est au plus bas. Le commandant du bataillon, le mythique Isa Mounaev est mort au combat, le 1er février dernier. “C’était un grand combattant, j’avais rejoint ce bataillon grâce à lui. C’est une grosse perte pour nous, et l’Ukraine”. La paire avait donné une grande conférence de presse, en juillet dernier, expliquant leur démarche et les raisons pour lesquelles ils avaient décidé de se ranger du côté ukrainien. “Nous les Tchétchènes, avait expliqué très gravement, Isa Mounaev, avons pratiqué les Russes pendant vingt-trois ans. Quand ils annoncent une trêve, il faut s’attendre au malheur”. Amina ajoute que Mounaev était une figure de l’histoire de la Tchétchénie. “Il avait combattu en Afghanistan, avant de s’opposer aux troupes russes, lors des deux guerres en Tchétchénie. Il avait fini par demander l’asile politique au Danemark”. L’homme aurait pu couler des jours tranquilles mais il avait décidé de reprendre les armes contre son éternel ennemi, Vladimir Poutine. Amina affirme qu’il n’était pas le seul avoir entrepris cette démarche et que beaucoup d’autres Tchétchènes dans le monde, ont afflué pour se battre, aux côtés des Ukrainiens. Après tout, ces derniers, surtout ceux de l’Ouest du pays, étaient bien partis rejoindre les troupes tchétchènes pour se battre contre les Russes, lors des deux guerres en Tchétchénie.

“En Ukraine, je peux vivre, tout simplement”

Amina Okueva porte un un foulard noir, un cheich, de grosses rangers et un pantalon kaki. Elle est arrivée en Ukraine, il y a douze ans. “Vous connaissez l’histoire entre Poutine, les Russes et nous. Je n’avais aucun avenir là-bas. Ici, je me suis sentie libre, j’ai pu aller à l’université, personne ne me persécute à cause de mon foulard. Je peux vivre, tout simplement”. Enfin, elle le pouvait. Comment aurait-elle pu imaginer, que le maître du Kremlin allait encore décider de son destin. “Dès l’occupation de la Crimée, on a compris parce qu’on le connait. Poutine ne s’arrête jamais!”. Elle n’est pas seulement en deuil mais aussi très préoccupée. Le commandant, qui vient de mourir, se battait aussi pour que le bataillon puisse être intégré à l’armée ukrainienne régulière.

Amina Okueva, assise dans un petit restaurant cosaque (JDD).

Elle se sent plus utile comme combattante que comme médecin

Si dès les premières heures de la Révolution, Amina rejoint les rangs des manifestants et met son savoir-faire de médecin, au service des nombreux blessés, cette fois, c’est différent. Elle a ressenti que le serment d’Hippocrate ne servirait plus à grand chose, qu’il fallait qu’elle passe de l’autre côté de la barrière, qu’elle prenne les armes. “Dès le début de Maïdan, j’ai eu la conviction que Poutine attaquerait, qu’il ne pourrait laisser passer un tel affront”. En juillet dernier, défendre son pays est ainsi devenu une affaire d’honneur. En août, elle prenait les armes dans la région de Donetsk. “Il y a un an, raconte-t-elle, en esquissant un sourire, je ne connaissais pas cet endroit du tout. Aujourd’hui, je peux vous citer le nom du moindre hameau”. Son mari, Adam Osmaev, qu’elle a connu en Ukraine, et qui est aussi Tchétchène, n’est pas en reste. Par le passé, il a fait trois ans de prison, accusé d’avoir fomenté un attentat terroriste contre Poutine. Désormais, on le réclame à cors et à cris. Il a remplacé le commandant défunt.

Docteur, soldat et politique

Amina est décidément redoutable. Non seulement, elle a soigné les blessés de Maïdan, non seulement elle sait tenir une arme et s’en servir, mais désormais elle partage son temps entre le front et la capitale ukrainienne. Elle sert de go-between entre ce bataillon auto-proclamé et le Parlement. “Je voudrais poursuivre l’oeuvre de mon ancien commandant et faire en sorte que le bataillon soit légalement incorporé à l’armée du pays. Cela nous permettrait de bénéficier de moyens. Parce que pour l’instant, nous nous battons avec les armes pris sur les ennemis tués, lors des combats. Nous ne pouvons pas davantage payer nos soldats “.

Le Journal du Dimanche

http://www.lejdd.fr/International/Europe/Amina-la-Tchetchene-a-choisi-de-se-battre-pour-l-Ukraine-717948

Karen Lajon, envoyée spéciale à Kiev (Ukraine) – Le Journal du Dimanche