L’UCMC continue de publier les revues des dossiers des Ukrainiens emprisonnés en Russie.
L’affaire des «terroristes» de Crimée
La première affaire importante des prisonniers politiques ukrainiens en Russie a explosé deux mois avant l’arrestation de Nadia Savtchenko. Le 11 mai 2014, en Crimée, le Service de Sécurité russe a arrêté Oleg Sentsov, metteur en scène ukrainien, Olexandre Koltchenko, étudiant, Olexiy Tchyrniy, historien et Gennady Affanasyev, juriste. Ils sont accusés d’avoir préparé des attaques terroristes contre des objectifs stratégiques en Crimée, notamment des explosions devant le monument de Lénine et des incendies dans les bureaux de l’ONG «La communauté russe de la Crimée» et la filiale du parti «Russie unie».
Au moment de son arrestation, Olexiy Tchyrniy avait 34 ans. Il enseignait l’histoire dans une université de Simferopol. Les amis et les proches d’Olexiy racontent qu’il participait activement aux protestations contre l’annexion de la Crimée par la Russie. Selon ses posts sur les réseaux sociaux, Olexiy est un ardent supporter de Pravy Sektor, il partageait activement les photos et les citations de cette organisation. Ces photos et l’écharpe rouge et noir ont d’ailleurs été les seules preuves trouvées par les enquêteurs russes, pour prouver que Tchyrniy entretenait des liens avec Pravy Sektor. Il est accusé de faire partie du groupe de subversion, dirigé par Oleg Sentsov, d’avoir mis le feu à des bâtiments et transporté des explosifs.
Olexiy a fini par signer des aveux, mais les défenseurs des droits de l’homme et ses avocats supposent qu’il a été forcé de le faire. Il s’est notamment plaint plusieurs fois d’avoir subi des pressions psychologiques. Lors de son séjour en cellule d’isolement, l’Ukrainien faisait des hallucinations et parlait de suicide. Malgré tout, il a refusé de témoigner contre Oleg Sentsov et Olexandre Koltchenko.
Olexiy Tchyrniy a été condamné à 7 ans de prison.
Gennady Affanasiev, juriste de 24 ans, a travaillé au Bureau de Procureur à Simferopol et s’intéresse aux voyages et aux photos. Cet activiste pro-ukrainien a participé aux nombreuses manifestations contre l’annexion de sa Crimée natale par la Russie. Juste avant l’annexion, le 16 mars 2014, il a enregistré une vidéo sur laquelle il lisait le poème de Vasyl Simonenko, poète ukrainien, «Ou êtes-vous, les bourreaux de mon peuple».
Gennady Affanasiev a aussi été accusé de terrorisme dans le cadre d’affaire de Sentsov. Il aurait soi-disant fabriqué des bombes que Sentsov aurait voulu utiliser lors d’actes terroristes. Il n’a pas supporté les tortures et a plaidé coupable en témoignant aussi contre ses camarades dans le malheur et a même donné une interview à une chaine propagandiste russe, parlant du «groupe des terroristes ». L’avocat d’Affanasiev déclare que son client a reçu des menaces au sujet de sa mère, a été battu et menacé de viol avec un fer à souder. Plus tard, lors du procès, il a renié ses aveux, en avouant qu’il avait parlé sous la torture. Malheureusement, cela n’a sauvé ni lui, ni d’autres Ukrainiens.
Gennady Affanasiev a été condamné à 7 ans de prison.
Olexandre Koltchenko, étudiant de Crimée et âgé de 25 ans, a participé à de nombreuses manifestations contre l’occupation de la Crimée. Il est décrit par ses amis comme antifasciste, écologiste et internationaliste. Il sympathise avec les partis de gauche, mais les Russes l’ont accusé d’appartenir à Pravy Sektor, organisation de droite, ce que Koltchenko a toujours nié : «Je ne peux savoir quelle «vérité» le tribunal veut établir. À mon avis, vu comment la Russie couvre les événements en Ukraine, elle avait besoin d’un Pravy Sektor en Crimée pour justifier le rattachement de la Crimée à la Russie. Mais moi, personnellement, je n’ai aucun lien avec le Pravy Sektor». D’ailleurs, les responsables de Pravy Sektor ont officiellement déclaré que Koltchenko n’avait jamais fait partie de l’organisation.
