Lettre de revendications du Centre des libertés civiques

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Le Centre des libertés civiques de Kiev a été fondé en 2007, suite aux évènements de Maïdan. Conjoint au mouvement spontané Euromaidan SOS –chargé de référencer les disparitions d’activistes Euromaidan, le CLC se bat aujourd’hui pour défendre les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Après de nombreux rapports publiés dans le seul but de faire reconnaître les violations des droits de l’homme et les crimes contre l’humanité commis sur le territoire ukrainien, le CLC s’engage aux côtés des prisonniers politiques détenus en Russie au travers de la campagne « Let my people go ! ». Cette lettre ouverte est la première d’une longue série de rapports visant à dénoncer les agissements des troupes pro-russes et l’implication de la Russie dans le conflit qui ravage actuellement l’Est de l’Ukraine.

LET MY PEOPLE GO !

L’incarcération de prisonniers ukrainiens en Russie.

La détention de citoyens ukrainiens en Russie a commencé dès le début de la campagne militaire menée par la Russie contre l’Ukraine. La liste des prisonniers politiques est complétée par des noms des étrangers qui ont exprimé leur soutien à l’Ukraine. Tous ces détenus, parfois sans histoire, sont d’âges différents, ont des opinions différentes, sont issus de milieux sociaux différents. Cependant, ils ont tous un point commun : leur disparition a un fond politique aisément discernable. Toutes ces arrestations ont été menées, secrètement ou ouvertement, par le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB). Malgré d’existence des lois et des traités internationaux, nous n’avons pas de liste complète de tous ceux qui se trouvent actuellement dans les prisons russes. De ce fait, le nombre de militaires qui ont été illégalement déportés est inconnu. Leur libération a été demandée par le pays, et bon nombre de ces noms ont été inscrits sur les listes d’échange du service de sécurité ukrainien.

Au début du mois de mai, ils n’étaient que des individus lambda qui partaient en Russie pour gagner un peu d’argent. Mais ces individus lambda ont été arrêtés par la police pour hooliganisme et ont été par la suite interrogés, souvent dans la violence, par le FSB pour faits de terrorisme. Ils ont été sommés d’avouer la planification d’actes terroristes ainsi que l’implication de certains d’entre eux dans le mouvement nationaliste paramilitaire Pravyi Sektor – diabolisé à l’extrême en Russie, et dans les évènements de Maidan. Ces deux éléments pourtant bien distincts l’un de l’autre semblent expressément similaires à leurs yeux.

En mars 2014, nous avons fait en sorte de nous entretenir avec l’une de ces personnes faites prisonnières par les agents du FSB. Il s’agit d’une femme de la région de Donetsk, pourtant à l’écart de toute activité politique, qui a contre toute attente été interrogée pour fait de « terrorisme ». C’est à cette époque que des histoires sur des « radicaux ukrainiens » commencent à apparaître dans la presse. La chaine de télévision NTV, contrôlée par le gouvernement, relate par exemple l’arrestation de « dizaines d’Ukrainiens préméditant des attentats dans certaines villes de Russie » : c’est le début d’une campagne sociale qui chercher à assimiler l’ensemble des Ukrainiens à des terroristes. Fort heureusement, quelques jours plus tard, la première vague de détenus est relâchée et peut rentrer en Ukraine.

Cette première étape des arrestations ukrainiennes rappelle par certains aspects la guerre russo-géorgienne de 2008, lorsqu’il était habituel pour les Géorgiens de se faire arrêter en Russie. Il y a eu des reportages très similaires sur cette même chaine de télévision NTV, portant sur l’arrestation d’« espions géorgiens pour faits d’espionnage militaire et préméditation d’actes terroristes sur le territoire russe ». Les dirigeants du FSB avaient publiquement annoncé ces arrestations à M. Poutine. Il y a de nombreuses similarités, jusque dans la théâtralité dramatique des médias, avec les événements ukrainiens de 2014. Selon les défenseurs des droits de l’homme russes, seul le nombre d’arrestations diffère : il a été plus élevé en 2008.

Par la suite, le FSB a entrepris d’enlever des citoyens ukrainiens sur les territoires occupés de Crimée et du Donbass, et de les envoyer dans des centres de détention russes. Dans certains cas, les citoyens ont été kidnappés par des dirigeants de groupes armés clandestins, qui les ont ensuite livrés aux organismes répressifs russes. C’est pour cela que dans différentes prisons russes, en général situées ni trop loin de la frontière ukrainienne ni de Moscou, des prisonniers ukrainiens ont commencé à affluer.

