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Gayde Rizaeva : «Nous ne pouvons pas exclure la possibilité d’une offensive de l’armée russe dans le sud de l’Ukraine»

Gayde Rizaeva, activiste ukrainienne qui a participé à la Révolution du Maїdan, bénévole pour l’armée ukrainienne et les déplacés, une des organisatrices du blocus économique et énergétique de la Crimée, a été capturée à deux reprises par les séparatistes. Elle est la seule Tatare de Crimée à avoir déclaré «Gloire à l’Ukraine» sur un check-point des séparatistes. Aujourd’hui, la jeune femme, surnommée «Black Mamba pour la Russie», n’habite pas loin de Kiev, continue à aider l’armée ukrainienne et se prépare au tournage du film «Prisonnière du Donbass», dans lequel elle jouera son propre rôle. Dans une interview exclusive pour l’Ukraine Crisis Média Center, Gayde Rizaeva raconte ce qu’elle a vécu en prison, ce qu’elle pense des déclarations scandaleuses de Nadia Savtchenko et évoque les moyens de libérer la Crimée.

Gayde, vous êtes la plus connue des activistes de Crimée, vous avez été sur le Maїdan, vous aidez l’armée ukrainienne. Quel est votre parcours?

– Mon parcours a commencé lors de la Révolution de la Dignité, j’étais tout le temps présente sur le Maїdan. Dès le début de la Révolution, nous y avons installé notre tente «Crimée». Plus tard, quand la Russie a annexé la Crimée, les premiers déplacés sont venus nous voir dans cette tente pour nous demander de les aider à trouver un logement. Nous avons réussi à loger une partie des déplacés dans la résidence de l’ancien président Viktor Yanoukovitch, une autre partie dans un sanatorium à Poutche-Vodyzya, nous avons essayé de les loger partout où on pouvait. Donc, au début, je me suis occupée de déplacés. Plus tard, quand le conflit à l’est de l’Ukraine a démarré, je suis devenue bénévole pour le premier bataillon volontaire «Aydar». Je me suis chargée de leur apporter de l’aide humanitaire. C’est ainsi que j’ai été capturée.

– Comment avez-vous été capturée, puis libérée?

– Nous étions 4 dans la voiture. Il faisait nuit. Dans l’obscurité le chauffeur s’est perdu sur le chemin et nous a amenés à un point de passage des séparatistes. Sur la route, je me suis endormie sur le siège arrière de la voiture et quand on s’est arrêté au point de passage, je ne me suis pas rendue compte que c’était celui des séparatistes. Donc, j’ai vu des hommes en tenue militaire et j’ai dit «Gloire à l’Ukraine». Alors les séparatistes ont tout de suite compris qui nous étions. C’est ainsi que nous nous avons été capturés.

J’ai été libérée par Oxana Bilozir, Vyatcheslav Grychaev et Oleg Kotenko du groupe «Patriot » avec l’aide du Service de sécurité de l’Ukraine. J’ai été échangée contre des séparatistes.

-Comment avez-vous réussi à survivre en captivité?

– Je n’aime pas en parler, mais il le faut. La captivité est une chose affreuse. Ce n’est pas seulement un endroit de privation de liberté, comme dans un centre pénitentiaire ou de détention, où tu te trouves parce que tu as commis un crime et tu comprends pourquoi tu es là et combien de temps tu y passeras. Un endroit où tu peux recevoir des colis de ta famille, avoir un téléphone mobile pour communiquer avec eux.

La captivité est une attente constante de la mort. Surtout quand tu te rends compte que tu te trouves sur le territoire de l’Ukraine qui, tout d’un coup, pour des raisons inexplicables, est devenu une sorte de «république» populaire de Lougansk ou de Donetsk. Et si tes opinions politiques ne correspondent pas à celles des gens qui y gouvernent, tu te retrouves en prison. Tout cela est très effrayant et n’est pas clair du tout.

