Paul Gogo et Antoine Delaunay sont journalistes français, ils ont couvert les événements en Ukraine
depuis 2014. Le 31 août 2015 ils étaient témoins des affrontements devant le Parlement ukrainien. Antoine a été blessé lors des affrontements qui ont fait trois morts parmi la police et plus d’une centaine de blessés. Paul l’a accompagné jusqu’à l’hôpital.
UCMC les a interrogés sur leur expérience du 31 août et sur la signification des événements.
– Qu’est-ce qu’il s’est passé le 31 août devant le Parlement ?
Antoine : Je suis arrivé devant le Parlement une heure et demie après l’explosion qui avait tué un
policier. A ce moment presque personne n’était plus devant la Rada. Par contre des cris venaient de la
rue adjacente. Je me suis rendu là-bas et j’ai commencé à prendre quelques photos.
Paul : Je suis arrivé juste après la première bagarre durant laquelle il y a eu l’explosion, au moment où les ambulances évacuaient les blessés. J’étais du côté des manifestants dont grand nombre quittait déjà les lieux. La tension retombait, les ambulances étaient là, tout le monde partait.
– Qui étaient les manifestants ?
Paul : Certains d’entre eux étaient cagoulés, ils avaient les boucliers des anti-émeute qu’ils ont sans doute gardé sans doute depuis l’époque de Maidan. Les provocateurs étaient encore là, mais ils ne représentaient qu’une quinzaine des personnes. Ceux-là étaient de «Svoboda». D’ailleurs, je n’ai vu que des drapeau de «Svoboda».
Antoine: Je n’ai pas d’idée très claire qui étaient ces gens-là car je suis arrivé derrière la police au moment où ils apportaient du renfort. Les manifestants étaient encore en train d’attaquer les policiers sur cette rue. Ils étaient 15-20 personnes. Il y avait plus de journalistes autour d’eux que de gens qui étaient en train d’attaquer la police.
Il y avait un officier de la garde nationale qui a eu une discussion assez mouvementée avec certaines personnes en leur expliquant qu’il y avait déjà un mort de la garde nationale, en face de la Rada, pour rien. Il leur avait pointé toute l’absurdité de la situation.
– En quoi est-ce la situation était absurde ?
Paul : Devant le Parlement, au moment où tout le monde partait, il y a eu un moment où les manifestants ont commencé à chanter l’hymne national. Les policiers de la garde nationale ont commencé à chanter eux aussi, la main sur le cœur. Les deux camps ennemis chantaient l’hymne national face à face. C’était déjà après l’explosion qui a fait trois morts plus de centaine de blessés.
Un autre moment bizarre a eu lieu sur la rue adjacente au Parlement. Une partie des manifestants n’était pas d’accord avec ce qui faisaient une partie de manifestants plus radicaux. Ils ont chopé un policier tout juste devant moi, et d’autres manifestants l’ont libéré et l’ont aidé à rejoindre les rangs de ses collègues.
C’était vraiment la pagaille, personne ne comprenait ce qui se passait, les pierres arrivaient de tous les côtés.
Antoine : Le plus ironique et absurde dans cette situation est que les gens qui sont morts sont de la Garde nationale, une force issue de Maidan, qui voulaient défendre le pays. Ils représentent en quelque sorte une nouvelle Ukraine. J’étais agréablement surpris par le calme et de la garde nationale. Même après l’explosion et la mort, il n’y avait pas d’agressivité, ils ne répondaient pas aux provocations.
Pour moi cela ressemble à des événements qui ont eu lieu à l’ouest de l’Ukraine avec Pravy Secteur. Le fait que les partis d’extrême droite continuent à se retrouver dans des situations comme ça est inquiétant. Cela s’aggrave même, parce que cette fois-ci c’était devant le Parlement. Or la situation était vraiment absurde car la grenade était lancée non loin des autres manifestants et donc il y avait un véritable risque de toucher d’autres manifestants.
– Comment Antoine a été blessé ?
Antoine : Sur la rue adjacente au Parlement j’ai essayé de me mettre à l’endroit où il n’y avait pas de danger. Peu après j’ai pris une pierre dans la tête qui avait cassé mes lunettes et mon téléphone. J’ai porté ma main vers le front et j’essayais de récupérer mes lunettes. Mais Il y avait des gens qui m’ont sauté dessus en m’obligeant à rester allongé. Les gens qui m’ont apporté les premiers soins portaient des T-shits de «Svoboda». Ils m’ont traîné jusqu’à l’ambulance.
