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Coupe du monde 2018: le football est-il «en dehors de la politique»?

Le 14 juin, le Coupe du Monde de la FIFA a débuté en Russie. C’est la première fois que la Russie accueille ce championnat prestigieux. Des débats ont commencé quelques mois avant l’événement sportif: et si les pays européens boycottaient cet événement? Serait-ce efficace? Est-il possible de condamner les actions de la Russie sur la scène internationale et de ne pas boycotter le championnat? Aujourd’hui, l’évidence est là: le championnat a commencé et le «boycott diplomatique» n’a été soutenu que par quelques pays. Mais la question reste pertinente: le sport peut-il être «apolitique» et la Russie utilisera-t-elle le sport dans ses objectifs politiques. Vous trouverez plus d’informations dans l’article de l’UCMC.

«Notre objectif est que tous nos hôtes, des stars du foot jusqu’aux fans ordinaires, ressentent l’hospitalité et la gentillesse de notre peuple, soient pénétrés du caractère distinctif, multiethnique, et de la culture unique de la Russie et veuillent de nouveau revenir dans notre pays », a déclaré Vladimir Poutine lors du Congrès de la Fédération internationale de football (FIFA ). Poutine considère cette Coupe du Monde de la FIFA comme sa propre victoire. Et bien que la plupart des Occidentaux n’aient aucune illusion sur le régime en Russie, ils n’ont été que quelques-uns à s’opposer activement à cet événement sportif prestigieux.

Est-ce que la Russie mérite le championnat?

Le fait que la Russie accueille la Coupe du monde cette année a été décidé en 2010 par un scrutin secret au sein du comité exécutif de la FIFA. Peu de gens pouvaient alors percevoir une menace de Moscou, et surtout prévoir le plus important affrontement géopolitique entre la Russie et le monde occidental depuis l’effondrement de l’Union soviétique.

Depuis ce vote, la Russie a réussi à envahir l’Ukraine, à apporter son soutien à Bachar al-Assad en Syrie, à changer la perception de la guerre de l’information. La guerre hybride menée par la Russie défie l’ordre international fondé sur la primauté du droit, mais l’Occident n’est toujours pas sûr de savoir comment réagir.

Depuis les dernières années, dans de nombreux pays occidentaux, on discutait à un niveau élevé d’un éventuel boycott de la Coupe du Monde en Russie et de son éventuel transfert dans un autre pays. On évoquait l’annexion de la Crimée, le conflit dans le Donbass, l’avion de la compagnie malaysienne abattu, la guerre en Syrie et même le scandale du dopage autour de la Russie.

La corruption au sein de la FIFA. En 2010, des journalistes sportifs, des experts et des spécialistes de la FIFA ont affirmé que la Russie n’avait pas été choisie honnêtement. Le FBI et le bureau du procureur fédéral de la Suisse ont enquêté sur la corruption au sein de la FIFA et, en 2014, la FIFA a mené sa propre enquête. En 2015, Josef Blatter a quitté son poste de président de la FIFA. Après sa démission, il a personnellement confirmé que la Russie avait été choisie pour accueillir le Mondial via des accords secrets. Cependant, les enquêtes officielles n’ont pas trouvé de confirmation.


C’est Infantino qui devient le nouveau président de la FIFA au début de 2016. Le bruit court qu’il est le protégé de l’ancien président de l’UEFA Michel Platini qui a été destitué suite une accusation de fraude financière. Il a déclaré qu’il n’y avait aucune raison de priver la Russie de son droit d’accueillir la Coupe du Monde.

Un scandale de dopage en 2017. Un autre argument pour boycotter la Coupe du Monde est le scandale du dopage qui touche les athlètes russes en 2017. L’ex-chef de l’Agence mondiale antidopage, Richard Pound, a déclaré que la Russie n’était pas un endroit approprié pour un tel événement.

Le boycott des Jeux olympiques de 1980 en URSS: comme cela s’est passé

En 1980, l’initiateur de l’action a été le président des États-Unis, Jimmy Carter. Le Comité National Olympique des États-Unis a demandé au CIO de déplacer les jeux dans un autre lieu ou même de les annuler. Le leader américain a envoyé un message personnel aux dirigeants de près de 100 pays pour les appeler à soutenir le boycott.

