L’Ukraine, ses routes, ses chemins, ses voies… Un folklore a découvrir, pour le meilleur ou pour le pire…
Nul ne peut prétendre connaître les routes d’Ukraine sans les avoir parcourues de long en large… Passer d’une autoroute ultra moderne aux cratères lunaires des chemins, l’Ukraine présente toute une variété de tracés abracadabrants , entre modernisme et moyen-âge…
Parcourir 540 km entre Kyiv et Lviv est un jeu d’enfant, une partie de plaisir : une autoroute ultra moderne, lisse, sans obstacles, aux stations d’essence multiservices, arrêts minute pour se reposer dans des endroits typiques, à l’ombre, et se restaurer avec des mets faits maison dans des lieux simples, chaleureux, offrant la fraîcheur d’un Kvass (boisson fermentée rafraîchissante) et la douceur de “pirojki” (petits pains fourrés, sucrés ou salés).
Essayez à présent de parcourir la route menant d’Ivano-Franco à Lutzk… Un trajet de 45 km vous prendra 2h30… En première (vitesse), rarement la seconde, jamais la troisième… Sur ce chemin vous naviguez de droite à gauche et inversement, croisant de temps à autre un véhicule dans l’autre sens… A droite et à gauche aussi… Pas de code de la route qui tienne, l’important est de ne pas tomber dans un cratère… On évite les trous énormes de la chaussée, en roulant la plupart du temps sur le bas-côté, les pneus dans le champs de droite pour plus de facilité… Véritable route du combattant, où seuls des tanks pourraient avancer… Çà et là, sur les deux côtés de la voie, des ponts de dépannage en pierre, histoire de pouvoir surveiller les dégâts sous votre voiture… Vous n’avez ni station, ni téléphone d’urgence, ni point d’eau… Seuls au monde, avec votre voiture, vos connaissances en mécanique, une bonne dose de patience et un conducteur hors pair… Les principes : rouler lentement, être attentif ( non pas aux autres véhicules mais aux cratères jonchant la chaussée), ne jamais s’énerver, et prévoir… Prévoir l’imprévisible…
Les routes en Ukraine, c’est aussi ces quelques kilomètres dits ” touristiques” qui vous mènent au Mont GOVERLA (le point culminant en Ukraine – 2061 mètres), dans les Carpates. Là, ce ne sont plus des nids de poule ou des cratères qu’il vous faut éviter : la route semble ne pas exister, ou formée de dunes de pierres longées de vides inquiétants… Vous pensez devoir parcourir quelques centaines de mètres… Mais ce sont des kilomètres qui vous attendent… Pas le choix, il faut avancer, croiser des autobus brinquebalants et fumants, des Jeep 4×4 (ils sont chanceux, eux…) ou des Mercedes dont on se demande dans quelle galère le chauffeur s’est embarqué… Arrivés au point culminant, vous vous demandez : comment redescendre? Une heure trente d’ascension, pour quelques kilomètres… Vous grimpez une fois, car vous ne connaissiez pas le chemin, oui, c’est possible… Y retourner , c’est du domaine de la déraison…
Les routes ukrainiennes ce n’est pas que leur état… C’est aussi ce sentiment de liberté omniprésent , cette nature belle et joyeuse, émouvante et accueillante… On peut croiser des vélos sur l’autoroute, en sens inverse de la circulation, remontant une bande d’arrêt d’urgence qui n’existe pas encore… Ou cette babouchka (grand-mère) en vélo, tablier au vent, traversant la voie rapide avec son panier rempli de fleurs cueillis de l’autre côté de la voie… Ou ces deux jeunes gens, chantant et se promenant sur les bas côtés de l’autoroute sans prendre attention aux voitures…
Vous croiserez aussi des processions religieuses, lors de jours de fêtes ( de toutes sortes…) Processions de pasteurs et fidèles, habillés de vêtements colorés, suivis de vaches conduites par une jolie jeune fille dont on aperçoit les sous-vêtements sexys sous la chasuble…
C’est aussi ce passage à niveau à une seule barrière, où bien entendu vous vous arrêtez… Longtemps… Très longtemps… Car personne ne vient remonter la barrière… Ou cet autre passage à niveau rustique, bloqué par l’incendie d’un champs jouxtant la voie, où le train qui arrivait est stoppé net juste avant le champs ( et donc avant le passage à niveau) : la locomotive pourrait prendre feu, l’incendie léchant les voies ferrées…
Vous poursuivez votre route… Rencontre avec un cheval en liberté broutant dans un jardin privé ( pas de grillages ni barrière ni séparation avec la route..) à l’aller, et dans le jardin d’en face au retour…
Plus loin, c’est la rencontre avec les cornichons… les mirabelles.. les myrtilles…. Ramassés dans les jardins ou les bois, déposés sur des cageots, le long de la route… Vous apercevez une babouchka, ou un enfant, assis à l’ombre : ils attendent qu’un véhicule s’arrête et leur achète pour trois fois rien un gobelet de myrtilles ou un bocal de cornichons faits maison… Ils attendent là, des journées entières, pour 3 verres en plastiques de myrtilles à vendre, quelques cornichons “nature” récoltés au jardin, ou déjà assaisonnés ” Malossol”( aigre-doux) dans des bocaux qu’ils ont eux-mêmes préparés.
Les routes en Ukraine, c’est passer de la chaleur écrasante des chemins crevassés au milieu des plaines, à la fraîcheur humide des sous-bois et cascades des Carpates. C’est traverser des villes aux bâtiments modernes, construits en trois mois, autour de splendides petites églises aux coupoles dorées, plantées au centre de ce futurisme, piqûre de rappel à la simplicité. C’est, à la sortie de cette ville, revenir non pas au présent, mais au passé : maisons en bois, potagers sans protection, des enfants jouant sur des balançoires construites de pneus… Paradoxe étrange, un bond de 70 ans en quelques mètres…
Oui, les routes, en Ukraine, il faut les parcourir, au moins une fois dans sa vie, car vous n’oublierez jamais toutes ces images, surprenantes, émouvantes, souvent opposées les unes aux autres, riches en histoires, en liberté, riches en amour et beauté… Un des folklores méconnus de ce pays : les chemins de l’âme…
Ingrid Grisard, activiste et essayiste française