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Justice : Deuxième semaine de procès pour Sentsov et Kolchenko

Le 8 juillet 2015, au tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don, les débats de l’ « affaire de Crimée » se sont ouverts. Oleg Sentsov et Alexandre Kolchenko, activistes ukrainiens arrêtés en Crimée en mai 2014 et détenus depuis en Russie, y sont jugés pour « préparation d’actes terroristes », « incendie criminel » et « appartenance à un parti politique interdit sur le territoire russe », Praviy Sektor. Sentsov s’est exprimé sur les violences qu’il aurait subies lors de sa captivité, et Afanasyev est revenu sur ses déclarations contre Sentsov, extorquées selon lui sous la torture.

Au cours de la deuxième semaine du procès, cinq témoins ont été entendus sur le dossier d’Oleg Sentsov. Seuls deux ont accepté de témoigner sous leur vrai nom. Aucun de ces témoignages n’a établi de liens avérés entre Sentsov et la mouvance nationaliste Praviy Sektor.

L’unique déposition faisant état de préméditation d’actes terroristes a été faite anonymement, sous le pseudonyme d’ « Alexandra Smirnitskaya ». Selon elle, Sentsov aurait été l’organisateur de plusieurs rassemblements pro ukrainiens. « Il considérait l’annexion de la Crimée par la Russie comme une faute très grave, qu’il fallait corriger. Au départ, il a voulu utiliser des méthodes pacifiques, puis, à force, il a commencé à envisager des choses immorales, et de plus en plus d’actions radicales », dont aurait fait partie l’explosion du monument de Lénine. Dimitri Dizne, avocat de Cherniy, a déclaré à la fin de l’audience que la défense suspectait « Alexandra Smirnitskaya », qui a parlé d’elle tout au long du procès au masculin, et Kyrill Makarov, ayant lui aussi témoigné à charge contre Sentsov et Cherniy, d’être des agents du FSB. Tous les autres témoignages nient, ou tout du moins ne confirment aucunement leur implication au sein de Praviy Sektor.

La déposition d’Alexandra Komonskaya faite lors de l’enquête préliminaire dépeint Sentsov comme un activiste prêt à prendre des mesures radicales pour lutter contre l’annexion de la Crimée. Elle ne s’est cependant pas présentée à l’audience. Contactée par téléphone lors de celle-ci par le juge, elle a refusé de témoigner devant le tribunal.

Du côté de la défense, une certaine « Angelina » a témoigné. Selon elle, Sentsov, avant d’être arrêté, faisait partie d’un comité de formation aux premiers secours, dans lequel il se serait engagé au printemps 2014.

Sentsov lui-même a enfin pu s’exprimer publiquement sur son procès. « Je ne pense pas que ce procès soit légitime. Je suis citoyen ukrainien, illégalement capturé par des agents de vos services de renseignements. Je suis retourné en Crimée après que votre pays a commencé à l’occuper pour faire du volontariat, sans rien avoir à avoir avec Praviy Sektor. J’aidais les journalistes, en particulier les journalistes étrangers. On a été bloqués par vos forces spéciales, et quand il est devenu évident que les militaires ukrainiens ne pouvaient pas rester en Crimée [sans être menacés], j’ai essayé d’aider à l’organisation de leur évacuation et de celle de leurs familles. C’était un travail colossal. J’ai aussi aidé dans les recherches des activistes pro ukrainiens disparus ou kidnappés en Crimée. On a réussi à en sauver quelques-uns, il y en a d’autres qu’on n’a pas retrouvés, qui sont probablement morts. J’ai seulement cherché à aider ceux qui se battaient pour l’Ukraine ».

Il s’est ensuite exprimé sur les violences qu’il dit avoir subies lors de sa détention dans les anciens bureaux du SBU, devenus depuis ceux du FSB, en Crimée. « Ils ont commencé à me battre, à coups de poings, de pieds, avec des objets. Debout, couché, assis. C’est difficile de rester assis sur une chaise quand on te bat à la matraque. Ils m’ont étouffé avec un sac. J’avais déjà vu ce genre de pratiques au cinéma et à ce moment-là je n’avais pas compris pourquoi les gens abandonnaient [et avouaient des crimes qu’ils n’avaient pas commis]. C’est quelque chose d’horrible. J’y suis passé quatre fois. Ils ont menacé de me violer à la matraque. Ça a duré trois ou quatre heures ». Sa version est la même que celle donnée le 10 mai, à Moscou, aux enquêteurs et aux médecins, qui n’avaient pas souhaité enquêter sur ces faits de torture. Malgré les violences physiques et les menaces de poursuite pour « organisation de groupe terroriste », passible de 20 ans d’emprisonnement, Sentsov a refusé de plaider coupable pour « incendie criminel », passible de sept ans de prison.
Afanasyev, condamné début 2015 à sept ans fermes pour « incendie criminel » n’a pas pu se rendre à l’audience. Il avait témoigné contre Sentsov lors sa première audition en tant que témoin, et s’est depuis rétracté. Il a indiqué que son témoignage avait été obtenu sous la contrainte.

« Il a été arrêté le 9 mai, alors qu’il se rendait à une manifestation. Des hommes masqués ont commencé à le battre sans rien dire, l’ont jeté dans une voiture, l’ont tabassé pendant un bon moment, et l’ont emmené hors de la ville. Il ne se souvient plus de la moitié des questions qu’on lui a posées, mais on lui a demandé son nom et de déposer un témoignage incriminant Sentsov et d’autres activistes. Il a été conduit dans les locaux du FSB à Simféropol, dans le bureau du juge Burdine, qui lui a « gracieusement » offert l’opportunité de confesser son implication dans les explosions ayant visé une statue de Lénine et le mémorial de la « Flamme du souvenir ». Quand Afanasyev a déclaré qu’il n’avait rien à avoir avec aucun de ces deux évènements et qu’il ne comprenait pas de quoi il en ressortait, il a été emmené au premier étage du bâtiment, où il a été passé à tabac et torturé. Il était menotté, et eux l’ont violemment battu en ayant préalablement enfilé des gants. Il est ressorti couvert de bleus sur le torse et le ventre, mais ça n’a pas été pris en compte lors des examens médicaux. Ils l’ont aussi frappé au visage, avec des gants encore, pour ne laisser aucune trace. Ils lui ont mis un masque à gaz et ont commencé à bloquer le filtre. Lorsqu’ils l’ont finalement laissé reprendre sa respiration, ils ont injecté une espèce de liquide dans le masque, et il a commencé à vomir. Comme il a vomi dans le masque, il a commencé à s’étouffer. Il a aussi reçu des décharges électriques, notamment dans les parties génitales. Il a été contraint de témoigner, parce qu’il ne pouvait plus supporter la douleur », a déclaré l’avocat d’Afanasyev lors du procès. Afanasyev avait déjà expliqué tout cela à un membre de la Commission d’observation sociale, qui lui avait rendu visite au centre de détention provisoire.

Le juge Sergei Mikhailuk a refusé d’inclure la déposition d’Afanasyev au dossier, tout comme il a rejeté celle du secrétaire de Praviy Sektor, qui témoigne de l’absence totale d’implication de Sentsov et d’Afanasyev au sein de la mouvance nationaliste.

Source (en russe) : http://www.svoboda.org/content/article/27178704.htm

Photo : © Anton Naumlyuk pour Radio Svoboda.