Les plus cruels combattants dans le Donbass sont des mercenaires du Caucase, ainsi que les cosaques du Don

L’entretien avec Adam Novak, ancien policier polonais et un des auteurs du rapport sur les crimes de guerre commis par les Russes en Ukraine par Wojciech Pięczak. La version originale de l’article est disponible sur InoSmi, la version en ukrainien sur 112

  • Tygodnik Powszechny: Comment avez-vous rejoint l’équipe qui s’est engagée à documenter les crimes de guerre commis par les Russes en Ukraine?
  • Adam Nowak (pseudo): Un copain m’a raconté que Małgorzata Gosiewska (députée polonaise, auteure du rapport) possédait des informations sur les crimes de guerre commis par les Russes et qu’elle recherchait des gens d’expérience pour interroger les victimes et les témoins, et pour ensuite faire un rapport.  Il savait que je travaillais à la police depuis longtemps, que je menais des enquêtes sur des affaires criminelles et le crime organisé. J’ai dit que j’étais d’accord. Ensuite, un collègue qui travaillait avec moi dans le Bureau central d’enquête (CBŚ) et une autre personne ayant une expérience éditoriale se sont joints à moi. C’était notre équipe.
  • Les Ukrainiens ont participé à ce travail?
  • Les bénévoles ukrainiens ont recueilli le témoignage de plusieurs personnes, et nous avons interrogé toutes les autres au cours de plusieurs voyages en Ukraine, y compris dans la zone du conflit à partir du mois d’avril 2015.
  • Combien de personnes avez-vous interrogé?
  • Presque 70 personnes. 2 en Pologne et le reste en Ukraine.
  • 70 personnes c’est beaucoup?
  • Ce n’est qu’un fragment de la réalité. Après avoir terminé de recueillir des informations et entrepris leur traitement, nous avons constamment continué à recevoir des données provenant d’autres personnes voulant donner leur témoignage. Mais nous n’avons pas été en mesure de les utiliser car, dans ce cas-là, le travail aurait duré encore un an ou deux. Bien entendu, si le Tribunal de la Haye est intéressé par ce materiel (et j’espère que cela se produira, car le tribunal a déjà commencé une étude préliminaire de la situation en Ukraine, et nous y envoyons notre matériel dans ce cadre), nous lui transmettrons les contacts des autres témoins.
  • Pourquoi les témoins restent anonymes?
  •  L’anonymat est une procédure standard dans des enquêtes pareilles. Toutes les victimes figurent dans le rapport sous les numéros C-1, C-2 etc. C provient du mot anglais «case» – cas. Si la Cour Pénale Internationale commence à examiner cette affaire, nous donnerons les contacts des victimes aux enquêteurs. Cependant, on peut déjà identifier quelques personnes grâce, par exemple, aux photos jointes au dossier. Des victimes ont donné leur accord et parlent déjà publiquement, en racontant ouvertement ce qui leur est arrivé.
  • Vous souvenez-vous de votre première discussion?
  •  C’était un volontaire du bataillon «Donbass». Il s’est fait capturé par les Russes lors de l’encerclement d’Illovaysk, et a subi des tortures.  Ensuite, les choses se sont enchaînées : il a appelé ses camarades, qui étaient également en captivité. Eux aussi nous ont donné des contacts. Nous avons continué notre chemin d’une personne à une autre. Małgorzata Gosiewska et les bénévoles ukrainiens nous ont donné aussi plusieurs contacts utiles. Nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler avec Małgorzata Gosiewska sur le terrain. Nous n’avions que très peu de moyens, les Ukrainiens étaient étonnés, dans le sens positif, de voir une députée conduire une voiture, dormir dans un sac de couchage dans des conditions inconfortables.  Nous répondions qu’elle avait déjà dormi dans les tranchées du Donbass sous les bombardements. Cela nous ouvrait les coeurs de nos interlocuteurs.

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  • Tout le monde était prêt à discuter?