Quant j’étais dans l’ambulance, il y av des gens qui ont commencé à attaquer le véhicule car ils pensaient qu’il y avait un policier là-dedans. Finalement, j’ai été transporté à l’hôpital où j’avais passé la nuit. Ils m’ont fait passer tous les tests, les scanners, etc, radio. Au final, j’ai une coupure de 4 cm au front, mais c’est tout. Il n’y a pas de traumatisme.
Paul : J’ai vu que quelqu’un était touché au milieu de la foule et que d’autres journalistes se sont précipités pour voir de plus près. J’y suis allé moi aussi et j’ai vu Antoine qu’ils trainaient vers l’ambulance. Ensuite, il y a eu pas mal de fausses informations diffusées dans les médias. Certains disaient qu’il s’est pris une balle dans la tête, par exemple. D’autres racontait qu’il y avait deux journalistes français blessés.
Est-ce que, selon vous, les changements à la Constitution justifient la manifestation et l’agression qui ont eu lieu ? Quel est la signification de l’événement du 31 août?
Antoine : Je pense qu’il ne faut pas mettre toute la société ukrainienne dans les rangs de manifestants. Je pense que c’est une minorité qui a protesté le 31 août. Même Pravyi Sector a quitté les lieux après l’explosion car ils ne voulaient évidemment pas être associés à des actes de violence. D’autre part, c’est évident que, d’une certaine manière, des événements comme celui-là aident la cause séparatiste.
Paul : Sincèrement, on était tous choqués par le 31 août à Kiev, parce que nous croyons que les amendements portés à la Constitution, la restructuration de la dette extérieure et le cessez-le-feu qui était censé tomber, l’ensemble de ces choses allaient redonner un souffle à l’Ukraine. ça allait lui permettre de se relancer un peu, de sortir de la guerre, de se relever politiquement et économiquement. Après on en est tous ressortis avec le sentiment de frustration.
D’autre part, le pouvoir ukrainien a commis l’erreur d’avoir joué la désinformation pour conserver une mobilisation civile. Le Président faisait croire à la population ukrainienne que l’armée continuait d’essayer de récupérer le Donbass. Mais depuis six mois, le but était plutôt de consolider une ligne de front pour faire vivre un cessez-le-feu. Une réalité que le président ukrainien ne peut se permettre d’affirmer publiquement car la bataille pour un cessez-le-feu réel est ponctuée de victimes collatérales, des soldats dont les morts ne sont qu’à moitié relayées afin de donner de l’espoir à ce cessez-le-feu indispensable. Mais les ukrainiens commencent à comprendre que l’Ukraine a été la variable d’ajustement d’un agenda politique international qui dépasse les volontés et espoirs ukrainiens. Que ce cessez-le-feu signifie la perte du Donbass, la perte de la guerre puisque sans combats, la DNR et la LNR existent de facto.
Or les groupes radicaux, ils n’ont jamais caché qu’ils voulaient continuer la guerre. Les gens devant la Rada, ne toléreront pas de voir l’armée revenir après tous les morts qu’il y a eu dans l’Est.
Quelle conclusion peut-on tirer sur «Svoboda » et autre «partis de la guerre» suite au 31 août ?
On se rend compte que les radicaux en Ukraine sont minoritaires, mais en même temps une explosion de grenade dans le centre de Kiev, cela rappelle de mauvais souvenir à tout le monde. Liachko qui continue à faire le clown devant l’Administration présidentielle, c’est assez pitoyable, d’autant plus que, même s’il est en train de s’isoler politiquement, il y a toujours des gens qui le suivent.
En même temps le Président a des raisons pour s’inquiéter car si les partis politiques radicaux quittent la coalition, il n’y aura plus de majorité.
D’une manière plus générale, l’erreur de l’Ukraine est imputable à de nombreux militants ukrainiens, qui, dans la panique d’une agression russe en 2014, ont cru qu’ils pouvaient se permettre d’accepter toutes sortes d’aides, allant même jusqu’à leur rendre hommage, même celles venant des groupes nationalistes et néo-nazis qui ont effectivement permis à l’Ukraine de protéger la ligne de contact dans un premier temps (aéroport de Donetsk, est de Marioupol).
Mais maintenant, l’Ukraine va devoir apprendre à vivre sans ces groupes radicaux, pour que plus jamais de jeunes policiers ou gardes nationaux ne meurent devant les portes de la “maison de la démocratie” qu’est censé être un parlement. Mais l’Ukraine devra se débarrasser de ces groupes radicaux de façon démocratique.