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Des unités paramilitaires ou une action publicitaire? 10 faits sur la “Garde populaire”

Le 28 janvier 2018, un défilé spectaculaire a eu lieu à Kyiv: des jeunes gens, habillés en tenue de camouflage, ont parcouru les rues principales de la capitale. À la fin, plus de 600 membres de l’ONG “Nationalny Drouzhyny” («Garde populaire») , fondée par des anciens combattants du régiment «Azov», ont prêté serment. Ce défilé fait penser à des défilés d’unités paramilitaires. Une image idéale pour la propagande russe et certains médias étrangers qui perçoivent en Ukraine les risques d’une revanche nationaliste. Plusieurs questions peuvent alors se poser.

Que signifie cette apparition d’une «Garde populaire» dans les rues des villes ukrainiennes? L’Ukraine bascule-t-elle vraiment dans un régime paramilitaire? S’agit-il d’une prise de pouvoir par des unités d’extrême droite ou de l’utilisation à courte vue des extrêmes droites par le ministère de l’Intérieur? L’UCMC vous propose des réponses aux principales questions concernant les nouvelles formations. 

Comment les “Drouzhyny” («Garde populaire») ont-ils liés au bataillon «Azov»? La «Garde populaire» est un projet du soi-disant «cercle Azov» lié à la création du régiment Azov et à ses combattants. Le régiment Azov a été créé sur la base du bataillon de volontaires «Azov», lequel a participé depuis 2014 aux affrontements dans l’est de l’Ukraine. En 2017, les anciens combattants du régiment ont créé un parti politique «Le Corps national», dirigé par Andriy Biletskiy, un député ukrainien, et plusieurs organisations civiles, telles que «Corps civil» ou «Défense et reconstruction du pays». Les fondateurs de l’ONG «Garde populaire», enregistrée à Kyiv, sont trois anciens combattants du régiment Azov: Igor Katchka, Artem Klimine et Maxyme Klimka. Le dirigeant officiel est Igor Bober, un autre ancien combattant et le commandant est Igor Mikhaylenko, ancien commandant du régiment.

Des extrêmes droites? Des nationalistes? Des fascistes? Depuis quatre ans, les membres d’Azov sont accusés de sympathie envers l’idéologie néonazie et d’utilisation des symboles runiques, semblables à ceux utilisés par les nazis. Le régiment «Azov» a été fondé par les membres de l’organisation radicale «Patriotes d’Ukraine» et des fans de football qui ne cachent souvent pas leurs opinions d’extrême droite. Selon Igor Mikhaylenko, plusieurs membres de la «Garde populaire» professent l’idéologie du «nationalisme moderne», fondement du parti «Corps national».

De jure: une ONG ou une formation pour maintenir l’ordre civil. Igor Bober, dirigeant de la «Garde», explique que l’organisation a le statut d’organisation civile, mais dans certaines villes, comme Loutsk ou Tcherkassy, elle a le statut d’une formation civile de maintien de l’ordre public. «À Kyiv, nous travaillons encore pour changer le satut, a-t-il expliqué.

Est-ce qu’ils vont patrouiller dans les rues de la capitale? Le chef du département municipal de la coopération avec les forces de l’ordre sur le maintien de l’ordre public et de la sécurité municipale, Oleh Kouyavskiy, a déclaré que les autorités de Kyiv n’avait reçu aucun document de la part de la «Garde populaire». Yuriy Zozoulya, chef de la police de patrouille de Kyiv, a raconté que pour le moment les policiers de la capitale ne patrouillaient avec aucune formation civile. «Ma position est: si tu veux défendre l’ordre, alors tu vas travailler dans la police». «Nous avons discuté avec eux et compris que ce qui les intéresse c’est de faire parler d’eux, plutôt que de patrouiller dans les rues avec la police», a-t-il dit.    

Qui finance les “Drouzhyny” («Garde populaire»)? C’est la question que beaucoup se posent. Hromadske Radio a calculé que rien que pour acheter des vestes pour un millier de personnes dans toute l’Ukraine, il aurait fallu près de 1,7 millions de hryvnias (plus de 50 mille euros). Si on ajoute le coût des bonnets en molleton, alors la somme est encore plus élevée. Les membres de la «Garde» essaient de convaincre qu’ils existent grâce au montant des frais d’adhésion. Cependant, Igor Mikhaylenko n’a pas pu répondre à une question des journalistes sur le montant des frais d’adhésion: «Il n’y a pas de montant fixe. Chacun donne ce qu’il veut». En revanche, Roman Tchernychev, porte-parole du parti « le Corps national» a déclaré que la «Garde» était financée par une banque ukrainienne, sans donner plus de précisions. Mais les leaders des militants assurent que c’est faux. «Je pense qu’il ne pouvait pas le dire. Ce n’est pas vrai.», a déclaré un des combattants.

La «Garde populaire» est-elle l’armée de poche du ministre de l’Intérieur Arsen Avakov? Les rumeurs veulent que la «Garde» soit l’«armée privée» d’Arsen Avakov, le ministre de l’Intérieur. Cependant, Avakov et les représentants de la «Garde» démentent cette version. «L’État est le seul à détenir le monopole de l’utilisation de la force: la Garde nationale, la Police nationale, les Forces armées ukrainiennes. Toutes les autres unités paramilitaires qui essaient de se positionner dans les rues des villes, sont illégales. En tant que ministre, je ne permettrai pas l’existence de structures parallèles qui essaient de se comporter comme des formation paramilitaires alternatives», a déclaré Avakov. «Ni Avakov, ni Porochenko, ni aucune autre institution du pouvoir n’est pour nous un élément autoritaire de l’État. Car c’est le pouvoir qui a raté cette chance», a déclaré à son tour Igor Mikhaylenko.

