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Les histoires venues du front: des carrés d’aneth à la frontière, des varenykys aux cerises et un gilet par-balles offert par des prisonniers

En une année depuis le début du conflit militaire dans l’est de l’Ukraine, le peuple ukrainien et  l’armée ont devenus pratiquement un TOUT. De nombreux Ukrainiens  sont partis au front avec des armes et ont formé des bataillons  de volontaires qui soutiennent et couvrent les Forces armées de l’Ukraine. Les autres, risquant leur vie,  apportent régulièrement de l’aide, de la nourriture, de l’eau, des tenues, des produits d’hygiène personnelle et d’autres articles nécessaires pour les militaires. Beaucoup d’Ukrainiens travaillent bénévolement à l’arrière-front, ils collectent les dons, tissent les filets de camouflage, soutiennent  des soldats blessés  dans les hôpitaux et en cours de réhabilitation.  Mais il y a  en certains qui aident les professionnels médicaux directement sur  la ligne de front, comme par exemple, les militants  du groupe de volontaires «Veterok» ( la brise), qui épaulent  actuellement  des soignants  dans un des endroits les plus dangereux du Donbass, près de l’aéroport de Donetsk.

Serguei Kiselev, un des volontaires de «Veterok» et un des organisateurs de la Fondation  «Patriotes de l’Ukraine» dans la ville de Khmelnytskyi, depuis presque un an déjà  est sur la ligne de front. Il raconte: «Nous sommes allés dans la  zone de l’ATO depuis presque début des hostilités, nous apportions la nourriture, les commandes spécifiques sur la ligne de front. En hiver, on fournissait aux soldats les vêtements chauds,  les sous-vêtements thermiques, les tenues, les chaussures chaudes, les cigarettes, les gilets pare-balles, les sacs de couchage, les caméras  thermiques. Nous étions dans les endroits les plus «brûlants»: près de Donetsk, près de son aéroport, près  de Lougansk,  Debalzevo… Puis nous avons  rencontré Galina Almazova, une bénévole, leader de l’organisation «Veterok», qui a extrait des centaines de blessés militaires ukrainiens des champs de bataille. Nous avons  commencé à aider cette organisation soit en servant dans les véhicules de soins intensifs sur la ligne de tirs, soit  en extrayant  les blessés du champ de bataille. Nous somme en service  2 à 3 semaines, puis nous rentrons à la maison, un peu de repos… puis de nouveau à l’avant-garde. Quand j’ai du temps libre, j’apprends à piloter le  drône».

Serguei se montre optimiste, malgré le fait que les combats et les tirs  des séparatistes sur les  positions ukrainiennes  près de l’aéroport de Donetsk ne cessent pas depuis plusieurs jours.  Il semble être  confiant en la victoire de l’armée ukrainienne, pour laquelle il a déjà fait beaucoup. «Je veux vraiment arriver à la frontière avec la Russie, et y faire pousser des carrés d’aneth». Ironise-t-il. (Les prorusses nomment les Ukrainiens « oukrope » ce qui signifie « aneth » en français.)

         Avant la guerre, Serguei était  entrepreneur et  avait une vie aisée et  confortable mais il n’a pu fermer les yeux sur les événements dramatiques dans l’Est de l’Ukraine. «J’ai un sens aigu de la justice, et  je ne parvenais  pas à  rester indifférent à ce qui se passait. Ils ont commencé à diviser  notre pays, il était nécessaire de réagir. Je  suis Russe, mon père est Russe de  l’ Oural, mais j’aime l’Ukraine, c’est mon pays,  j’ai  grandi ici». Serguei avoue que les relations avec la famille paternelle  sont devenues  tendues : «Avant Maidan nous communiquiont bien mais  désormais nous le faisons au minimum, nous essayons de ne pas parler  de politique.  J’ai tenté longtemps   de leur expliquer ce qui ce passait réellement mais je me suis persuadé que cela était  inutile».