Il s’agit désormais d’aborder le cas du « groupe Sentsov ». En réalité, ces quatre personnes n’ont jamais formé le moindre groupe, mais ils sont devenus, sur les accusations des unités d’investigation russes, le « groupe terroriste de sabotage de Sentsov ». Tous ont été kidnappés à Simferopon, en Crimée, entre le 9 et le 16 mai 2014. Ils n’avaient qu’un seul point commun : tous supportaient l’unité ukrainienne, quand bien même tous appartenaient à des bords politiques différents, du plus à droite au plus à gauche en passant par l’apolitisme. Après leur arrestation, ils ont quasiment tous été accusés des mêmes tords, au regard des articles 205.4, p. « A » s. 1, « création de organisation terroriste », 205, p. « A », s. 2 « action terroriste commise par un groupe de personnes organisées par un accord antérieur », 30, s. 1, « préméditation et tentative de commettre un crime » et 3. 222  du Code Pénal de Russie « acquisition et possessions illégales d’armes à feu par un groupe organisé par un accord antérieur ».

Oleg Sentsov, réalisateur de 39 ans, père de deux enfants de 11 et 13 ans, et Alexander Kolchenko, activiste antifasciste de 26 ans, risquent tous deux une peine de vingt ans d’emprisonnement. Ils ont tous les deux été emprisonnés au centre de détention provisoire « Lefortovo » de Moscou. Leurs procès respectifs n’ont à ce jour pas encore commencé.

Les deux autres détenus, Alexeï Tcheerniy, docteur en Histoire de 34 ans en charge de reconstitutions historiques, et Gennady Afanasyev, photographe et juriste de 25 ans, ont été respectivement condamnés à sept ans d’emprisonnement. Gennady Afanasyev a été écroué  à huit-clos par le Tribunal municipal de Moscou.

A ce sens, il y a un autre cas à aborder : celui d’un étudiant de Lviv, activiste Euromaidan, Yuriy Yatsenko. Il a été arrêté au même moment, le 6 mai, mais cette fois-ci sur le territoire russe, sous seul prétexte qu’il était originaire de Lviv, une ville de l’Ouest de l’Ukraine. Lorsque la police a vu son passeport, elle a immédiatement contacté le FSB, par qui le jeune homme a été battu et torturé, dans le seul but de lui extirper les aveux d’une planification d’attaques terroristes. Plus tard, il a été condamné, suite à des poursuites falsifiées au regard de l’Article 221-1 du Code Pénal russe (possession illégale d’armes à feu), à deux ans d’emprisonnement. Mais récemment, la Cour d’appel a réduit sa peine à neuf mois, et il a été relâché le 7 mai.

Un autre groupe de personnes est actuellement détenu pour « espionnage ». Nous avons connaissance certaine de deux de ces cas, même s’ils pourraient être plus. Dans le premier cas, les accusations d’espionnage ont clairement été formulées, dans et le second, elles le seront probablement sous peu. Ces hommes, Valentine Vyivskyi, amateur d’aéronautique de 32 ans originaire de Kiev, et Yuriy Solochenko, ancien directeur des entreprises de défense « Znamia » âgé de 72 ans et originaire de Poltava, ont tous deux été kidnappés dans le métro, le premier à  Simferopol, et le second à Moscou. Ils ont été retenus au centre de détention préventive « Lefortovo », à Moscou, réputé pour être une ancienne prison du KGB. Les deux s’exposent à une peine de 20 ans d’emprisonnement.

L’un des cas d’arrestation le plus violent est celui d’un des leaders du Pravyi Seckor, Mykola Karpiouk, homme de 50 ans père d’un petit garçon de 9 ans. Pendant que toute sa famille et ses amis étaient interrogés, il a été kidnappé par le FSB sur le territoire ukrainien, plus précisément à la frontière russo-ukrainienne de la région de Tcherniiv. Personne ne sait réellement où il est détenu, mais les suppositions laissent à penser qu’il se trouve dans le centre de détention provisoire N°6 de Vladikavkav, en Ossétie du Nord, quand d’autres versions l’incarcèrent au centre de détention provisoire d’Essentuki, dans le kraï (région) de Stavropol. Aucune information sur l’avancement des procédures engagées contre lui n’est disponible. Tout ce que l’on sait, c’est que Karpiuk s’expose à quinze ans de prison sur les chefs d’accusation suivants : « création d’un groupe armé stable visant à l’attaque des citoyens et des infrastructures et implication dans l’organisation de ce groupe » (Art. 209-1 du Code pénal russe). Il a été l’une des personnalités visées par la grande offensive russe menée contre les organisations nationalistes ukrainiennes.

