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L’Ukraine introduit une instance contre la Fédération de Russie et demande à la Cour de la Haye d’indiquer des mesures conservatoires

Le communiqué officiel de la Cour Internationale de Justice, publié sur le site de l’organisation.

LA HAYE, le 17 janvier 2017.

L’Ukraine a introduit hier, en fin d’après-midi, une instance contre la Fédération de Russie concernant des violations alléguées de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme du 9 décembre 1999 et de la convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965. Les deux Etats sont parties à ces instruments.

L’Ukraine soutient en particulier que, à la suite de la «révolution orange» de 2004, elle a fait l’objet d’une pression et d’une intimidation croissantes de la part de la Russie. Selon elle, depuis 2014, la Fédération de Russie a porté son ingérence dans les affaires ukrainiennes à des niveaux dangereux, «intervenant militairement en Ukraine, finançant des actes de terrorisme et violant les droits de l’homme de millions de citoyens ukrainiens, y compris, pour un nombre par trop élevé d’entre eux, leur droit à la vie». L’Ukraine affirme que, dans la partie orientale du pays, la Fédération de Russie a suscité et soutenu une insurrection armée contre l’autorité de l’Etat ukrainien. Elle considère que, par ses actions, la Fédération de Russie viole les principes fondamentaux du droit international, y compris ceux qui sont énoncés dans la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ci-après la «convention contre le financement du terrorisme»).

Dans sa requête, l’Ukraine soutient en outre que, dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol, la Fédération de Russie a «défié de manière éhontée la Charte des Nations Unies, en s’emparant par la force militaire d’une partie du territoire ukrainien souverain». Elle affirme que, «pour tenter de légitimer cet acte d’agression, la Fédération de Russie a orchestré un «référendum» illégal qu’elle s’est hâtée de mettre en œuvre dans un climat de violence et d’intimidation contre les groupes ethniques non russes». Selon l’Ukraine, cette «campagne délibérée de répression culturelle, qui a débuté avec l’invasion et le référendum, et se poursuit aujourd’hui», constitue une violation de la convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR»).

S’agissant de la convention contre le financement du terrorisme, aux paragraphes 134 à 136 de sa requête,

«[134.] [l]’Ukraine prie respectueusement la Cour de dire et juger que la Fédération de Russie, par l’intermédiaire de ses organes et agents d’Etat, d’autres personnes et entités exerçant des prérogatives de puissance publique, ainsi que d’agents agissant sur ses instructions ou sous sa direction et son contrôle, a manqué aux obligations qui lui incombent au regard de la convention contre le financement du terrorisme en :

a) fournissant des fonds, y compris par des contributions en nature sous la forme de fourniture d’armes et de formation, à des groupes armés illégaux qui se livrent à des actes de terrorisme en Ukraine, dont la RPD, la RPL, les partisans de Kharkov et d’autres groupes ou individus qui y sont associés, en violation de l’article 18 ;

b) ne prenant pas les mesures appropriées pour détecter, geler et saisir les fonds utilisés pour assister les groupes armés illégaux qui se livrent à des actes de terrorisme en Ukraine, dont la RPD, la RPL, les partisans de Kharkov et d’autres groupes ou individus qui y sont associés, en violation des articles 8 et 18 ;

c) en n’enquêtant pas sur les auteurs du financement du terrorisme découverts sur son territoire, en n’engageant pas contre eux des poursuites pénales ou en ne les extradant pas, en violation des articles 9, 10, 11 et 18 ;

d) en n’accordant pas à l’Ukraine l’aide judiciaire la plus large possible pour toute enquête pénale relative au financement du terrorisme, en violation des articles 12 et 18 ; et

e) en ne prenant pas toutes les mesures possibles afin d’empêcher et de contrecarrer les actes de financement du terrorisme commis par des personnes privées ou publiques russes, en violation de l’article 18.
[135.] L’Ukraine prie respectueusement la Cour de dire et juger que la Fédération de Russie a engagé sa responsabilité internationale au regard de la convention en soutenant le terrorisme et en n’en empêchant pas le financement, à raison des actes de terrorisme commis par ses alliés en Ukraine, parmi lesquels :

a) la destruction en vol de l’appareil de la Malaysian Airlines (vol MH17) ;

b) les tirs d’artillerie contre des civils, y compris à Volnovakha, Marioupol et Kramatorsk ; et

c) le bombardement de civils, y compris à Kharkov.

