Ukraine. L’écologie à l’épreuve de la guerre

L’article publié sur le blog de Paul Gogo le 25 novembre 2015

Le Président ukrainien a désigné la semaine dernière la guerre comme responsable de la catastrophe écologique du Donbass. Mais c’est pourtant l’absence d’une vraie politique écologique qui semble le plus menacer le pays.

Cela fonctionne dans tous les domaines en Ukraine, aux grands maux s’appliquent des initiatives personnelles qui, elles-mêmes, se confrontent à l’inexistence d’une politique précise dans le domaine concerné. En ce sens, en Ukraine, il n’y a pas de meilleur exemple que l’écologie, notion presque inexistante dans le monde politique, mais belle et bien présente dans la société civile.

Difficile d’y parler écologie et la guerre n’arrange rien même si elle ne fait que détériorer une situation déjà catastrophique. C’est pourtant derrière la guerre du Donbass que le président ukrainien Petro Porochenko s’est abrité en ouverture de la Cop 21 pour expliquer la situation de son pays. “Les terroristes russes ont inondé de nombreuses mines, ce qui a empoisonné l’eau potable et le sol. L’atmosphère a été gravement polluée par l’utilisation d’armes lourdes. La question de la protection de l’environnement dans un contexte de conflit ne peut plus rester sans réponse adéquate de la communauté internationale” a-t-il déclaré. Pourtant, la Russie n’y est pas pour grand chose dans la triste situation écologique de cette zone.

Le Donbass, centre du conflit qui oppose combattants prorusses, armée russe et armée ukrainienne a toujours été le cœur industriel de l’Ukraine grâce à ses mines et usines métallurgiques. Sans compter Tchernobyl dont le sol est contaminé pour encore quelques dizaines d’années, cette région est sans conteste celle la plus polluée du pays. En 2012, voyant sa ville envahie par les fumées toxiques des hauts-fourneaux, Maxime Borodin, habitant de Marioupol (Est de l’Ukraine), a décidé de lancer un mouvement de protestation à destination des oligarques de la région. Ses rassemblements seront les plus importants jamais réalisés à Marioupol. Il sera entendu par les responsables de ces usines. Depuis, les industriels veillent à financer régulièrement de nouvelles cheminées permettant de libérer des fumées moins toxiques. Une des rares avancées en matière d’écologie, une nouvelle fois à l’initiative de la population.

Il ne faut pas pour autant nier les conséquences catastrophiques de la guerre sur l’écologie du Donbass. “Il faudra des années pour faire disparaître les conséquences écologiques de la guerre. Prenons exemple sur la bataille de Savour-Moguila (Est de Donetsk), il y a eu tellement de bombardements que la terre est retournée sur 15km². Des experts ont calculé qu’il faudrait 11 000 camions pour combler les nombreux impacts. Mais cela ne suffirait même pas car les obus ont pollué la terre. Les agriculteurs locaux, pourtant nombreux, seront des années sans pouvoir travailler cette terre” explique Irina Zhdanova, directrice de l’ONG fondation de la politique ouverte, qui souhaite créer les bases d’un mouvement écologique en Ukraine. Parmi les catastrophes du Donbass, il y a également l’usine chimique de Gorlovka située à proximité de l’aéroport de Donetsk, qui a été touchée plusieurs fois par les bombardements. Les deux camps ont régulièrement fait état de fuites dont les conséquences n’ont jamais été déterminées.

Côté politique, l’heure est pour l’instant à l’observation, parce que les Nations Unies le demandent. “Nous essayons d’estimer chaque dépenses en Co2 à l’issue des bombardements, et nous rapportons nos données à l’ONU” explique Vladislav Vezhnin, un représentant du ministère de l’écologie.

Mais de manière générale, la politique écologique est quasiment inexistante en Ukraine. “Nous avons débuté l’écriture d’un document directeur qui nous permettra d’avoir une ligne à suivre. Nous comptons d’ailleurs sur la Cop 21 pour améliorer ce document que nous terminerons en fin d’année”.

L’Ukraine bénéficie pourtant d’un terreau naturel et culturel plutôt favorable à l’écologie, ou du moins au développement intensif d’une agriculture biologique. Car l’Ukraine, ancien grenier de l’URSS, a accueilli une des premières exploitations d’agriculture et d’élevage biologique d’Europe, c’était en 1978. À l’époque, Semion Antoniets, jeune directeur d’un kolkhoze situé dans la région de Poltava, décide de bannir tous les produits chimiques de son exploitation et ce, à une échelle industrielle : une centaine de champs et un cheptel de plus de 5000 bêtes. Cette exploitation “bio” existe toujours, et Semion Antoniets est toujours aux manettes.

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Un soldat ukrainien dans un champs de l’oblast de Louhansk

“Il faut déjà comprendre que le bio s’impose souvent de facto à la société ukrainienne. Ici, c’est culturel. On a toujours cultivé nos fruits et légumes dans nos jardins. Si vous faites attention, même les jeunes ont encore ce réflexe d’aller acheter leurs fruits, légumes ou poulets aux grands-mères dans les marchés. On apprend à l’école à faire pousser les végétaux, et c’est toujours aussi populaire en Ukraine. Quand vous allez au parlement, les discussions entre députés sont pleines de “chez moi on a les meilleures tomates du pays”. L’agriculture biologique industrielle fait partie de l’avenir du pays” assure Taras Kachka, expert passé par le ministère de l’agriculture et de l’écologie.

“Le problème principal, c’est que nous n’avons pas de représentants politique écologistes charismatiques assure Irina Zhdanova. Il existe un parti “vert” qui n’a aucun députés, ni à la rada (parlement ukrainien), ni en région. Ils n’ont même pas participé aux dernières élections. Chaque parti politique a pour ambition d’atteindre le pouvoir. Or, il n’y a pas vraiment d’idées de ce type dans notre société, ni de soutien populaire, donc sans demandes, pas de propositions. D’autant que dans la plupart des pays d’ex-URSS, les partis politiques sont financés par le business. Il n’y a pour l’instant aucun de nos hommes d’affaire qui ne veuillent s’orienter vers l’écologie. L’objectif doit donc d’aider les gens à se réorienter vers les idées vertes, faire en sorte qu’une partie de la société soit préoccupée par ces questions, ce qui nous aidera à construire une demande et donc une politique qui répondra à cette demande avec peut-être, à l’avenir, un parti politique porté par un leader charismatique”.

Paul Gogo