Le 7 septembre 2019, 35 prisonniers politiques ukrainiens sont rentrés en Ukraine. Au cours des deux premières semaines, beaucoup d’entre eux ont fait leurs premières conférences de presse et interviews. Dans un premier temps, la conférence de presse conjointe d’Oleg Sentsov et d’Olexandre Koltchenko, suivie par des interviews des marins capturés par la Russie en novembre 2018 puis de Volodymyr Balukh, Roman Souchtchenko et les autres. L’UCMC a suivi leurs interventions et a choisi pour vous quelques citations des anciens prisonniers sur les particularités du monde carcéral en Fédération de Russie, la vie de la société russe et sur ce que les prisonniers politiques ukrainiens ont dû endurer.
Oleg Sentsov sur le transfert en prison: «Nous étions transportés comme du bétail»
Les journalistes ont calculé que lors des transferts entre des prisons russes, Oleg Sentsov et Olexandre Koltchenko ont parcouru à deux plus de 20 000 kilomètres soit un demi tour du monde. Lors de la première interview qui a suivi sa remise en liberté, les journalistes ont demandé à Oleg Sentsov si on lui avait expliqué pourquoi il était transporté si souvent et si loin de la capitale. «Personne ne m’a rien expliqué. Sachez que là-bas, il n’y a personne pour communiquer avec vous. Vous n’êtes pas considéré comme une personne, ils ne vous expliquent rien. Vous êtes transporté comme du bétail sans aucune explication », a-t-il répondu.
Volodymyr Balukh, activiste criméen et ancien prisonnier du Kremlin a été soumis à plusieurs reprises à des intimidations physiques et ceci depuis les premiers jours de sa détention. Il a été particulièrement maltraité après avoir été transporté dans une colonie de Torzhok dans le territoire de la Fédération de Russie. Volodymyr en a parlé lors de sa conférence de presse à l’Ukraine Crisis Media Center.
Lors de cette conférence de presse, une vidéo de Volodymyr Balukh, prisonnier à l’époque où cette vidéo avait été tournée, parlait des tortures qu’il subissait en prison, a été diffusée. Selon Volodymyr, cette vidéo a été enregistrée le 15 mars 2019.
«C’étaient des tortures, des menaces de violence sexuelle. Ils me battaient, me mettaient une taie d’oreiller sur la tête, m’arrosaient avec de l’eau, me touchaient avec un pistolet paralysant, me donnaient des coups sur les talons, les jambes. Ils mouillaient une taie d’oreiller et me frappaient avec, me donnaient des coups sur les oreilles….Lorsque cela se produit, il est difficile de savoir combien de temps ça dure. Je pense que cela a duré au moins 20 minutes, peut-être une demi-heure. J’ai reçu 150 coups avec un pistolet paralysant. Généralement, ils me frappaient sur le dos et les jambes», a-t-il raconté.
Il était dans la pièce avec un autre détenu et 5 à 10 agents de sécurité. Pendant tout ce temps, il était face au mur, les jambes tendues pratiquement jusqu’au grand écart, donc, il ne pouvait pas voir les visages de ceux qui le battaient.
Avant et après les tortures, un médecin est entré dans la pièce. Après le passage à tabac, il a proposé de mettre de la crème sur des blessures, de mesurer la pression et la température. «Parce que cette torture a eu lieu avec son consentement tacite, j’ai refusé toute aide médicale et tout examen médical», a raconté Volodymyr Balukh.
«Je tiens à souligner que ces tortures n’ont pas eu lieu au stade de l’enquête, lorsque les agents des forces de l’ordre tentent de vous faire témoigner de ce que vous n’avez pas fait. Ils sont probablement liés simplement à un désir sadique de vengeance, de harceler une personne qui s’est opposée au système. Parce que c’est arrivé après l’entrée en vigueur du verdict illégal », a déclaré Olga Skrypnyk, coordinatrice du groupe de défense des droits de l’homme de Crimée qui a participé à cette conférence de presse.
Interrogé par des journalistes sur la volonté ou non des enquêteurs de mettre la pression à ses proches restés en Crimée pour le faire parler, Oleg Sentsov a répondu : «Non, merci mon Dieu, ils ne l’ont pas fait. Au moins, ils sont en conformité avec certains codes. Dans le sens où ils sont en guerre avec moi, ils ne sont pas en guerre avec mes enfants, c’est normal. Vous ne pouvez pas vous battre avec les enfants. Il n’y a pas une telle pression ».
Dans le même temps, l’ancien prisonnier politique a noté que les risques pour les familles de tels prisonniers politiques étaient bien réels. «Il est clair que les personnes qui ont des parents en Crimée courent un risque élevé. Car il faut comprendre que pouvoir ne s’en occupera pas (…) Personne n’est à l’abri d’un fou qui regarde trop la télévision et décidera de se venger de votre famille. C’est dangereux. La télévision russe tue vraiment », a-t-il déclaré dans une interview à Hromadske.
