L’UCMC publie une version française condensée de l’article d’Anastasiya Rіngіs publié sur Oukraїnska pravda
Un scandale lié à la corruption
«Ni mon équipe, ni moi n’avons envie de masquer une corruption flagrante en servant de « couverture »», a déclaré Aivaras Abromavičius, ancien ministre de l’Économie de l’Ukraine en démissionnant de son poste. Aivaras Abromavičius a accusé publiquement Igor Kononenko, chef de la faction présidentielle «Bloc de Petro Porochenko» au Parlement, de mettre la pression pour nommer des personnes de son entourage à des postes importants dans plusieurs entreprises publiques.
Le président de l’Ukraine a tout de suite transmis ces accusations contre Igor Kononenko, son ami et partenaire d’affaires, au Bureau National de lutte contre la corruption, en assurant qu’Igor Kononenko était prêt à coopérer avec le nouvel organisme destiné à lutter contre la corruption.
Si les enquêteurs du Bureau prouvent l’implication d’Igor Kononenko dans des actions de corruption, les forces spéciales se retrouveront sur le seuil de la maison d’une personne que l’on appelle le «porte-monnaie du Président». Dans le cas contraire, le travail du Bureau de lutte contre la corruption sera discrédité et «la lutte contre la corruption» ne restera qu’une façon de parler.
Depuis sa création, qu’a fait le Bureau de lutte contre la corruption en si peu de temps et quelles sont les prévisions des enquêteurs du Bureau concernant l’affaire Kononenko?
Comment s’est créé le Bureau national de lutte contre la corruption?
Selon les calculs les plus modestes des ONG «Centre de prévention de la corruption» et «Notre argent», plus de 100 milliards de hrynvias ont été volés au budget d’État chaque année. Les secteurs clés sont les achats d’État, la douane, le marché pétrolier et gazier. Les fonctionnaires, responsables de ces vols, se cachent sous une couverture politique au plus haut niveau.
Depuis plusieurs années, l’idée de la création d’un organisme pour lutter contre la corruption était un objectif dans les débats des activistes, des ONG et des journalistes d’investigation. En mars 2014, les activistes ont proposé au Parlement les premiers projets de loi anticorruption. Mais l’Administration présidentielle les a bloqués un certain temps afin de mieux les étudier.
Ce sujet réapparait en automne 2014. Ces projets de loi ont été sérieusement examinés par les juristes de Porochenko. «La logique des amendements apportés par les juristes de Porochenko consistait à essayer de limiter les pouvoirs du Bureau et affaiblir le contrôle de la société pour augmenter, parallèlement, l’influence du président sur le Bureau», estiment Yaroslav Yurtchyshyn, expert de Transparency International.
En effet, selon le projet de loi d’origine, le président ne fait que signer solennellement la candidature sélectionnée pour le poste de directeur du Bureau présentée par une commission indépendante, comme tous les autres candidats d’ailleurs.
Mais en février 2015, un amendement, selon lequel le président avait le droit de choisir le directeur du Bureau parmi 2-3 personnes sélectionnées par la commission, a été voté.
La lutte la plus acharnée a éclaté lors du choix des candidats au poste de directeur. L’administration présidentielle soutenait la candidature du géorgien David Sakvarelidze, en supposant qu’il serait plus proche du président. La société soutenait la candidature du député ukrainien, Viktor Tchumak, , qui a été rejetée par l’administration présidentielle.
Finalement, c’est Artem Sytnik, le troisième candidat, qui a été sélectionné pour le poste de directeur. Il semble être une figure de compromis et se trouve à égale distance de toute influence politique.
Le travail du Bureau dépend beaucoup de la position impartiale du procureur anti-corruption. C’est lui qui donne l’autorisation d’introduire des sanctions contre des suspects, de saisir des documents, de commencer des enquêtes. Et c’est lui que les corrompus doivent essayer d’influencer pour bloquer l’une ou l’autre de ces enquêtes.
Les chasseurs de corrompus et les risques pour le Bureau
«Nous avons beaucoup d’outils pour enquêter sur des schémas de corruption. Nos journalistes ont déjà fait beaucoup dans ce domaine. En outre, nous avons suivi de manière intensive des formations britanniques», déclare Iraklyї, analyste du Bureau.
Après le Maydan, Iraklyї est parti travailler dans l’équipe de réformateurs du ministère de l’Économie où il a analysé la situation dans les entreprises d’État et il a réussi un concours pour travailler dans le Bureau d’un Procureur. Et quand le Bureau de lutte contre la corruption a été ouvert, il a toute de suite déposé sa candidature au poste d’analyste.
«Si on arrive à fermer au moins quelques secteurs de corruption importants, nous n’aurons plus besoin de l’argent du FMI», rêve-t-il. Iraklyї est l’un des 22 analystes du Bureau qui a été sélectionné après un concours. Il a signé son contrat avec le Bureau début décembre 2015. Pour le moment, il n’y a que 80 personnes qui ont été embauchées au Bureau, en attendant un total de 283.
Notre interlocuteur avoue qu’au Bureau, il gagne 30 000 hryvnias (environ 1 000 euros), moins qu’il ne gagnait dans le cabinet d’audit international. «Je n’ai jamais eu l’intention de travailler dans une entreprise d’État. Mais je ne vois rien de plus important que la lutte contre la corruption. Sans l’avoir vaincue, il sera impossible de construire».
L’analyste est persuadé que le Bureau contient tous les outils nécessaires pour mener des enquêtes : plus de 100 registres d’État (registres des personnes juridiques et physiques, registre des procurations, base de données du ministère de l’Intérieur, de la police routière, du Trésor public) sont désormais ouverts. La loi permet aux enquêteurs d’initier une détention s’ils estiment que le suspect peut quitter l’Ukraine.
Cependant, Alexyї Gryzenko, membre du Conseil public auprès du Bureau et chef de l’Automaydan est plutôt pessimiste. «Le risque de pression politique sur le Bureau est très élevé. Même si le président ne prend pas de décision concernant le travail du Bureau, il essaie d’user de son influence pour l’empêcher de fonctionner correctement».
«Le processus de la discréditation du Bureau est déjà en cours. Et le président y joue un rôle important, en envoyant à la société des signaux indiquant que le Bureau est sous son contrôle. La seule chance pour le Bureau de résister à cette influence est de s’appuyer sur la société civile», s’exclame Vitalyї Shabounine, dirigeant du Centre de prévention de la corruption.
«Le test de Kononenko» n’est pas seulement une épreuve de résistance pour le Bureau National de lutte contre la corruption en Ukraine, mais aussi une épreuve qui doit démontrer la véritable intention du président concernant la lutte contre la corruption, et non seulement ses déclarations prétentieuses.
«Est-il prêt à mettre en prison son camarаde, son ami?», telle est la question à laquelle Porochenko devrait répondre très rapidement.