Son visage est connu dans tout le pays: Olesia Joukovska, âgée alors de 21 ans, était une jeune volontaire, une femme médecin qui a été grièvement blessée par des armes à feu lors du Maїdan, le jour le plus tragique de la confrontation, le 20 février 2014. Étonnamment, elle a réussi à survivre, contrairement à cinquante autres militants qui sont morts de blessures par balles ce jour-là. Dans l’ambulance, elle a réussi à écrire un message d’adieu dans les réseaux sociaux: “Je suis en train de mourir”. Mais, heureusement, elle est restée en vie.
L’UCMC lui a parlé quatre ans après cette journée tragique. Olesia se remémore le 20 février 2014, elle évoque les années qui ont suivi, ce dont elle rêve aujourd’hui et comment elle évalue les changements dans le pays.
“Pour moi il y avait deux Maїdan : un louable, paisible, opportun et un autre sanglant, noir …”
Olesia Joukovska est née à Kremenets, dans la région de Ternopil, dans l’ouest de l’Ukraine. Son père était vétérinaire et sa mère, infirmière. Diplômée de l’École de médecine de Kremenets, elle a commencé à travailler comme infirmière.
Pour la première fois, elle est arrivée sur le Maїdan le 4 décembre 2013. Elle a vécu dans des tentes, dans la Maison des syndicats et au Conseil municipal de la ville de Kyiv. Quand elle était de garde, elle distribuait des médicaments et accueillait des patients. En janvier 2014, elle avait 21 ans.
«Olesia, 21 ans, Kremenets, région de Ternopil. Arrivée sur le Maidan le 4 décembre. La seule fille qui est montée dans un bus avec 16 garçons pour aller sur le Maїdan, où elle ne connaissait personne. Elle a été très choquée par le passage à tabac d’étudiants, par les Berkut, le 30 novembre. La première fois, elle est venue pour 5 jours durant lesquels, elle ne faisait que parler avec les gens. Pendant tout ce temps, Olesia a fait des allers-retours entre Kyiv et sa maison plus de 10 fois. Elle travaillait comme bénévole dans la cuisine, et à partir du 31 décembre, elle est devenue infirmière bénévole. Le 19 janvier, elle a travaillé dans la rue Hrushevsky, justement au moment où il y eu une aggravation de la situation. «Dans la nuit du 20, une grenade est tombée près de moi, en m’assourdissant un peu. Alors, j’ai eu peur pour la première fois », raconte elle» – Khrystyna Berdynski, journaliste, auteure du projet #maidaners sur les activistes du Maїdan.
“Pour moi il y avait deux Maїdan: un, louable, paisible, opportun et un autre,sanglant, noir …”– écrit Olesia Joukovska sur FB le 17 novembre 2014. Sur le Maïdan, elle a trouvé des amis et des personnes partageant les mêmes idées qu’elle; elle n’a dû partir que pour des périodes où elle était obligée de rentrer à la maison, la plupart du temps pour se soigner, car ces nuits sur le Maїdan lui avaient donné un rhume et mal à la gorge. En février 2014, Olesia est entrée dans un hôpital qu’elle n’a quitté que 3 jours seulement après le 20 février.
Pendant son bénévolat, Olesia a rencontré beaucoup de monde. Elle se souvient de la chaleur particulière du «tonneau de l’enfer» près de la stèle. C’était une tente de chauffage. Les personnes qui s’y rassemblaient venaient de différentes régions de l’Ukraine – Lougansk, Zaporizhye, Poltava, Ternopil. Mais lorsque les événements du 18 février ont commencé, la tente a brûlé.
“Olesia a été malade plusieurs fois à cause d’angines. Elle est retournée chez elle le temps de traiter ses problèmes de santé et est revenue sur le Maïdan. Le 17 février, elle est partie d’un hôpital local et est retourné à Kyiv le jour suivant. Le 19, elle était déjà sur le Maïdan, elle alternait les gardes de jour et de nuit jusqu’à 4 heures du matin” – Khrystyna Berdynski, journaliste, auteure du projet #maidaners sur les activistes du Maїdan.
«Je tenais d’une main l’artère transpercée»
Le matin du 20 février, Olesia s’est réveillée et s’est rendue au monastère Mikhaïlovski pour chercher des médicaments qu’elle voulait emmener dans une clinique, près d’un arbre de Noël. De retour de Mikhaïlovski, elle s’est arrêtée au Maїdan, près de la porte Lyadsky, et a rencontré des amis du «tonneau de l’enfer». Elle a regardé l’horloge. Il était 11h37. Vers 11h40 un tireur d’élite a tiré sur elle.
«Nous ne savions pas exactement ce qui se passait rue Instytoutska. J’ai été la première blessée à cet endroit. Je n’ai pas compris ce qui se passait. Un gars qui se tenait devant moi m’a dit : « Ma petite, tu as été blessée ». Puis j’ai baissé la tête et j’ai réalisé que ma veste était rouge de sang», – raconte Olesia dans un commentaire pour l’UCMC.
«Je n’ai pas perdu conscience une seconde, il y avait une ambulance à côté, et des gars m’ont pris sous les bras et m’ont soutenue. Je marchais en pressant avec ma main l’artère endommagée pour que le sang ne coule pas. Je suis montée dans une ambulance et j’ai envoyé un « message d’adieu » de mon téléphone, pensant que c’était fini».