Presque tous les Etats d’Europe ont alors pris part sous une forme ou une autre à la protestation. Les athlètes de 65 pays, dont les États-Unis, le Canada, la Turquie, la Corée du Sud, le Japon et l’Allemagne, ne sont pas allés aux Jeux, mais certains athlètes de Grande-Bretagne, de France et de Grèce ont participé individuellement avec l’autorisation des comités olympiques des pays correspondants, mais leurs équipes ont été bien moins nombreuses que d’habitude.

Les équipes de seulement cinq pays du continent – l’Autriche, la Grèce, Malte, la Finlande et la Suède – se sont produites sous leurs drapeaux nationaux. Les autres se sont produites sous les drapeaux du CIO (Comité International Olympique). C’est l’hymne officiel du CIO qui jouait en l’honneur des vainqueurs et non pas les hymnes nationaux de leur pays.

Dans la ville américaine de Philadelphie, le 16 juillet, trois jours avant l’ouverture des Jeux olympiques de Moscou, les Jeux olympiques du boycott (Olympic Boycott Games, officiellement – Liberty Bel lClassic) ont commencé, auxquels ont participé des athlètes de 29 pays boycottant les jeux à Moscou.

L’Europe: comment et pourquoi boycotter le championnat aujourd’hui?

Quatre décennies après le boycott des Jeux Olympiques en URSS, le monde occidental est beaucoup moins ferme dans sa protestation contre les politiques anti-européennes de la Russie contemporaine. Malgré le fait qu’au mois d’avril 60 eurodéputés aient publié une lettre ouverte appelant les gouvernements de tous les pays de l’UE à ne pas participer à la compétition, seuls quatre pays ont officiellement annoncé le boycott de la Russie: l’Ukraine, la Grande Bretagne, l’Islande et l’Australie. De plus, ce boycott est politique, c’est-à-dire que cela ne signifie pas que les équipes nationales de ces pays (à l’exception de l’Ukraine qui n’a pas passé la sélection) ignoreront la Coupe du Monde: toutes les équipes sélectionnées joueront en Russie. Le boycott n’a qu’une dimension diplomatique et politique. Et la raison de ce boycott s’est limitée à certains crimes de la Russie, et pas les crimes les plus horribles.

L’affaire Skripal: le Royaume-Uni, l’Islande et l’Australie. Pour le Royaume-Uni une raison efficace pour le boycott de la Coupe du monde est devenue l’affaire russe Sergueï Skripal, un ancien espion empoisonné à Londres. Les plus hauts fonctionnaires anglais en ont directement accusé le gouvernement russe. En mars, Theresa May, a déclaré au Parlement que les représentants du gouvernement et les membres de la famille royale ne viendraient pas en Russie. Cependant, l’équipe britannique participera à la compétition, mais les fans britanniques ont été avertis d’une possible «attitude négative » vis-à-vis des Britanniques en Russie.

Le gouvernement de l’île d’Islande, dont l’équipe jouera dans le championnat, a pris une position similaire. Une semaine avant le lancement de la Coupe du Monde, les autorités australiennes ont pris la décision de boycotter. La presse locale explique cette décision non seulement par l’affaire Skripal, mais aussi par la conclusion d’une enquête internationale sur l’implication de la Russie dans l’incident de l’avion malaisien abattu dans le Donbass en 2014, rendue publique une semaine avant le début du tournoi.

La Pologne: condamnation de la politique de la Fédération de Russie. Les dirigeants polonais ont annoncé qu’ils n’iraient pas à l’ouverture du championnat en raison d’un désaccord avec la politique intérieure et extérieure de la Russie. «Le président polonais Duda ne prévoit pas de visite au Mondial», a annoncé l’adjoint du président polonais. Mais si l’équipe nationale de la Pologne atteint la finale, alors il sera demandé au président d’y aller tout de même.