  • Non, pas tout le monde. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à enregistrer des cas de cruauté extrêmes, même au regard du contexte de tout ce que nous avons entendu. Telle cette jeune fille qui avait accepté de parler mais, finalement, n’a pas pu.
  • Qu’est-ce que lui est arrivée?
  • Elle a 22 ans. Elle s’est fait capturer par des mercenaires tchétchènes qui se battaient du côté des Russes et a été retenue pendant environ deux semaines. Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer ce que lui est arrivé là-bas.
  • Où est-elle maintenant?
  • À l’hôpital psychiatrique. Pour le moment, personne ne peut dire si elle en sortira un jour.
  • Votre rapport ne fait aucune mention d’un viol.
  • Nous n’avons pas réussi à obtenir les témoignages des femmes qui avaient été violées. Peut-être, nous l’aurions pu si nous avions pu passer plus de temps là-bas. Mais nous étions pressés. Il nous est arrivé de faire le trajet d’une victime à une autre la nuit. Małgorzata Gosiewska conduisait, nous dormions. Ensuite, le matin, nous recueillions les témoignanges et elle dormait.
  • Comment savez-vous qu’il y a eu des viols?
  • Des gens qui s’occupaient de ces femmes et des témoins qui ont vu cela nous l’ont confirmé.
  • Quelle était la réaction des gens que vous avez rencontré?
  • Différente de l’une à l’autre.  Une fois, nous avions rendez-vous avec un homme qui est venu ivre, a fait une crise d’hystérie et est parti. Il nous arrivait d’écouter des gens se plaindre que l’État ne s’occupait pas d’eux, qu’il les avait laissé tomber.  Une autre fois, nous avons discuté avec un homme âgé qui a beaucoup souffert. Pendant 10 minutes, il m’a crié dessus : «Pourquoi ne faites-vous rien? Vous avez obtenu le pouvoir et maintenant vous vous faites de l’argent au lieu de nous aider ». Il a crié sur moi comme si je représentais le gouvernement ukrainien. Je l’ai laissé s’exprimer et quand il a fait une pause pour reprendre son souffle et poursuivre sa tirade, je lui ai dit que j’étais polonais, que je ne représentais pas le gouvernement ukrainien. Il est alors revenu à lui, il s’est excusé et a temoigné.
  • Est-il vrai que l’État ne les aide pas?
  • Je ne peux raconter que ce que j’ai vu. Ces gens-là se trouvent souvent dans une situation désespérée. À titre d’exemple, un groupe des Cyborgs (militaires ukrainiens ayant défendu l’aéroport de Donetsk) qui s’était fait capturé a été libéré, après avoir passé beaucoup de temps en captivité. Ils sont tous dans un état physique et psychologique épouvantable. On les a arrosés avec de l’eau bouillante, on les a brûlés avec un fer à repasser. Ils restent pratiquement sans aide médicale et disent qu’ils n’intéressent ni l’armée, ni les fonctionnaires.
  • Quelqu’un les aide quand même?
  • Les bénévoles. J’ai l’impression que l’Ukraine fonctionne uniquement grâce aux bénévoles et aux volontaires. Les volontaires ont réussi à arrêter l’ennemi et à récuperer une partie du Donbass en 2014, bien avant les réformes dans l’armée. Les bénévoles habillent et nourissent les soldats. Quand les soldats rentrent de captivité ou quand ils sont dans les hôpitaux, ils sont encore soignés par des médecins et psychologues bénévoles. Les bénévoles aident les déplacés. Les Ukrainiens nous demandent parfois «Si vous êtes Polonais, pourquoi vous faites cela pour nous? ».
  • De quelles situations vous rappelez vous encore?
