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Pourquoi ne pas donner à la Russie ce qu’elle veut

Vendredi, le journal allemand Die Welt a publié un article d’Ivanna Klympouch-Tzintzadze, Vice Première ministre de l’intégration européenne et euro-atlantique avec le titre « Un accord avec Poutine serait un accord avec le diable » sur la politique de l’Occident et les menaces liés à cette politique.

Oukrainska pravda a publié une version ukrainienne de cet article. L’UCMC l’a traduit en français.

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Ces derniers temps, les mauvaises nouvelles poursuivent l’Ukraine. Des milliers des civils se sont retrouvés pris en otages entre le froid et le feu. Poutine a lancé une offensive dans le Donbass, l’offensive la plus massive depuis 2015. Le Kremlin se frotte ses mains en sang en attendant le nouveau partage du monde et en espérant que l’Ukraine lui appartiendra à nouveau. Et pendant ce temps, ils sont nombreux en Occident à être prêts à examiner « toutes les occasions possibles » pour aboutir à un accord avec Poutine.

Quand la situation s’est-elle dégradée à ce point ? Cela n’a pas commencé la semaine dernière ou l’année dernière. Cela a en partie commencé en février 2014, quand la Russie est intervenue en Ukraine. Nous nous souvenons tous de ces jours-là. L’Ukraine suppliait la Russie de s’arrêter. L’Occident suppliait l’Ukraine de ne pas réagir militairement. Il n’y a que la Russie qui ne suppliait personne mais poursuivait tranquillement son affaire : la manipulation, le mensonge et l’occupation d’une terre qui ne lui appartenait pas.

Nous étions pétrifiés. L’Ukraine a eu besoin de 3 longs mois en 2014 : mars, avril et mai pour surmonter le choc et commencer à répondre. Fort malheureusement, il beaucoup d’Occidentaux ne se rendent toujours pas compte de ce qui se passe. La Russie intervient dans vos élections, vous corrompt, joue avec vous et vous continuez à la supplier.

Vous continuez à vous adresser à la bonne volonté d’un pays qui a fait une habitude de déchirer ses voisins en morceaux. Certains parmi vous, probablement espèrent : si nous donnons à la Russie ce qu’elle veut, ce cauchemar arrivera à sa fin. Mais vous ne comprenez pas ce que la Russie veut. Alors, je vais vous donner une réponse rapide : la Russie ne croit pas en l’idéologie du « win-win ». La Russie ne connait qu’une seule chose : que le temps est venu de son renouveau, et du déclin de l’Occident.

Oui, cela est contraire à toute logique. Mais c’est la vision du monde de Moscou qui de base sur la logique d’un jeu à somme zéro. Oui, cela est contraire à tout ce que nous avons appris durant ces 25 dernières années. Mais c’est bien la grande priorité de la Russie de faire revenir les pendules en arrière.

Ne vous voilez pas les yeux, tout cela est arrivé non pas parce que la Russie n’a pas saisi vos intentions. Tout cela est arrivé, car nous n’avons pas saisi les intentions de la Russie. Nous avons cru que l’Union Soviétique était morte durant tous ces années, mais cela est faux. Elle s’est simplement réorganisée et elle s’est préparée à une revanche.

« Houston, nous avons un problème ». Et ce problème est l’URSS 2.0, un État dirigé par les services secrets du FSB, un État capable de faire des choses dont l’URSS 1.0 ne pouvait que rêver : intervenir dans votre discours politique, le tordre dans son sens, dévaloriser vos valeurs, corrompre vos élites, détruire votre unité.

Non, les dirigeants de la Russie ne sont pas de grands penseurs.  Ils ne sont que des anciens fonctionnaires du KGB qui ont toutefois énormément d’argent, mais aucun scrupule. Ils n’ont pas d’idées grandioses, mais savent très bien détruire les vôtres : l’UE, l’OTAN, « le rêve américain », « la maison européenne ».

Alors pourquoi ne pas donner à la Russie ce qu’elle veut ? Car, tout d’abord car le point numéro 1 sur sa liste de souhait est l’Ukraine. Et l’Ukraine n’est pas d’accord. Ceci est une contradiction essentielle : l’Ukraine veut être libre, tandis que Poutine souhaite maintenir l’Ukraine à la laisse. Quels accords peuvent être conclus, qui ne négligeraient les intérêts basiques et justifiés de l’Ukraine ?

Un traité avec Poutine n’est autre chose qu’un traité avec le diable : il vous donne quelque chose et, en échange, vous lui donnez tout votre système de valeurs. Il vous donne quelque chose et vous acceptez le nouveau partage du monde. Il vous donne quelque chose et vous détournez les yeux pour ne pas le voir quand il détruit ses voisins.

10 000 Ukrainiens n’ont pas donné leur vie pour que Poutine finisse par avoir ce qu’il veut. Nous avons fait notre choix comme une nation libre. Désormais, c’est à vous Occidentaux, de faire votre choix. Si vous optez pour la conclusion d’un accord avec Poutine, nous ne pouvons rien faire. Mais pitié, ne le faites pas au détriment de la liberté des autres. Ce serait malhonnête, ce serait un péché qui vous hantera pour toujours. La liberté n’est pas un pion à miser dans le jeu politique. L’OTAN, l’EU, la démocratie et le droit international ne sont pas à vendre.

Un traité honnête entre l’Occident et la Russie n’est pas possible sans un traité honnête entre l’Ukraine et la Russie. Le seul traité honnête entre l’Ukraine et la Russie doit être fondé sur le rétablissement de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Non en vertu des conditions russes, mais sur la base du droit international. Malheureusement, il ne semble pas que la Russie y soit prête actuellement.

Le temps est venu pour l’Occident de défendre les fondations sur lesquelles il existe. Il n’y a pas si longtemps, l’Occident croyait que le monde entier était basé sur ces « fondations ». Il était persuadé que la démocratie était importante pour tous.  Aujourd’hui, ce concept est remis en question par quelqu’un pour qui la démocratie ne veut pas dire grande chose. Il propose de repartager le monde entre ceux pour qui la démocratie est importante et ceux qui peuvent très bien s’en passer.

Si l’Occident accepte, le monde retournera à l’époque avant Reagan. Le monde libre deviendra plus petit. Et encore plus petit. Et encore plus petit. Il finira par devenir plus petit que le monde de la tyrannie et continuera à reculer.  Quand la liberté meurt en Syrie, quand elle meurt en Ukraine, une partie d’elle meurt aussi en Occident. Essayez donc de faire ce que vous paraît impossible : restez forts au plus dur des épreuves. C’est par rapport à cela que l’histoire vous jugera.

Auteur : Ivanna Klympouch-Tzyntzadse, Vice-première ministre chargée de l’intégration européenne et euro-atlantique.