Quand j’étais en prison, mon père est décédé. Il était resté en Crimée. Les policiers russes sont venus le voir pour lui montrer la photo d’une femme fusillée qui me ressemblait. Il a cru que c’était moi. Son cœur n’a pas tenu le coup.

Gayde, vous êtes une des organisatrises du blocus économique et énergétique de la Crimée. Pourquoi l’avez-vous fait? Alors que l’électricité a été coupée sur le territoire de toute la péninsule, y compris dans les maisons des vos proches, de vos amis….

– Je l’ai fait surtout car la Crimée est ma patrie et une fois que j’ai compris que les méthodes démocratiques ne suffisaient pas pour faire entendre raison à Poutine et à la Russie, j’ai décidé de participer à ce blocus. Pourquoi fournir nos produits et notre marchandise au pays-agresseur?

En ce qui concerne ma famille…. Vous comprenez… Si chacun ne pense que à son enfant et à sa maman sans penser à la Patrie, alors la Russie ne comprendra jamais à quel point on est fort. Donc, il faut faire des sacrifices. En outre, le Madjlis, gouvernement des Tatars de Crimée, a soutenu le transport des générateurs en Crimée pour les besoins de la population.

Êtes-vous revenue en Crimée après l’annexion? Quelle est la situation actuelle sur le territoire occupé?

– Malheureusement, je ne peux plus revenir en Crimée, car j’y risque la prison. J’étais sur Maїdan, j’aide l’armée ukrainienne, donc, pour le régime qui règne en Crimée, je suis une ennemie №1, surtout après ce blocus. Mais je reste en contact avec des gens qui y sont restés, alors je peux vous dire que la situation en Crimée est pitoyable. Les gens sont terrorisés, ils n’ont plus le droit d’avoir leur propre point de vue, donc une grande partie de la population attend vraiment notre retour, attend que la Crimée redevienne ukrainienne. À vrai dire, en mars 2014, les sentiments pro-russes étaient plus forts qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, les gens ont vraiment changé leur opinion vis-à-vis de l’Ukraine et vis-à-vis de la Russie.

Donc vous croyez possible de pouvoir réintégrer la population de Crimée dans l’Ukraine après l’annexion? D’ailleurs, l’annexion cessera-t-elle un jour?

– En vérité, je pense que la population de Crimée a déjà commencé à reintégrer l’Ukraine. Les gens ont compris la différence entre l’Ukraine et la Russie. Alors que du point de vue politique ce sera très difficile. Mais nous espérons que cela arrivera. Bien entendu, nous voulons éviter d’utliser des méthodes militaires. Verser le sang de son peuple est le dernier moyen de combat. D’autant plus que le peuple des Tatars de Crimée a déjà beaucoup souffert durant toute son histoire. Nos hommes se sont battus dans les rangs de l’armée soviétique lors de la Seconde guerre mondiale, quelques uns ont reçu la plus haute récompense : le titre de héros de l’Union soviétique. Beaucoup de Tatars sont morts de faim et de maladie lors de la déportation.

Je pense qu’il vaut mieux mettre plus de temps et libérer la Crimée au moyen d’une pression économique et politique sur la Russie plutôt que de verser le sang du peuple des Tatars de Crimée et du peuple ukrainien lors d’une tentative de libération plus rapide.

Il est nécessaire d’augmenter la pression économique sur la Russie : car le coup le plus dur pour le gouvernement russe est de le frapper au porte-monnaie.

Durant les dernières semaines, des événements alarmants sont survenus en Crimée. Quel objectif poursuit la Russie en déstabilisant une situation déjà compliquée?

– À mon avis, Poutine essaie soit de se débarrasser des sanctions qui frappent sérieusement le porte-monnaie de chaque citoyen russe, soit de commencer une guerre ouverte avec l’Ukraine et de la justifier à l’aide de ces provocations absurdes.