  • Il y a une discussion avec un Cyborg que je n’arrive pas à oublier, même si j’essaie de garder une distance psychologique. Il s’est fait capturer, blessé par plusieurs éclats d’obus. Il raconte qu’au lieu de lui faire au moins des pansements, les Russes ont commencé à le torturer. Une infirmière russe a même essayé de persuader ses collègues russes de le châtrer. Heureusement, ils ne l’ont pas fait. Une autre histoire : un soldat ukrainien m’a raconté qu’il s’est fait capturé par les Tchétchènes qui lui ont demandé ce qu’il préférait : qu’on lui arrache le coeur, qu’on lui coupe les parties génitales ou qu’on lui coupe une oreille. Il a choisi une oreille. Et on lui a coupé une oreille. Ils ont aussi achevé son collègue blessé. Ensuite, un commandant est venu et a interdit d’achever les autres. Ce soldat a survécu, j’ai discuté avec lui. Il y a sa photo dans le rapport. Il lui manque vraiment une oreille.234881434
  • Est-ce le premier rapport sur les crimes des Russes?
  • Non, il y a deux rapports qui sont déjà sortis, mais ils sont plus petits. Un a été préparé par un groupe de Bruxelles, ils l’on déjà envoyé à la Haye. L’autre a été fait par les bénévoles ukrainiens. Il est court, 30 pages seulement, et parle surtout des victimes. Nous avons un autre objectif.
  • Lequel?
  • Identifier les criminels et documenter leurs actes en utilisant les témoignages des témoins et des victimes.
  • Combien de criminels avez-vous réussi à idéntifier?
  • Des dizaines. Pour certains, on ne connait que leur nom ou leur pseudo, leur description. Mais pour les autres, on a toute les informations nécessaires : prénom, nom de famille, date de naissance, l’endroit où ils ont commis leurs crimes et les détails.
  • Est-ce que la publication des pseudos est utile?
  • Oui, car le rapport est disponible sur Internet et nous espérons qu’il sera lu par des personnes qui sauront identifier les criminels avec leurs pseudos ou leurs descriptions, et qui nous contacterons ensuite. Si nous possédons la déscription d’une personne qui s’appelle David, dont une victime nous a dit qu’avant la guerre, il était chef d’un sous-departement à la milice de Donetsk et que ses anciens collègues lisent ce rapport, peut-être l’un d’eux le reconnaîtra et se décidera à nous donner son identité. Même en restant anonyme, par courriel.
  • Vous avez identifié les criminels en vous appuyant sur des sources ouvertes?
  • Oui, nous n’avons pas eu accès aux renseignements secrets. Nous avons trouvé des informations très utiles sur Internet : il y a des sites ukrainiens sur lesquels les autorités et les bénévoles publient beaucoup de données sur la situation dans le Donbass, sur ce qui se passe de l’autre côté, qui se trouve là-bas. En outre, beaucoup de personnes que l’on supçonne d’avoir commis des crimes de guerre ne le cachent pas. Bien au contraire, ils s’en vantent sur Internet, sur les réseaux sociaux russes.
  • Pouvez-vous nous donner un exemple?
  • Par exemple, un homme qui ne figure pas encore sur la liste des criminels, car nous n’avons pas réussi à trouver ses victimes encore en vie. Nous avons décidé de n’inclure sur cette liste que ceux qui figurent dans les témoignages obtenus. Il s’appelle Alexy Miltchakov. Il est Russe, de Saint-Pétersbourg et a une vingtaine d’années. C’est un monstre avec des caractéristiques typiques des tueurs en série. Il a commencé son parcours sur les réseaux sociaux en se faisant prendre en photo avec un chiot. Ensuite, il a égorgé l’animal et l’a mangé pour «prouver qu’il était un vrai homme». Il est parti en tant qu’un volontaire dans le Donbass pour devenir le commandant du bataillon «Rousitch», qui est un bataillon de nationalistes russes à connotation fasciste. Sur Facebook, il publié ses photos avec des cadavres dépouillés. Un pervers psychopathe typique. En Russie, il est célébré comme un héros, on l’invite à la télévision comme un expert sur les sujets ukrainiens. Mais pour le moment, il ne figure dans notre rapport que dans les notes.
  • N’avez-vous pas trouvé ses victimes?
  • Non, pas de victimes vivantes. Nous avons juste des descriptions des meurtres qu’il a commis.