La seule infraction avouée par l’activiste est ce qu’il avait mis le feu aux portes de la filiale du parti gouvernemental «Russie unie». Cependant, il a fait cela la nuit. Le bureau était donc vide, et il ne mit aucune personne en danger. Lors de l’infraction, Olexandre Koltchenko n’a pas montré l’intention d’intimider la population (condition obligatoire d’une attaque terroriste), et n’a pas présenté d’exigences quelconques. Tout ce qu’il a voulu faire c’est protester contre l’occupation russe. Cela s’est terminé par une fenêtre brisée et, selon diverses estimations, de 3 à 5 mètres carrés brûlés à l’intérieur du bureau.
Pour cette infraction, le tribunal militaire du district du Caucase du Nord l’a condamné à 10 ans de prison ferme.
Oleg Sentsov réalisateur d’un grand nombre de films, y compris «Gamer», récompensé lors du festival «Esprits du feu» en Russie, a eu la peine la plus lourde : 20 ans de prison. Au moment de la Révolution de la Dignité, il devient activiste de l’Automaїdan et en mars 2014, il livre de la nourriture aux militaires ukrainiens bloqués dans les bases de Crimée. Dans ses discours en salle d’audience, Oleg Sentsov a toujours souligné qu’il était un citoyen ukrainien et ne reconnaissait pas l’annexion de la Crimée par la Russie : «Je ne reconnais pas l’annexion de la Crimée et l’occupation militaire de la Crimée par la Fédération de Russie et tout contrat conclu par le gouvernement illégitime de Crimée avec la Russie est invalide. Je ne suis pas un serf pour être transféré avec la terre».
L’ONG russe «Mémorial » a reconnu qu’Oleg Sentsov était un prisonnier politique. Amnesty International a déclaré que le verdict du tribunal russe dans les affaires de Sentsov et Koltchenko était purement politique et injuste. Plusieurs artistes ukrainiens, européens et même russes ont signé des lettres ouvertes et des pétitions pour demander au gouvernement russe de libérer le metteur en scène ukrainien.
Une affaire bien moins connue mais toute aussi choquante est celle d’Olexandre Kostenko. L’activiste du Maїdan à Kiev a été capturé en Crimée et transporté en Russie. Il est accusé d’avoir jeté une pierre sur un policier des forces anti-émeute «Berkut» lors de la Révolution de Dignité et d’avoir gardé chez lui un canon de pistolet sans autorisation.
Olexandre Kostenko a déclaré avoir été battu par les forces de l’ordre tout de suite après son arrestation et être privé de l’aide médicale. Pourtant, le passage à tabac a eu des conséquences dramatiques pour sa santé : la main d’Olexandre a commencé à devenir inutilisable et inerte. La famille de Kostenko est aussi pourchassée, notamment son frère cadet qui a été soumis à une expertise psychologique forcée.
Pour avoir jeté une pierre à un membre des forces spéciales ukrainiennes lors des événements en Ukraine, l’ukrainien Olexandre Kostenko a été jugé en Russie et condamné à 3 ans et 6 mois de prison ferme.
Les prisonniers du Caucase
Le premier Ukrainien pris en otage par la Russie est Mykola Karpiuk, adjoint de Dmytro Yaroch, leader de Pravy Sektor. Il a été arrêté dans la région de Tchernihiv près de la frontière russe le 17 mars 2014 avant même l’annexion de la Crimée. Selon les données officielles, il a été arrêté en Russie où il était parti pour un entretien important, mais ses proches n’y croient pas. «J’ai du mal à croire que Mykola ai pu partir en Russie ouvertement, avec son passeport, car les Russes savent qui il est », explique Roman Chouhevytch, député du Parti Radical. Quoi qu’il en soit, Karpiuk est enfermé quelque part en Russie et pendant plusieurs mois, ses proches n’ont eu aucune nouvelle de lui. Même après que le Comité d’enquête de Russie ait daigné informer la famille de Karpiuk de l’endroit où il se trouvait, ni l’avocat, ni le consul n’ont pu obtenir une autorisation pour le voir.
