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Le documentaire de Canal+ sur l’Ukraine: 7 faits

UCMC publie un résumé de l’article de Hromadske (vidéo du programme en ukrainien est ici)

«Ukraine : les masques de la révolution», le documentaire de Paul Moreira, réalisateur français a été diffusé sur la chaîne Canal+ lundi 1 février. Parmi les thèses clés du film apparaissent les clichés principaux de la propagande russe : la Révolution de la dignité n’aurait pas eu lieu sans radicaux d’extrême-droite, les bataillons de volontaires incontrôlés sont la plus grand menace pour la démocratie ukrainienne et tous les événements en Ukraine ont été manœuvrés par les États-Unis. La guerre dans le Donbass est à peine mentionnée et un grand nombre d’erreurs et de faits déformés ont provoqué de grands débats dans la société française bien avant la diffusion de ce documentaire.

Hromadske International a essayé de tirer les conclusions de cette polémique. Les journalistes de la chaîne ont contacté Paul Moreira pour l’inviter à se joindre à la discussion, mais n’ont pas obtenu de réponse.

Certaines images du documentaire de Paul Moreira ont été volées du documentaire ukrainien «All Things Ablaze»

Environ 1 minute dans le documentaire de Moreira est composée d’images volées du documentaire «Tout s’enflamme » (All Things Ablaze) d’Olexandre Tetchynsky, Olexiy Solodounov et Dmytro Stoykov. Yulia Serducova, productrice du film, l’a déclaré à Hromadske.

«Une fois le documentaire de Moreira sorti, j’ai commencé à recevoir un tas de lettres de la part de mes amis qui ont aperçu les images de «Tout s’enflamme». Nous avons fait une analyse image par image pour comprendre lesquelles avaient  été volées. Ils n’ont demandé ni notre permission, ni celle de l’entreprise britannique qui est notre distributeur officiel dans le monde. Actuellement, nous sommes en contact avec l’entreprise Premières Lignes, qui a produit le documentaire de Moreira. Nous leur avons envoyé toutes les preuves que ces images nous appartenaient. Nous exigeons qu’ils suppriment ces images et qu’ils nous présentent publiquement leurs excuses. Nous ne demandons pas de dommages et intérêts, mais il est important pour nous que le public sache qu’il y a eu vol».

Les erreurs factuelles

Le documentaire contient beaucoup d’erreurs factuelles. «Il y a beaucoup d’erreurs différentes dans ce film. Il y a des erreurs dans les faits, sur des choses très simples. Notamment, l’auteur dit qu’Igor Mosiytchouk, député ukrainien, est le porte-parole de Pravy Sektor, alors que cette personne n’a jamais fait partie de Pravy Sektor. L’auteur du film manque de respect pour les faits basiques», a déclaré Alain Guillemoles, journaliste français et auteur de la publication sur le film de Moreira dans Libération.

Un autre exemple est un fragment filmé dans un hangar sur la base du régiment Azov. L’auteur du film explique que c’est dans ce hangar-là que les radicaux rassemblent les chars les plus modernes. Hromadske a contacté le porte-parole d’Azov et celui-ci a expliqué que dans ce hangar, les techniciens d’Azov fabriquent avec leurs moyens des véhicules pour l’infanterie. Donc, il ne s’agit pas des véhicules de combat les plus modernes.

La manipulation avec le montage

Le 3 février, Libération publie l’article d’Anna Jaillard Chesanovska, journaliste et traductrice qui a travaillé avec Paul Moreira. Le générique du film l’indique comme seule traductrice, alors qu’elle explique qu’elle n’a traduit que les propos de deux personnes  :  Biletsky et Mosiytchouk. Dans cet article, Anna donne des exemples concrets des coupures de montage faits par Moreira.

La réaction de la communauté journalistique en Ukraine

La commission d’éthique journalistique déposera une plaine contre Canal + et Paul Moreira auprès de l’Alliance des Conseils de Presse indépendants d’Europe – AIPCE. Elle demande d’étudier et évaluer le respect de l’éthique professionnelle journalistique de Paul Moreira et du rédacteur qui a préparé ce sujet.

La réaction des journalistes français

La presse française a réagi sur le film avant même sa sortie sur les écrans. Une des premières réactions est une publication précise, approfondie, écrite par deux expertes,  Anna Colin Lebedev et Yulia Shukan, publiée sur le site de Médiapart. Une autre publication importante est «Paul Moreira donne une vision déformée du conflit ukrainien», rédigée par Benoît Vitkine, journaliste français célèbre et publiée dans “Le Monde”.

Le 3 février, le site du journal L’Obs a publié une lettre ouverte, signée par 18 journalistes français. Les journalistes s’expriment ouvertement contre la violation des standards professionnels et la «paresse intellectuelle» dont Moreira fait preuve dans son film.

Dans l’émission de Hromadske, Alain Guillemoles qui a aussi signé cette lettre a déclaré :

«Il y a des choses qui m’ont beaucoup choqué dans ce film. Pour moi, le problème principal de ce film est qu’il efface les frontières entre le sentiment patriotique ordinaire, le sentiment d’appartenir à une certaine communauté, le sentiment qui peut être résumé par la phrase «je suis un Ukrainien et je souhaite que mon pays soit libre et indépendant» et le nationalisme radical, défini comme néonazisme.  En même temps, pour moi, il est parfaitement clair que se sentir «Ukrainien qui souhaite que son pays devienne libre et indépendant» ne veut pas dire être un néonazi. Cet effacement nie le droit d’une personne à se sentir Ukrainien, qui veut que son pays soit libre. En quelque sorte, c’est une criminalisation de l’identité ukrainienne inventée par la propagande russe».

La réaction des diplomates ukrainiens.

L’ambassade d’Ukraine en France s’est adressée à la direction de Canal+. Au début, il y a eu une information que, suite aux négociations entre les diplomates et la direction de la chaîne, la diffusion du film serait reportée après le prime time et, ensuite, qu’il y aurait un débat ouvert en direct après la diffusion. Finalement, rien de cela n’a été fait : le film a été diffusé à l’heure prévue et il n’y a pas eu de débat.

La réaction des intellectuels français.

Le milieu intellectuel français n’est pas non plus resté indifférent à la sortie de ce documentaire. Le 3 février, le Monde a  publié un texte polémique «Sur Canal+, un documentaire diffuse la propagande du Kremlin contre l’Ukraine». La publication est signée par Galia Ackerman, écrivain et journaliste, Michel Eltchaninoff, philosophe, auteur de «Dans la tête de Vladimir Poutine», Philippe de Lara, politiste, maître de conférences à l’université Paris 2, Alla Lazareva, journaliste, et Philippe de Suremain, ancien ambassadeur de France en Ukraine.

«La propagande de Kremlin est capable de propager ses idées au-delà de ses adhérents. Voilà ce qui arrive avec Paul Moreira. Nous savons qu’il n’est pas un pro-russe, mais là, il est vraiment semblable à ceux que l’on appelait les «idiots utiles». Le gouvernement ukrainien doit être très surpris par le nombre de réactions sur le film et certains disent que la France a enfin compris tout le mensonge sur les nazis de Kiev»,  a déclaré Philippe de Lara à l’émission de Hromadske International.

Tetyana Ogarkova, Hromadske International