Quelques heures d’accalmie près de  l’aéroport… Serguei boit un thé avec des soignants  assis sur un banc près d’une petite maison où est dispersé le poste médical. A l’intérieur, une jeune femme prépare un repas, un plat traditionnel ukrainien : varenykys aux cerises. Son nom est Svetlana, elle est infirmière et  a rejoint les «Patriotes de l’Ukraine» depuis quelques mois. Au début elle aidait dans le bureau central de Khmelnytskyi, puis a commencé à aller au front avec Serguei pour aider les soignants. Maintenant, le but de Svetlana c’est de s’enrôler dans l’armée ukrainienne.

Dans sa famille il y a déjà un militaire : son  frère Alexandre est artilleur, il est de service près de  Novoaydar, dans la  région de Luhansk. Elle nous montre fièrement une photo où ils sont ensemble en tenue militaire. «Je suis allée déjà plusieurs fois  sur la ligne  de front pour aider les blessés. L’un d’eux a eu un arrêt cardiaque, je devais mettre un cathéter. Je craignais de ne pas bien réussir à cause du stress mais tout s’est bien passé. Nous aidons non seulement les militaires mais aussi la population civile qui, en fait,  nous traite  très bien». Lorsque Svetlana n’est pas de service, elle aide les soldats dans leur vie quotidienne : cuisine, ménage, soutient.

«Veterok» fournit une aide précieuse aux médecins militaires, fatigués de la guerre qui dure depuis déjà toute une année. De plus,  l’armée ne dispose pas suffisamment de soignants. Par exemple,   ce n’était pas rare que  Vladimir se retrouve seul sur la ligne des tirs sans aide  du personnel paramédical.  En même temps  ce sont  les premiers soins qui décident  souvent de l’avenir du blessé. La tâche principale de Vladimir est d’assurer les  premiers secours, stabiliser l’état général, normaliser les fonctions vitales de l’organisme, faire monter la pression artérielle, arrêter l’hémorragie, traiter la plaie. Après la stabilisation le blessé  est envoyé à l’hôpital militaire de Krasnoarmeysk et à partir de là… à Kharkiv  ou à  Dnipropetrovsk.
Vladimir,  trente ans,  est  dans la zone de l’ATO  (Opération  Antitérroriste)  depuis  janvier  2015. Dans la vie d’avant-guerre, il était  traumatologue  à Vinnytsia. Il s’est engagé volontairement dans l’armée  car  il considère qu’actuellement   ses compétences  ont plus d’utilité à la guerre.  Probablement qu’il ne s’est guère trompé, compte tenu du fait que, pendant  trois mois déjà  il ne peut obtenir une permission.  En ce moment  Vladimir l’espère encore moins car sur le poste médical qu’il gère,  on lui amène la plupart des blessés de la zone de l’aéroport de Donetsk.

«Plusieurs fois, je suis allé sur la ligne de front qui était  sous les bombardements. Nous étions confrontés aux tirs de chars, de mortiers,  de  «Grads». Mais ce n’est pas le pire. La pire  des choses est de rester  sur le poste médical  tout en  sachant qu’à côté il y a un combat   et espérer  que tout ira  bien et nous les soignants n’aurons pas de travail. Encore il est très difficile de savoir que quelque part, sur le champ de bataille, il y a des  blessés qu’on ne peut pas sortir. Mais il y a des  moments de joie! Par exemple,  tu  secoures  un soldat grièvement blessé qui est entre la vie et la mort, tu l’envoies à l’hôpital et puis on t’appelle  de l’hôpital pour te dire  qu’il va vivre».Vladimir ne regrette pas bien sûr sa décision de rejoindre l’armée,  même si  ses proches ne voulaient pas le laisser partir. Vladimir pense  aux nerfs de sa famille : il n’a pas même dit à sa femme où il se trouvait.