  • Les assasins que vous avez réussis à identifier. Qui sont ces gens?
  • Ils sont très différents. Les assassins les plus horribles sont des mercenaires des Républiques du Caucase : Tchétchènes et Ossètes, ainsi que les cosaques du Don, venus de Russie. Ils se distinguent par une cruauté particulière. Mais les autres groupes ne sont guère meilleurs. Par exemple, il existe une organisation, l’«Armée russe orthodoxe», composée de volontaires russes. Ils sont connus par leur agressivité particulière envers les  «infidèles», à savoir ceux qui ne font pas partie de l’Eglise Orthodoxe du Patriarcat de Moscou. Pour eux, on peut tuer les «infidèles». Ils sont très cruels envers les protestants ukrainiens. Avant la guerre, il y avait une petite communauté protestante dans le Donbass. Ils ont tué quelques prêtres avec leurs familles et torturé les autres avec beaucoup de cruauté.  Il y a eu des cas où leurs actions, notamment les attaques contre les églises protestantes ont été bénies par des prêtres orthodoxes. Quand j’ai écouté les témoignages sur cette «Armée », j’ai eu l’impression qu’ils sont juste des djihadistes orthodoxes. J’ai trouve leurs vidéos sur Internet. Par exemple, une sur des instructions sur le nettoyage des armes de manière «orthodoxe » pour qu’elles servent le plus longtemps possible.
  • Y a-t-il des « gentils russes»?
  • Oui, il y en a. Nous avons le témoignage d’une personne que l’on a torturé pendant quelques heures. Quand il est revenu dans sa cellule, quelqu’un lui a apporté des analgésiques en cachette. Donc, nous ne pouvons pas dire que de l’autre côté, il n’y a que des psychopathes. Pourtant, il existe une approbation publique de ces actes, considérés comme des crimes par la loi internationale, y compris l’approbation des dirigeants suprêmes. Nous avons des exemples de tortures horribles que je qualifierais de professionnelles commises par les membres du Service de renseignement militaire de la Fédération de Russie (GRU).
  • Comment savez-vous qu’il s’agit du GRU?
  • D’abord, parce qu’ils se présentaient ainsi eux-même. Ensuite, car ils ont torturé des cadres professionels de l’armée ukrainienne qui ont fait la guerre en Afghanistan à l’époque de l’URSS : ils connaissent bien ce milieu et ces méthodes.
  • Quelles étaient les tortures?
  • Par exemple, on brûle la bouche avec une bouilloire, on enfonce des objets pointus sous les ongles, on perce les genoux avec un couteau, on incise les muscles, on met du sel sur les blessures. Pour obtenir des informations, on utilise aussi des produits chimiques.
  • Quelles rencontres ont été les plus difficiles?
  • Après avoir discuté avec les femmes qui ont été violentées, je me disais que si j’attrapais le coupable, je le tuerais sans hésitation. Mais j’ai essayé de garder une distance pour que la procédure reste professionelle. On ne peut pas travailler sans garder une certaine distance. Mais c’est dur d’entendre un témoin dire qu’il a vu une femme enceinte se faire torturer. Nous n’avons jamais su qui était cette femme et si elle a survécu.
  • Que racontent les femmes?
  • Elles étaient victimes de tortures cruelles : on leur coupait des parties du corps, elles étaient brutalement battues, humiliées, elles ont vu leurs amis se faire tuer.
  • Qui étaient ces femmes?
  • C’étaient des jeunes filles et femmes ordinaires. Par exemple, des bénévoles qui apportaient des produits alimentaires aux soldats et qui se sont faites capturer. Mais l’activité politique n’est pas la seule raison pour se faire capturer. Il y a beaucoup de gens sans histoires qui se sont retrouvés dans les prisons du Donbass, juste parce qu’ils possédaient certains biens : une belle maison, une jolie voiture. Tout d’abord, les Russes ont donné des armes aux criminels locaux, aux cas sociaux. Ils leur ont donné des armes en disant : vous êtes désormais la milice locale, c’est à vous de faire régner l’ordre. Et les séparatistes choisissaient leurs victimes et les gardaient en prison jusqu’à ce que ces dernières ne mettent leurs biens au nom de leurs bourreaux. Bien entendu, c’était enregistré comme une simple vente. Si une victime résistait trop longtemps, on la tuait.