Mykola Karpiuk a été accusé d’avoir engagé des volontaires pour les envoyer en Tchétchénie se battre du côté des indépendantistes tchétchènes en 1994-1995, d’avoir participé aux combats en Tchétchénie et d’avoir tué des militaires russes. Comme le reste des otages ukrainiens en Russie, il a été torturé et signé des aveux qu’il a renié plus tard au tribunal, en déclarant que ses bourreaux l’avaient menacé de kidnapper et torturer son fils. Plusieurs personnes ont témoigné au profit de l’Ukrainien et ont déclaré qu’il n’était jamais allé en Tchétchénie.
Cependant le jury a déclaré Mykola Karpiuk coupable. Il était condamné à 22,5 ans de prison. Karpiuk a commenté le verdict par la phrase : «Les esclaves ne pouvaient pas nous libérer».
Parallèllement, la cour de Tchétchénie a jugé Stanyslav Klych, Ukrainien de 40 ans, accusé de faire partie du groupe paramilitaire de Karpiuk et d’avoir tué un certain nombre de soldats russes lors de la première guerre en Tchétchénie. Stanyslav est parti en Russie en septembre 2014 pour voir sa copine qu’il avait connu un an auparavant en Crimée et qui lui a demandé de venir sous prétexte d’être enceinte. Ce n’est que dix mois après sa disparition que les proches de Stanyslav ont réussi à savoir où il était et que son avocat a pu le voir.
Comme les autres, Klych a parlé de tortures, de pressions psychologiques et de médicaments inconnus qu’on l’a forcé à prendre. D’ailleurs, les seules preuves contre Klych et Karpiuk sont les témoignages d’un certain Olexandre Maloféev, Ukrainien, emprisonné en Russie pour meurtres, banditisme et vols. Ce personnage a aussi accusé Arseny Iatséniouk, ancien Premier ministre d’Ukraine, d’avoir participé aux combats en Tchétchénie au côté des indépendantistes.
Stanyslav Klych a été reconnu coupable en même temps que Mykola Karpiuk. Il était condamné à 20 ans de prison.
Alexandra Matviytchouk de l’ONG «Euromaїdan-SOS » explique que sur la liste officielle des prisonniers ukrainiens en Russie, Nadia Savtchenko est la seule militaire, les autres sont des civils. «Mais nous ne savons rien des prisonniers militaires qui ont disparus sur le territoire du Donbass. Ils peuvent être en captivité chez les combattants pro-russes ou sur le territoire russe». «Euromaїdan-SOS» récolte des témoignages des personnes libérées des prisons séparatistes. «Ils expliquent qu’ils étaient retenus sur le territoire russe. Certains reviennent, mais nous ne savons pas combien restent. Et nous ne pouvons pas les récupérer de manière officielle, car la Russie «n’est pas en guerre», «ne livre pas d’armes» et cette position rend cette personne invisible. L’état psychologique de ces personnes est très grave, les consuls ukrainiens n’arrivent pas à obtenir des rendez-vous avec eux, les enquêteurs leur expliquent que l’Ukraine leur a tourné le dos, qu’ils sont considérés comme des traîtres».
Rebecca Harms, député européenne, a déclaré que l’Union Européenne devrait insister pour que la Russie libère tous les prisonniers politiques : «Même si Nadia Savtchenko est libérée, des dizaines d’autres Ukrainiens restent en captivité en Russie. L’Union Européenne doit tout faire pour obtenir leur libération».
En tout cas, il apparaît clairement que la Russie retient des prisonniers ukrainiens pour pouvoir continuer de faire pression sur l’Ukraine et sur le monde entier. Aucune de ces affaires ne tient la route et est politiquement motivée. À titre d’exemple, les «prisonniers du Caucause» sont utilisés par la Russie pour «démoniser» les Ukrainiens, les rendre complices des indépendantistes tchétchènes et les accuser de crimes contre l’armée russe. Ils sont donc jugés en Tchétchénie, une région russe dirigée par Ramzan Kadyrov, ami de Poutine et ancien combattant tchétchène qui s’est vanté «d’avoir tué son premier russe à l’âge de 16 ans».
Le 25 mai 2016, le gouvernement ukrainien, avec l’appui des pays européens, a réussi à obtenir la libération de Nadia Savtchenko. Mais, comme disait Rebecca Harms, il très important de libérer tous les otages ukrainiens. Espérons que la libération de Savtchenko est la première d’une longue liste.