[136.] L’Ukraine prie respectueusement la Cour de prescrire à la Fédération de

Russie de se conformer aux obligations qui lui incombent au regard de la convention contre le financement du terrorisme et, en particulier, de :

a) mettre fin et renoncer, immédiatement et sans condition, à tout appui, notamment par le financement, la fourniture d’armes et la formation, aux groupes armés illégaux qui se livrent à des actes de terrorisme en Ukraine, dont la RPD, la RPL, les partisans de Kharkov et d’autres groupes et individus qui y sont associés ;

b) faire immédiatement tout ce qui est son pouvoir pour s’assurer que l’ensemble des armements fournis à ces groupes armés soient retirés d’Ukraine ;

c) exercer immédiatement un contrôle approprié sur sa frontière afin d’empêcher tout nouvel acte de financement du terrorisme, y compris la fourniture d’armes, depuis le territoire russe vers le territoire ukrainien ;

d) mettre immédiatement fin aux mouvements de capitaux, d’armes et de toutes autres ressources provenant du territoire de la Fédération de Russie et de la Crimée occupée à destination des groupes armés illégaux qui se livrent à des actes de terrorisme en Ukraine, dont la RPD, la RPL, les partisans de Kharkov et d’autres groupes et individus qui y sont associés, y compris en bloquant l’ensemble des comptes bancaires utilisés pour financer ces groupes ;

e) empêcher sans délai le financement du terrorisme en Ukraine par des représentants russes, notamment M. Sergueï Choïgu, ministre de la défense ; M. Vladimir Jirinovski, vice-président de la Douma d’Etat ; MM. Sergueï Mironov et Guennadi Ziouganov, députés de la Douma d’Etat ; et engager des poursuites contre les intéressés et toute autre personne liée au financement du terrorisme ;

f) coopérer pleinement et sans délai avec l’Ukraine pour toutes les demandes d’assistance, actuelles et futures, concernant les enquêtes relatives au financement du terrorisme lié aux groupes armés illégaux qui se livrent à des actes de terrorisme en Ukraine, dont la RPD, la RPL, les partisans de Kharkov et d’autres groupes et individus qui y sont associés, ainsi que l’interdiction de ce financement ;

g) réparer intégralement le préjudice causé par la destruction en vol de l’appareil de la Malaysian Airlines (vol MH17) ;

h) réparer intégralement le préjudice causé par les tirs d’artillerie contre des civils à Volnovakha ;

i) réparer intégralement le préjudice causé par les tirs d’artillerie contre des civils à
Marioupol ;

j) réparer intégralement le préjudice causé par les tirs d’artillerie contre des civils à

Kramatorsk ;

k) réparer intégralement le préjudice causé par les bombardements de civils à Kharkov ; et

l) réparer intégralement le préjudice causé par tout autre acte de terrorisme que la Fédération de Russie a causé, facilité ou favorisé par son financement du terrorisme et son refus d’empêcher ce financement ou d’enquêter à cet égard.»