L’affaire Mykola Karpiouk est l’une des premières à nous avoir été signalée, sa disparition ayant eue lieu entre le 20 et le 21 mai 2014. A ce « cas caucasien » s’est par la suite ajouté celui d’un autre individu, probablement détenu au centre de détention d’Essentuki, ou de Pyatigorsk, dans le kraï de Stavropol. Il se nomme Stanislav Klih, historien et journaliste de 41 ans, originaire de Kiev. Au 11 août 2014, il était détenu dans la ville russe d’Orel, accusé de faire parti de Pravyi Sektor, même si sa famille dément cette information. Nous n’avons actuellement aucune information sur l’avancement de la procédure judiciaire le concernant. Il encourt au minimum 15 ans d’emprisonnement, à l’instar de Mykola Karpiouk.

Il n’est pas nécessaire de s’attarder d’avantage sur le cas désormais célèbre de Nadia Savchenko, dont la brutalité est évidente. Abordons plutôt le cas de celui qui est accusé d’être un « massacreur » quand bien même il n’a jamais pris part aux opérations militaires. Sergiy Litvinov, 31 ans, fermier et père d’une petite fille originaire du village de Kamychnié dans la province de Stanycho Louhansk, région de Lougansk, encourt vingt ans de prison pour avoir servi dans le bataillon « Dniepr ». Mais le Ministère de l’Intérieur ukrainien a démenti son enrôlement, justifiant qu’il s’était simplement rendu d’une des villes frontalières ukrainiennes à la ville russe de Tarasovski, dans la région de Rostov, pour aller à l’hôpital. Cependant il a été arrêté et accusé des crimes énumérés dans les articles 105-2 « meurtre » et 356-1 « usage de méthodes et de moyens de guerre prohibés » du Code pénal russe. Nous n’avons aucune information concernant l’avancement de la procédure juridique contre lui. Tout ce que l’on sait pour le moment, c’est qu’il est détenu au centre de détention provisoire N°5 de Moscou.

Dernier point mais pas du moindre : en tant que défenseurs des Droits de l’Homme, nous incluons dans la liste des citoyens ukrainiens détenus en Russie les noms de ceux qui y sont détenus pour avoir exprimé leur soutien à l’Ukraine, à l’instar du citoyen biélorusse Kirill Silivonchik, ou du citoyen russe Sergei Rudniev.

Nous suspectons l’existence de nombreux autres cas dont nous n’avons pas entendu parler.

Quels sont les points communs entre la plupart de ces affaires ?

  • Toutes ont été lancées ou contrôlées par des agents du FSB, dont les compétences ne relèvent pas de la persécution criminelle mais de la « sécurité nationale », envisagée d’une manière bien spécifique par le Kremlin.
  • Toutes se sont produites après le début de facto de l’invasion russe en Ukraine (au printemps 2015).
  • Toutes ont un fond politique.
  • Tous les prisonniers ne sont pas ukrainiens mais tous se revendiquent ou sont considérés comme activistes pour l’Ukraine par le FSB, ce qui fait d’eux une menace pour la Sécurité nationale russe.
  • Tous ont été interrogés par le FSB sur les évènements de Maidan, le Perviy Sektor, le parti Svoboda alors que la majorité d’entre eux n’avaient aucun lien ni avoir Maidan, ni avec les partis de droite.
  • La majorité de ces personnes est emprisonnée non loin de la frontière ukrainienne.
  • Nous n’avons pas encore comptabilisé la totalité des détenus. Les services de sécurité ukrainiens affirment par exemple qu’il y a plus de trente détenus, mais nous n’avons d’informations que sur ceux énumérés plus haut. Nous n’avons par ailleurs aucune information vérifiée concernant l’emprisonnement de militaires ukrainiens en Russie ; à l’exception de Nadia Savchenko, nous n’avons que des données non vérifiées concernant de possibles prisonniers.
  • Dans certains cas ces citoyens ont été remis aux autorités russes par des groupes armés clandestins présents dans le Donbass. Le cas le plus célèbre est celui de Nadia Savchenko, même s’il est arrivé la même chose à Sergei Rudniev. Il s’agit d’un lien en plus entre les groupes armés clandestins et le Gouvernement russe.
  • Presque tous ont été sujets à la torture et à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et bon nombre d’entre eux se sont vu rejeter l’assistance d’avocats et du consulat ukrainien.

NOUS CONSIDERONS CES PERSONNES COMME DES PRISONNIERS POLITIQUES, DES OTAGES, QUE LA RUSSIE ESSAIE D’UTILISER COMME MONNAIE D’ECHANGE DANS LA GUERRE CONTRE L’UKRAINE.

Notre revendication :

Au regard des accords de Minsk, nous demandons la relaxe non seulement de Nadya Savchenko, mais aussi de toutes personnes listées ci-dessus, qui sont détenues et persécutées par la Russie à cause de leur engagement aux côtés de l’Ukraine, à l’heure où la Russie part en guerre contre l’Etat ukrainien.

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L’infographie traduite par l’équipe de l’Ukraine action