L’Allemagne et la France: ignorer sans boycotter officiellement. Les politiciens allemands, y compris le président, le ministre des Affaires Étrangères et le ministre des Finances, ont déclaré qu’ils n’iront pas en Russie. En revanche, Angela Merkel n’a pas exhorté à boycotter la Coupe du Monde. En ce qui concerne la France, Emmanuel Macron, lors de sa visite en Russie, a promis qu’il viendrait assister à la Coupe du Monde si l’équipe française arrive jusqu’en demi-finale. Le 10 juin, il a changé d’avis et a déclaré qu’il viendrait si les Bleus arrivent en quart de finale.

Le Parlement européen: Sentsov, la Crimée et les libertés. Le jour du début de la Coupe du Monde, le Parlement européen a adopté une résolution pour exhorter la Russie à respecter ses engagements intérieurs et internationaux et garantir le respect des droits fondamentaux. Les députés exigent que le gouvernement russe libère immédiatement et sans conditions supplémentaires Oleg Sentsov, cinéaste ukrainien, ainsi que 70 autres citoyens ukrainiens emprisonnés en Russie et sur la péninsule de la Crimée. Une campagne civique en soutien d’Oleg Sentsov a aussi débuté dans le monde entier, les participants exhortent à boycotter la Coupe du Monde en Russie.


Vue d’Ukraine: «le football sur le sang»

Pour l’Ukraine, dans une plus large mesure que pour tout autre pays, il s’agit d’une évidence: la tenue du championnat en Russie est inacceptable. En raison de l’agression russe en Ukraine il y a plus de 10 000 morts, plus d’un demi-million de déplacés de Crimée et du Donbass, ainsi que des dizaines de prisonniers politiques ukrainiens. Et la Russie occupe une partie du territoire ukrainien. Les autorités ukrainiennes ont exhorté les citoyens à ne pas se rendre en Ukraine. Andriy Yermolenko, un peintre ukrainien, a dessiné une série d’affiches alternatives pour le championnat.


«C’est ma guerre. Je sais dessiner. Si j’avais eu suffisamment de courage en 2014, je serais sur le-front, mais je n’en ai pas eu. J’ai juste suffisamment de courage pour faire ce que je sais faire et je sais dessiner», – Andriy Yermolenko.


Médias: Le championnat ne sera diffusé que sur une seule chaîne. Le 6 juin 2018, le Comité parlementaire sur la liberté d’expression et la politique d’information a soutenu le projet de résolution qui proposait d’interdire en Ukraine la diffusion de la Coupe du monde officielle en Russie. Cependant, la Rada n’a pas voté pour l’interdiction de la diffusion des matchs en Ukraine. Donc la Coupe du Monde sera diffusée en Ukraine par la chaîne «Inter».

Les Ukrainiens iront-ils au championnat? «Je déconseille aux Ukrainiens de se rendre dans la Russie de Poutine, car il y a un réel danger d’être capturé par les terroristes russes. N’augmentez pas le fonds d’échange de Poutine, n’allez pas en Russie», a déclaré le président de la Verkhovna Rada, Andriy Parubiy.

Dans le même temps, environ six mille citoyens ukrainiens, comme indiqué par l’UEFA, ont acheté des billets pour les jeux. Mais c’est évidemment unepetite minorité.


L’Ukraine n’a pas d’illusion concernant la nature du régime poutinien et les Ukrainiens ne croient pas que le football pourrait être «en dehors» de la politique. Les équipes jouent sous les drapeaux de leurs pays et les quatre années de guerre hybride ont prouvé que le Kremlin sait tourner à son avantage tout ce qu’il peut atteindre. Le sport peut aussi bien être soft power que la culture.

«Le sport est une grande tribune. C’est l’occasion pour les dictateurs de montrer leur côté le plus positif. Pas de celui de la torture et du meurtre », résume le journaliste sportif Vadim Skichko dans un commentaire pour Hromadske.

En fait, il est beaucoup plus facile d’être d’accord avec cette déclaration qu’avec les assurances de Poutine pour qui le championnat deviendra une opportunité «de sentir la joie et la bonne volonté» du peuple russe.