S’agissant de la CIERD, aux paragraphes 137 et 138 de sa requête,

«[137.] [l]’Ukraine prie respectueusement la Cour de dire et juger que la Fédération de Russie, par l’intermédiaire de ses organes et agents d’Etat, d’autres personnes et entités exerçant des prérogatives de puissance publique, dont les autorités de facto qui administrent l’occupation russe illicite de la Crimée, ainsi que d’agents agissant sur ses instructions ou sous sa direction et son contrôle, a manqué aux obligations qui lui incombent au regard de la CIERD en :

a) soumettant systématiquement à une discrimination et à des mauvais traitements les communautés des Tatars de Crimée et des Ukrainiens de souche en Crimée, en menant une politique d’Etat tendant à l’anéantissement culturel de groupes défavorisés perçus comme des opposants au régime d’occupation ;

b) organisant un référendum illégal dans un climat de violence et d’intimidation dirigé contre les groupes ethniques non russes, sans faire le moindre effort en vue de trouver une solution consensuelle et inclusive pour protéger ces groupes, et en tant que première étape visant à priver ces communautés de la protection du droit ukrainien et à les assujettir à un régime de domination russe ;

c) réprimant l’expression politique et culturelle de l’identité des Tatars de Crimée, notamment par la persécution de leurs dirigeants et l’interdiction de leur Parlement (Majlis) ;
c) empêchant les Tatars de Crimée de se rassembler pour célébrer et commémorer des événements culturels importants ;

d) orchestrant et tolérant une campagne de disparitions et de meurtres visant les Tatars de Crimée ;

e) harcelant la communauté des Tatars de Crimée dans le cadre d’un régime arbitraire de perquisitions et de détention ;

f) réduisant au silence les médias des Tatars de Crimée ;

g) supprimant l’enseignement de la langue des Tatars de Crimée et les établissements d’enseignement de la communauté ;

h) supprimant l’enseignement de la langue ukrainienne suivi par les Ukrainiens de souche ;

i) empêchant les Ukrainiens de souche de se rassembler pour célébrer et commémorer des événements culturels importants ; et en

j) réduisant au silence les médias des Ukrainiens de souche.

[138.] L’Ukraine prie respectueusement la Cour de prescrire à la Fédération de

Russie de se conformer aux obligations qui lui incombent au regard de la CIERD, et, en particulier, de :

a) mettre fin et renoncer sans délai à sa politique d’anéantissement culturel, et prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées pour faire en sorte que l’ensemble des groupes présents en Crimée sous occupation russe, dont les Tatars de Crimée et les Ukrainiens de souche, jouissent de la protection pleine et égale du droit ;

b) rétablir sans délai les droits du Majlis des Tatars de Crimée et de leurs dirigeants en Crimée sous occupation russe ;

c) rétablir sans délai le droit des Tatars de Crimée, en Crimée sous occupation russe, de prendre part à des rassemblements culturels, notamment la commémoration annuelle du Sürgün ;

d) prendre sans délai toutes les mesures nécessaires et appropriées pour mettre fin aux disparitions et meurtres de Tatars de Crimée en Crimée sous occupation russe, et

mener une enquête MM. Reshat Ametov, autres victimes ;
complète et adéquate sur les disparitions de
Timur Shaimardanov, Ervin Ibragimov et de toutes les

e) prendre sans délai toutes les mesures nécessaires et appropriées pour mettre fin aux perquisitions et détentions injustifiées et disproportionnées dont font l’objet les Tatars de Crimée en Crimée sous occupation russe ;

f) rétablir sans délai les licences des médias des Tatars de Crimée et prendre toutes les autres mesures nécessaires et appropriées pour leur permettre de reprendre leurs activités en Crimée sous occupation russe ;

g) mettre immédiatement fin à son ingérence dans l’enseignement des Tatars de Crimée et prendre toutes les autres mesures nécessaires et appropriées pour rétablir l’enseignement dans leur langue en Crimée sous occupation russe ;

h) mettre immédiatement fin à son ingérence dans l’enseignement des Ukrainiens de souche et prendre toutes les autres mesures nécessaires et appropriées pour rétablir l’enseignement dans leur langue en Crimée sous occupation russe ;

i) rétablir sans délai le droit des Ukrainiens de souche de prendre part à des rassemblements culturels en Crimée sous occupation russe ;

j) prendre sans délai toutes les mesures nécessaires et appropriées pour permettre aux médias des Ukrainiens de souche d’exercer librement leurs activités en Crimée sous occupation russe ; et

k) réparer intégralement les préjudices causés à l’ensemble des victimes de la politique et du régime d’anéantissement culturel par la discrimination que la Fédération de Russie a mis en œuvre en Crimée sous occupation russe.»