«Mon éveil civil n’a pas commencé à la naissance, pas même à 18 ans, pas à 20 ans, mais bien plus tard, quand je suis devenu mûr, plus près de l’âge moyen. J’ai commencé à me sentir comme un citoyen responsable de mon pays», a déclaré Sentsov.
« Ma vie ne se passe pas séparément de la vie de mon pays. Cependant, ce n’est pas le cas de tout le monde. Je ne sais que beaucoup d’ukrainiens vivent sans se soucier de leur pays mais en Russie, 80% de la population vit comme ça. Nous en Ukraine, nous avons une vie commune avec notre pays, nous avons des relations avec notre pays. Les relations qui ne sont certainement pas très bonnes, mais nous essayons de les améliorer », a-t-il ajouté.
En outre, Oleg Sentsov a répondu à la question de savoir comment les citoyens russes perçoivent la guerre entre la Russie et l’Ukraine. «La plupart comprend tout comme la propagande le montre. Peut-être, pas tout le monde, mais 70% ou 80% sont très réceptifs à la propagande », a-t-il raconté.
«Ils ne croient pas beaucoup en Poutine en ce qui concerne la politique intérieure, ils comprennent que Poutine et son entourage volent beaucoup et qu’il dirige également toute cette mafia. Mais ils soutiennent sa politique étrangère. Une telle haine, même ce mépris pour l’Ukraine, pour l’Europe, pour les États-Unis, est très fort. Il est inoculé chaque minute. J’avais beau allumer des chaînes de télé différentes, c’était la même chose pendant cinq ans », a-t-il ajouté.
Le journaliste d’Ukrinform, Roman Souchtchenko, a passé près de trois ans en prison. Il a été arrêté lors d’une visite à ses proches à Moscou.
«Franchement, je ne m’attendais pas à ce que je puisse tout supporter. Pour une personne de la sphère humanitaire, en particulier pour un journaliste, ce fut un choc insensé. Au moment où je me suis fait capturer, ma vie entière a défilé devant mes yeux. Je savais qu’il y avait la guerre, que des gens mourraient, je savais comment on traitait ceux qui se faisaient capturer. Ils m’ont menotté les mains de manière si serrée que je ne pouvais plus les bouger, ils m’ont étiré les tendons sur les bras, un d’eux m’a tenu par le pomme d’Adam et un autre m’a fouillé, en mesurant le col de ma chemise. «Où avez-vous caché la capsule empoisonnée ? Avez-vous des armes ou pas ?». J’ai été choqué : Quel poison ? quelle arme? Quand j’étais déjà dans leur bus j’ai demandé s’ils faisaient tout cela pour m’intimider ou m’humilier mais je n’ai pas eu de réponses.
En conséquence, je me disais que maintenant, les «caves», la torture, puis les «aveux» que l’on enregistrait sur une vidéo, les chocs électriques et d’autres horreurs encore allaient commencer… Je me suis mis à réaliser ce qui m’attendait et, bien sûr, j’ai ressenti de la peur comme toute personne normale», a-t-il raconté lors de sa première conférence de presse à Ukrinform.
Roman Souchtchenko a également rappelé les épisodes qui l’ont le plus frappé pendant ses années de captivité. Ils illustrent bien l’attitude des prisonniers en Russie. «Il y a eu un suicide à Lefortovo. Un homme condamné pour possession de drogue se trouvait dans une cellule en face de la mienne. Et le soir, quand les gardiens ont ramassé les ordures et que nous avions une fenêtre ouverte pour la nourriture, nous avons entendu un cri : l’homme s’est pendu. Ce qui m’a le plus choqué, ce n’est pas sa mort en soi mais le fait que son corps a été sorti sur les mêmes chariots que ceux qui nous été destinés pour la distribution de la nourriture», a-t-il raconté.
«Transfert dans un wagon Stolypine»: Nous étions entassés dans un wagon pendant 28 heures avant d’arriver à la colonie de Kirov. Un autre train avec des prisonniers est arrivé avant nous. C’était des prisonniers qui avaient déjà été condamnés à plusieurs reprises pour des crimes graves. Les gardiens les ont traités comme s’ils n’étaient pas des êtres humains mais je ne sais pas qui ils étaient. Tout cela se passait sous nos yeux, c’était une sorte de pression psychologique. Mais j’ai surtout été choqué par leur physique. Ils ne ressemblaient même pas à des êtres vivants : Pâles avec les yeux remplis d’une telle horreur que j’ai vite compris dans quelles conditions ils avaient été amenés à vivre. Même si je ne savais pas ce qu’ils avaient fait pour être condamnés.