  • En utilisant vos données, peut-on dire si ces crimes étaient isolés ou systématiques?
  • Certainement systématiques. Il n’y a pas d’endroit dans le Donbass occupé dans lequel les militaires ukrainiens n’ont pas été retenus et où des crimes de guerre n’ont pas eu lieu. Autrement dit, il n’y a eu que très peu d’endroits où les prisonniers ukrainiens, militaires ou civils, étaient retenus sans être torturés ou assassinés. Selon tous les témoignages que nous avons recueillis, le seul endroit connu est Illovaysk. Les prisonniers ukrainiens, principalement les combattants du bataillon «Donbass », nous ont raconté qu’ils ont connu l’enfer en prison à Donetsk, mais qu’à Illovaysk, ils étaient plutôt bien traités. Le commandant des séparatistes locaux leur a dit : «personne ne vous embêtera ici, vous êtes des prisonniers ». Plus tard, il a avoué qu’il était correct avec les prisonniers, car des combattants de son bataillon  avaient été capturé par le bataillon «Donbass » qui les avait bien traités.
  • Est-ce que parmi les criminels que vous avez réussis à idéntifier, il y a Igor Girkin (Strelkov), colonel russe qui a déclenché la guerre dans le Donbass comme il s’en est vanté dans des interviews et qui était pendant quelques mois ministre de la Défense à Slavyansk et Donetsk?
  • Oui, ses activités sont très bien documentées. On peut lui attribuer certains crimes énumérés dans le Statut de Rome, sur lequel se base la Cour Pénale Internationale. Tout d’abord, en tant que commandant, il est directement responsable des actes commis par ses subordonnés et de sa tolérance à l’égard des crimes commis. Ensuite, il avait placé son état-major dans l’ancien bâtiment du Service de Sécurité d’Ukraine. Aujourd’hui, Slavyansk a été reprise par l’armée ukrainienne et nous avons pu visiter ce bâtiment. L’état-major de Girkin se trouvait directement en-dessus de la cave dans laquelle on torturait les prisonniers. En ville, il y avait au minimum deux chambres de tortures : une dans le bâtiment du Service de la Sécurité et l’autre dans le bâtiment de la milice. Dans ce deuxième endroit, on fusillé les gens condamnés à mort par le soi-disant tribunal militaire de Slavyansk. Igor Girkin a paticipé aux audiences de ce prétendu tribunal, sa signature était apposée sous les sentences de mort. Nous savons que les verdicts ont été adoptés au cours de la nuit par les «troyka » (un organe extra-judiciaire de poursuites criminelles du NKVD qui existait en URSS en 1937 et 1938) comme les Russes les appellent.

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  • Cela a un rapport avec les tribunaux de NKVD qui ont adopté les sentences de mort pour, notamment, les officiers à Katyn?  (Le massacre de Katyń est l’assassinat, par la police politique de l’Union soviétique (le NKVD), au printemps 1940, dans la forêt de Katyn, village russe proche de Smolensk et de la frontière biélorusse, de plusieurs milliers de Polonais, essentiellement des officiers)
  • Oui, cela a un rapport direct avec le NKVD. Ils adorent les noms issus de l’époque des débuts de l’URSS, de l’époque stalinienne. Ils ont appellé leurs tribunaux «troyka », leur service de renseignement porte le nom de NKVD. Encore un détail curieux qui montre la mentalité de ces gens : sur un protocole d’une «troyka » du 24 mai 2014 qui condamné deux personnes à la peine de mort, il est indiqué que ce verdict est basé sur …. le décret du Présidium du Soviet suprême de l’URSS du 22 juin 1941. Ce serait drôle si ces gens n’avaient pas été réellement tués.
  • La «troyka » de Girkin a comdanné à mort combien de personnes?
