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Témoignage d’Ivan Boubentchyk, manifestant du Maїdan

La version originale de l’interview est à retrouver dans le film de Hromadske TV  “20 février 2014. Fracture” et aussi dans son interview sur Birdinflight

Les premiers tués, le jour de la fusillade des manifestants sur la rue Instytoutska le 20 février 2014, n’étaient pas des activistes du Maїdan, mais des soldats des forces antiémeutes «Berkut».  C’est Ivan Boubentchyk, originaire de Lviv qui leur a tiré dessus.

Il n’y a pas de date plus importante dans l’histoire de l’Ukraine moderne que le 20 février 2014. Ce jour-là, 48 activistes du Maїdan et 4 policiers ont été tués. Victor Ianoukovitch, président d’Ukraine s’est enfui du pays, l’annexion de la Crimée a commencé, suivie par la guerre du Donbass.

Le 20 février, tôt dans la matinée, personne ne pouvait prédire aucun de ces événements. Après des combats épuisants qui ont duré deux jours et durant lesquels 31 manifestants et 8 représentants des forces de l’ordre ont péri, les forces de l’ordre ont réduit le territoire des manifestants et occupaient désormais les positions sur Maїdan même. Il n’y avait alors plus que quelques centaines de manifestants fatigués qui étaient encore sur place.

Pour la première fois, Ivan Boubentchyk a parlé de ses actions dans le film «Captifs» du réalisateur Vladymyr Tychyї. Le film sera diffusé pour la première fois le 25 février.

  • Avant le 20 février, le pouvoir a tout fait pour liquider le Maїdan. Il a brûlé la maison des Syndicats dont on avait très besoin. C’est là où on vivait, dormait, allait aux toilettes, mangeait, recevait de l’aide médicale. Après cet incendie, Dieu nous a offert la possibilité de rentrer au Conservatoire.
  • Je voyais les forces de l’ordre essayant de prendre sans arrête d’assaut notre barricade. Les Tyagnybok, les Klitchko et les Paroubyї ne croiraient plus en nous. Ils nous ont quitté au moment le plus difficile.
  • Tôt le matin le 20 février, un gars est venu nous voir. Il avait avec lui une Kalachnikov et 75 balles. J’ai tiré de la fenêtre la plus éloignée du Maїdan, au troisième étage. Depuis, on voyait clairement la police avec des boucliers près de la stèle derrière des sacs de sable. Ils étaient environs 200 personnes. Ils tiraient ouvertement sur les barricades avec leurs fusils à pompe.
  • Je choisissais les commandants. Je ne pouvais pas les entendre, mais je voyais leurs gestes. Il me fallait tuer 2,3,5 commandants pour que le bouche à l’oreille marche. J’avais appris à tirer quand je passais mon service militaire dans l’armée soviétique. J’avais été formé dans une école du service de renseignement militaire, je m’apprêtais à participer aux opérations militaires en Afghanistan et aux autres points chauds.
  • Je n’avais pas besoin de tuer les autres, il me fallait juste les blesser dans les jambes. J’ai quitté le Conservatoire et je suis retourné le long des barricades. J’ai tiré en créant l’illusion que nous avions 30-40 Kalachnikov. J’ai demandé au gars de me faire un petite espace entre leurs boucliers. Ils en avaient des larmes de joie. Ils savaient que nous ne tiendrions pas sans armes.
  • Quand je suis arrivé à la Maison des Syndicats, je n’avais plus de balles. Mais le bouche à l’oreille avait déjà marché et les forces de l’ordre avaient pris la fuite. Ils abandonnaient tout.
  • Toutes les unités n’ont pas réussi à s’enfuire. Nos gars ont traversé les barricades pour les pourchasser. Ils conduisaient les prisonniers derrière le Maїdan, du côté de la mairie de Kiev. Mais les plus actifs ont essayé de poursuivre les flics encore plus loin, donc la police a rapidement reçu l’ordre de nous tirer dessus.
  • C’était un moment très difficile, car je me rendais compte que je pouvais arrêter la fusillade. Les personnes importantes étant sur le Maїdan, me promettaient de trouver des balles. Je leur faisais confiance, je courais partout. Les minutes les plus difficiles de ma vie, l’impuissance totale… On dit qu’il y avait beaucoup d’armes sur le Maїdan. Mais c’est faux. Si c’était le cas, personne n’aurait laissé nos garçons se faire fusiller. Deux personnes de ma Centurie ont été tuées : Igor Serduk et Bogdan Vayda.
  • Sur le Maїdan, nous avons fait un pas dans la bonne direction et nous avons recu une leçon qui nous a permis d’avancer. Mais aujourd’hui encore, mon État reste frauduleux et toutes les forces de l’ordre pour moi, sont aussi frauduleuses. C’est la raison pour laquelle, je n’ai pas envie de discuter avec eux. Eux, ont-ils envie de discuter avec moi ? Je pense qu’ils en auront après la diffusion du film.