Étant donné la grande quantité d’armements et de véhicules de guerre que Poutine a transféré en Crimée, je n’exclus pas la possibilité d’une offensive à grande échelle de l’armée russe dans sud de l’Ukraine. Il faut garder la main, surveiller le pouls.

En Ukraine, nous avons beaucoup d’exemples d’activistes qui se sont lancés en politique, y compris des anciens prisonniers des séparatistes. N’avez-vous jamais eu envie de commencer une carrière politique?

– Honnêtement, je n’approuve pas un tel début de carrière politique. Prenons l’exemple de Nadia Savtchenko qui s’est lancée dans la politique après sa libération de captivité. Ou, plus précisément, de la cellule d’isolement russe. Je suis persuadée que, pour travailler en politique, comme ailleurs, il faut être professionnel. Si la personne n’est pas compétente, il vaut mieux pour elle s’abstenir. En outre, les politiques doivent correspondre à certaines normes : ne pas dire de mots vulgaires, ne pas marcher dans la rue sans chaussures etc. La politique est une chose sérieuse, et les gens qui s’y lancent, doivent être prêts à travailler pour le bien-être de l’Ukraine et de ses citoyens et être écoutés à tous les niveaux.

Comme nous avons commencé à parler de Nadia Savtchenko, que pensez-vous de sa dernière déclaration sur la nécessité de demander pardon aux séparatistes, aux mères des séparatistes tués et que pensez-vous de sa dernière manifestation devant l’administration présidentielle?

– En parlant de cette déclaration, je pense que c’est une très mauvaise idée. Nous ne pouvons pas pardonner à ceux qui ont tué notre peuple. Comment une mère peut oublier que son fils a été tué à la guerre par les séparatistes? Comment peut-elle le comprendre et pardonner à ceux qui l’ont fait? Comment le peuple ukrainien peut-il pardonner? Cela est impossible. Je pense que négocier avec ceux qui ont tué nos citoyens est tout simplement un crime. Cela voudrait dire les reconnaître et leur pardonner. Cela est impossible.

En ce qui concerne l’action devant l’administration présidentielle, une trentaine de personnes seulement y étaient présentes, pour la plupart des journalistes. Cela montre que les gens se méfient des actions de ce genre. Presque tous les anciens prisonniers, moi y compris, se sont prononcés contre cette action et ont déclaré qu’ils n’avaient pas l’intention d’y particper.

En outre, il existe une autorité compétente pour l’échange de prisonniers et, à ce jour, cette autorité a tout fait pour faire revenir nos gars à la maison. En deux ans, plus de 2000 prisonniers ont été libérés. Et cette méthode, que Savchenko veut maintenant utiliser dans le processus de négociation, est pour moi tout simplement une trahison, tout d’abord, celle de son peuple.

Je ne suis pas supportrice du président ukrainien, mais il faut reconnaître qu’il a tout fait pour la libération des prisonniers ukrainiens et surtout, pour Savtchenko en personne. Il a vraiment tout fait pour la libérer et pour la soutenir. (elle sourit) La seule chose qu’il lui reste à faire pour la satisfaire entièrement est de l’épouser !

Il y a quelques mois, Jamala, chanteuse ukrainienne et Tatare de Crimée, a gagné le concours européen «Eurovision» avec une chanson dédiée à la déportation des Tatars de Crimée en 1944 par le régime soviétique. Les spectateurs russes ont très mal réagi à cette victoire, en déclarant que cette chanson avait un fondement politique. Qu’en pensez-vous ?

– Jamala n’a pas seulement gagné à « l’Eurovision», elle a gagné dans le monde entier. Après cette victoire, tout le monde connaît l’histoire des Tatars de Crimée. Bien entendu, on peut comprendre les Russes qui ont toujours du mal à accepter les victoires de l’Ukraine et encore plus les victoires des Tatars de Crimée.

Quels sont vos projets d’avenir?

– Quels projets? Je n’ai qu’un seul projet : revenir en Crimée et tout faire pour qu’elle revienne en Ukraine.