  • Nous ne le savons pas. Une fois que l’armée ukrainienne a repris Slavyansk, on y a trouvé des fosses communes, mais certainement pas toutes. D’ailleurs, il ne faut pas de «verdict » pour fusiller une personne. D’après les témoignages, il en résulte que les exécutions étaient une affaire quotidienne. On tirait une balle dans la nuque.
  • Et les autres leaders des soi-disant Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ?
  • Alexandre Zakharchenko, «Premier ministre» de la prétendue répubique de Donetsk et Borodai, son prédécesseur à ce rôle, ainsi que les autres leaders : ils sont tous coupables de crimes de guerre. Et les commandants aussi, et ceux qui se trouvaient directement sur les lieux des crimes. D’ailleurs, ils ne se cachaient pas et faisaient des photos, par exemple avec les cadavres des victimes comme Zakharchenko. Nous avons des témoignages concernant Borodai, personnage lié au Kremlin et envoyé à Donetsk par Moscou. Les membres du Service de renseignement militaire russe qui ont torturé une des victimes s’adressaient à lui comme si il était leur patron. Nous avons enregistré un cas où il a essayé d’obtenir un million de dollars pour la vie d’un prisonnier.
  • Un million ?
  • C’était un prisonnier hors du commun. Nous supposons que les séparatistes voulaient le ramener à Moscou pour le juger avec Nadia Savchenko. Mais les bourreaux de Donetsk l’avaient sérieusement mutilé et, selon les témoignages, Borodai leur a déclaré qu’ils avaient été trop loin et qu’on ne pourrait plus rien faire avec «ce tas de viande». Quand il a vu qu’on ne pouvait plus obtenir de rançon, il a ordonné de fusiller le prisonnier. Il a survécu juste parce qu’il se fait «reprendre » par un autre groupe sur le chemin du cimetière où on devait l’exécuter.
  • Un autre groupe ?
  • Je sais que ça sonne bizarrement mais, là-bas, tout le monde fonctionne de cette façon. Le prisonnier a été repris par des concurrents de Borodai que l’ont échangé contre quelqu’un dont ils avaient besoin, mais qui était entre les mains des Ukrainiens. Quand je recueillais les témoignages, j’avais l’impression qu’il s’agissait non d’un pseudo État séparatiste ou pro-russe, mais de gangs criminels. Ils ont tous participé à des pillages, les uns recupéraient des prisonniers importants aux autres pour pouvoir obtenir une rançon.
  • Vous dites que les Ukrainiens que vous avez interrogés vous demandaient pourquoi vous, les Polonais, faisaient cela. Alors, pourquoi ?
  • Pour que tout cela ne meure pas de mort naturelle, pour que le monde ne laisse pas passer, pour que le monde sache.
  • C’est la motivation des gens : pour que le monde sache ?
  • Des fois, dans les yeux des personnes que nous avons interrogés, je voyais l’espoir (imposant, je dirais, de grandes obligations morales) que si quelqu’un, surtout un étranger, s’y intéresse, alors il y aura des résultats.
  • Ainsi soit-il ?
  • Si c’est le Tribunal de la Haye qui s’en occupe, il peut établir la liste des criminels recherchés, envoyer ses propres inspecteurs. Même si l’Ukraine n’a pas ratifié le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, le Parlement ukrainien a adopté une loi selon laquelle tout ce qui s’est passé pendant la guerre sera transféré sous la juridiction de La Haye. J’espère que même si ces personnes ne pourront pas être traduites en justice, car la Russie ne les extradera pas, au moins, ils commenceront à avoir peur. Et que cela permettra de réduire l’ampleur des crimes. Car tout cela n’est pas encore fini, cela continue. Nous discutons avec les gens qui s’occupent des échanges de prisonniers, ils nous appellent régulièrement. Il y a deux jours,  j’ai reçu des informations sur une personne qui vient d’être libérée de la captivité russe où il a passé un an. On m’a dit qu’il était dans un état épouvantable. Mais il veut parler.