Aujourd’hui Olesia rit, se souvenant de ce moment. Mais à l’époque, ce message a fait le tour du monde. Et la photo, prise après la blessure, et ces deux mots dans les réseaux sociaux ont rapidement été repris par presque tous les médias du monde.
«Nous devons nous battre! C’est notre pays!»
Après sa blessure, Olesia a été opérée, elle a passé 11 jours à l’hôpital n° 17 de Kyiv. Heureusement, la balle n’a pas touché la carotide. Mais déjà le 2 mars, elle s’est à nouveau échappée sur le Maïdan. «Aujourd’hui, je serai sur le Maïdan, je ne peux pas rester à l’hôpital et écouter les nouvelles, au moins pour une courte période, mais je vais aller au Maidan! Nous devons nous battre! C’est notre pays!»- a-t-elle écrit sur Facebook le 2 mars 2014.
Du 7 au 13 mars, Olesia, qui faisait partie d’une mission diplomatique, s’est rendue en France avec Petro Porochenko en tête. Entre outre, elle a rencontré le président français, François Hollande. «Immédiatement après ma blessure, j’ai voyagé à l’étranger, pour rencontrer le président français François Hollande. Ma mission était de témoigner sur ce qui se passait sur le Maïdan », dit-elle dans les commentaires pour l’UCMC.
L’enquête
L’enquête sur les meurtres du Maïdan a commencé immédiatement, sans résultats convaincants, et, surtout, pas de verdicts, ni de condamnations, 4 ans après ces événements. Olesia, comme d’autres victimes, a témoigné.
«Il y a eu des enquêtes. Six mois plus tard, nous avons été convoqués par l’enquêteur, un premier, puis un autre. J’ai témoigné, comme tout le monde. Ils ont répondu que c’était un agent des « berkut » qui avait tiré, mais qui, maintenant, s’était échappé en Russie et que l’arme avait été détruite. Et je ne me souviens même pas de son nom de famille», – déclare-t- elle. Il ne semble pas qu’Olesia ait vraiment été motivée par le désir de se venger de son contrevenant. Elle essaie juste de vivre.
Nouvelle vie
Après le Maïdan, elle a décidé de se consacrer sérieusement à la médecine. En été 2014, elle s’est inscrite à la faculté de médecine de l’université Bogomolets à Kyiv, où elle vit désormais dans un dortoir d’étudiants.
Malgré de nombreuses informations sur la corruption dans le secteur médical et l’éducation médicale, Olesia est entrée à l’université sans aucun problème, avec une bourse et directement en deuxième année car elle avait l’éducation médicale de base. Il est possible que sa notoriété dans le pays, après la blessure sur le Maïdan, ait joué un rôle dans le processus compétitif de sélection, mais Olesia elle-même ne le sait pas. Elle affirme qu’elle n’a pas dû faire face à la corruption pour entrer à l’université. «Je suis dans le groupe d’étudiants qui paient pour leurs études et nous avons des notes qui correspondent à nos connaissances», – dit-elle.
Olesia trouve qu’apprendre est intéressant, mais très difficile, à causes du planning très chargé. Maintenant, elle est en 5ème année, donc, il lui reste un an et un stage. Elle a peu de temps pour les loisirs, mais en quatre ans, elle a participé à de nombreux projets de bénévolat. «Quand j’ai du temps, je vais au refuge pour les animaux, je vais à l’hôpital ou je fais des filets de camouflage pour les militaires avec ma copine», dit-elle.
Parmi les diverses orientations médicales, elle est surtout attirée par la neurologie, ainsi que la gastro-entérologie. «Mon rêve est de devenir gastro-entérologue, nutritionniste», – explique Olesia.
La jeune fille s’est sérieusement motivée pour une alimentation saine et un mode de vie sain. L’année dernière, elle a perdu 16 kg. Elle dit qu’elle ne compte pas s’arrêter là. “Ce n’était pas facile de commencer et c’est dur de continuer, c’est un travail sur soi très difficile, mais je suis motivée”.
“Je m’aime et je veux être la meilleure version de moi-même”, explique-t-elle.
Maintenant, Olesia a 25 ans. Chaque année, le 20 février, les journalistes la contactent pour parler des les événements qui se sont déroulés il y a 4 ans. Olesia dit qu’elle est contente qu’on se souvienne d’elle, mais elle n’aime pas donner d’interviews.
Elle ne commente pas les réformes ukrainiennes et n’avoue pas son choix pour les prochaines élections. «Il y a une déception, bien sûr, et du chagrin aussi, mais je pense que l’on ne gagne pas tout à la fois. Nous avons fait notre révolution interne, et le pays agresseur nous a attaqués. Qui aurait pu prévoir cela?», a-t-elle dit.
Olesia pense que le 20 février est son deuxième anniversaire et ne regrette rien. «Je ne regrette rien, ni d’être allée sur le Maïdan, ni d’avoir été blessée. Ceci est une leçon importante pour moi. Quand je suis allée au Maïdan, je voulais que quelque chose change dans le pays et dans ma vie aussi. C’est arrivé».