Notre groupe rejoint  l’infirmier Ali, un personnage pittoresque, en short rouge et noir et en fez noir.  Ali est Ukrainien,  originaire et habitant de Cherkassy,  jeune, il  était un conscrit dans l’armée soviétique, a fait son service militaire  près de Moscou.Sa mère  est de  Bielorussie,  son père est un Tatar de Crimée. Avant la guerre, il  était infirmier dans la colonie pénitentiaire № 62 de  Tcherkassy. Ali nous raconte son histoire :

«À un moment j’en avais marre de rester devant la télé à attendre des informations, m’inquiéter… et je suis allé volontairement au commissariat militaire. Vous savez, mon arrière grand-père a servi dans la Garde personnelle de l’empereur Nicolas II. Un de mes grands-pères a participé à la guerre soviéto-finlandaise et la Grande Guerre Patriotique (1941-1945), il l’avait fait du premier au dernier jour. Mon autre grand-père a été brûlé dans un char près de Moscou. La décision de défendre ma Patrie était  naturelle pour moi».

Ali nous parle de sa vie avant la guerre, de son travail qu’il aime beaucoup. Pour lui son service dans l’armée pendant les combats ressemble  à celui dans la colonie. En effet, là-bas  et ici, il est nécessaire de ne compter que sur soi-même, de réfléchir et agir rapidement. «Vous savez, une ambulance ne peut pas arriver aussi vite dans une colonie  que dans un endroit public. Par conséquent, c’est à nous de réfléchir,  prendre des décisions et agir  en urgence. Mais j’aime mon travail. J’ai des  relations excellentes  avec des collègues et des patients. Mon gilet pare- balles… ce sont mes collègues qui me l’ont acheté  et vous savez quoi ? Ils ne disposaient pas assez d’argent et les prisonniers ont ajouté le  montant restant. Ils ont dit que si  eux-mêmes ne peuvent  pas se battre, alors au moins ils veulent aider celui qui  va à la guerre».

Ali ne regrette pas d’être entré dans l’armée mais parfois  c’est très dur. Il se souvient toujours des premières victimes qu’il a vues. «Nous venions d’entrer à Pisky. C’était très beau là-bas,  on dirait un petit Versailles. De belles maisons,  bien aménagées, des tableaux et icônes aux murs. Très joli! Nous nous promenions  comme dans un musée, en contemplant  tout cela. A ce moment  a commencé  le pilonnage. Ils étaient tous jeunes les gars, le lieutenant Dmitri Ilitskyi  avait seulement 24 ans».

Plus précisément,  ce même jour là il a eu  ses 24 ans et ce vingt-quatrième anniversaire de Dima était le dernier de sa vie. Les éclats d’obus ont criblé ses jambes.  Les médecins essayaient  de le sauver mais n’ont pas pu. Dima est mort à l’hôpital de Krasnoarmeysk d’un choc traumatique. La deuxième victime ce jour-là était encore plus jeune. Ivan Lesnikov, vingt-deux ans… cavité abdominale perforée. Sergey Kiselev,  présent lors  de ce pilonnage, se souvient: «Une partie des viscères de Vanya était sortie du corps au dessous des côtes. C’était insupportable de voir tout ça». Ivan a souffert  une semaine à l’hôpital de Dnipropetrovsk. À un certain moment, son état commençait à s’améliorer mais lors d’une  opération  de suite, il a eu  une hémorragie interne. Il est décédé. Seul  le troisième blessé, Sacha, a survécu mais il a perdu son bras…

Ali et Serguei deviennent  silencieux, enfoncés dans les souvenirs douloureux. Pour ceux qui se trouvent loin de la guerre, ses blessés et tués  ne sont que  des chiffres bruts de statistiques mais pour les médecins et les volontaires  se sont des gens vivants, chacun avec sa propre histoire.

Le jour s’éteint, le village plonge dans la nuit. De temps en temps, on  entend   de loin les explosions des obus. Svetlana,  souriante  sort  sur le seuil du poste  médical :

«Vaarenykys  sont prêts. A table ! »

Olena Gorkova

Traduction de Halyna  Guillot

L’article original en ukrainien est disponible sur Ukraїnska Pravda