Le 16 janvier 2016, l’Ukraine a également présenté une demande en indication de mesures conservatoires, précisant que celle-ci avait pour objet de protéger ses droits dans l’attente de la décision que la Cour rendrait sur le fond de l’affaire.
En ce qui concerne la convention contre le financement du terrorisme, au paragraphe 23 de sa demande, l’Ukraine prie la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :

a) La Fédération de Russie doit s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant la Cour sur le fondement de la convention contre le financement du terrorisme, ou d’en rendre la solution plus difficile.

b) La Fédération de Russie doit mettre en œuvre des mesures appropriées de contrôle de sa frontière afin de prévenir tout nouvel acte de financement du terrorisme, y compris la fourniture d’armes en provenance de son territoire et à destination du territoire ukrainien.

c) La Fédération de Russie doit cesser et prévenir tous transferts d’argent, d’armes, de véhicules, de matériels, de formation ou de personnel en provenance de son territoire et à destination de groupes s’étant livrés à des actes de terrorisme à l’encontre de civils en Ukraine ou dont elle sait qu’ils pourraient se livrer à pareils actes dans le futur, à savoir, et sans que cette énumération soit limitative, la «République populaire de Donetsk», la «République populaire de Lougansk», les «partisans de Kharkov» et tous groupes ou individus qui y sont associés.

d) La Fédération de Russie doit prendre toutes les mesures dont elle dispose pour s’assurer que tout groupe opérant en Ukraine et ayant auparavant bénéficié de transferts d’argent, d’armes, de véhicules, de matériels, de formation ou de personnel en provenance de son territoire s’abstienne de se livrer à des actes de terrorisme à l’encontre de civils en Ukraine.»

En ce qui concerne la CIERD, au paragraphe 24 de sa demande, l’Ukraine prie la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :

«a) La Fédération de Russie doit s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant la Cour sur le fondement de la CIERD ou d’en rendre la solution plus difficile.

b) La Fédération de Russie doit s’abstenir de tout acte de discrimination raciale visant des personnes, groupes ou institutions sur le territoire placé sous son contrôle effectif, et notamment dans la péninsule de Crimée.

c) La Fédération de Russie doit mettre fin et renoncer à tout acte de répression politique et culturelle visant le peuple tatar de Crimée, notamment en suspendant le décret ayant interdit le parlement de ce groupe (Majlis) et en s’abstenant d’exécuter ledit décret ainsi que toute autre mesure similaire tant que la présente affaire demeure pendante.

d) La Fédération de Russie doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux disparitions de personnes au sein du peuple tatar de Crimée et ouvrir sans délai des enquêtes à cet égard.

e) La Fédération de Russie doit mettre fin et renoncer à tout acte de répression politique et culturelle visant le groupe ethnique ukrainien de Crimée, notamment en levant les restrictions relatives à l’enseignement en langue ukrainienne et en respectant les droits de cette minorité à l’enseignement dans sa langue, tant que la présente affaire demeure pendante.»
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Le texte intégral de la requête de l’Ukraine du 16 janvier 2017 sera bientôt disponible sur le site de la Cour.

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La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect administratif. Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale.
Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à La Haye et dans sa proche banlieue, comme par exemple le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale internationale (ou CPI, première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe judiciaire international doté d’une personnalité juridique indépendante, établi par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies à la demande du Gouvernement libanais et composé de juges libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (ou CPA, institution indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement, conformément à la Convention de La Haye de 1899).

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)

M. Boris Heim et Mme Joanne Moore, attachés d’information (+31 (0)70 302 2337)

M. Avo Sevag Garabet, attaché d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)

Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

photo: Siglo XX