La création de la «Garde» contraint-elle la loi ukrainienne? La loi ukrainienne « sur la participation du public à la protection de l’ordre public et de la frontière de l’État », à laquelle les chefs de la «Garde» se sont référés à plusieurs reprises, offre l’occasion de faire participer les représentants des groupes communautaires en particulier aux patrouilles dans les rues, mais seulement avec les employés de la Police nationale. En général, les représentants de la «Garde» interprètent assez librement les dispositions de la loi. Ainsi, Igor Mikhaylenko, lors d’une conférence de presse à Kiyv le 31 janvier, n’a pas nié que, parmi les membres de l’organisation, figurent des mineurs. «Ce sont des jeunes de 17 ans qui ont déjà terminé leurs études, je ne vois rien de mal à cela», a-t-il déclaré. À l’heure actuelle, la loi stipule que les membres des formations publiques doivent absolument être majeurs. En outre, la loi interdit aux membres des ONG de posséder des armes à feu ou des armes blanches. Cependant, le questionnaire pour l’entrée dans les rangs de la «Garde» comporte une question sur la possession d’armes enregistrées.

Une belle publicité pour le parti politique?  Artyom Chevtchenko, porte-parole du ministère de l’Intérieur, estime que l’apparition de cette formation est «une publicité, une mise en scène, mais sans plus». Il a ajouté qu’il n’était pas certain que la «Garde» soit enregistrée comme une formation qui peut assurer la protection de l’ordre public conformément à la loi. «C’est le travail des journalistes de savoir s’ils sont ceux qu’ils prétendent être ou s’ils ne font que bluffer, en filmant de belles vidéos et en faisant parler d’eux, s’octroyant ainsi une publicité politique gratuite sur les canaux centraux. Tous les organismes publics légalement inscrits et enregistrés auprès des organes territoriaux du ministère de la Justice en tant qu’organisation publique pour la protection de l’ordre public et de la frontière de l’Etat, peuvent le faire».

Vox populi: quelle est la réaction de la société ukrainienne? La réaction la plus répandue des citoyens est une inquiétude et une franche méfiance.

«La plus grande préoccupation concernant les activités de la «Garde» est l’idéologie du parti politique auquel elle est associée. Elle est de caractère totalitaire et anti-démocratique» – telle est l’opinion exprimée par l’activiste des droits de l’homme Vyatcheslav Likhatchev.

À son tour, le défenseur des droits de l’homme Maxime Butkevytch ajoute: «À une époque, le Parti social-national ukrainien a également mis l’accent sur la «capacité de rétablir l’ordre» et le «militarisme» brutal, et avec cela il a rapidement atteint son «apogée» et est entré en déclin jusqu’à sa transformation efficace en «Svoboda». Il est avéré que la plupart des personnes n’aiment pas l’«Ordnung» réalisé par des «patriotes» auto-proclamés, racialement conscients. Cependant, il n’a pas été associé à l’une des unités de la Garde nationale et n’était pas sous la protection du ministère de l’Intérieur, et n’était pas vraiment une organisation paramilitaire».

Ekaterina Makarevitch, une journaliste russe exilée, qui analyse la société ukrainienne après la Révolution de la Dignité, a écrit sur sa page Facebook: «Pour la première fois depuis 2 ans que j’habite en Ukraine, j’ai peur … Premièrement, ça me rappelle le nazisme dans toute sa «splendeur» disciplinée. L’Ukraine a toujours été célèbre pour la variété de ses choix, un charme de l’atmosphère ukrainienne. Deuxièmement, il est impossible d’établir un ordre basé sur la contrainte et non pas sur le volontariat, sans éliminer la liberté d’abord».

Certains experts tentent de comprendre la logique des événements dans l’apparition de cette formation. Yuroslav Yurchyshyn, directeur exécutif de Transparency International, a noté sur sa page Facebook: «A propos de la «Garde populaire», des Gardiens municipaux et d’autres formations paramilitaires. L’état de vide n’existe pas. Et si l’Etat n’est pas en mesure de fournir le monopole de l’usage de la force pour assurer la protection des citoyens, alors quelqu’un d’autre le fera. Ce n’est ni négatif, ni positif – c’est la réalité (…) Les Ukrainiens ont longtemps été célèbres pour avoir créé des structures parallèles au pouvoir. À l’époque de la gestion externe, cela nous a sauvés. À l’époque de notre propre État cela pourrait jouer différemment». 

Le rire et l’ironie: est-ce vraiment si sérieux? Enfin, une grande partie de la société ukrainienne a réagi à l’apparition de la «Garde» par le rire et l’ironie. La véritable menace pour les «gardiens» est-il aussi important? En ukrainien, «Drouzhyna» (Garde) est homonyme du mot «épouse», par conséquent les réseaux sociaux ont commencé à répandre diverses images humoristiques sur le thème des «épouses nationales»