L’article originale est publié sur le site Carnets d’Ukraine
Dans le centre de Kiev, le restaurant « Veterano Pizza », ouvert par deux vétérans de guerre, emploie d’anciens combattants. Leur objectif, les aider à se réadapter à la vie civile.
Crédit: Jeanne Bulant
Un fusil d’assaut comme décoration murale et des munitions comme set de table. Chez Veterano Pizza, la pizzeria des vétérans, les armes ne rebutent pas les clients. Elles sont même indissociables du lieu. Pour un dimanche soir, le petit restaurant situé à deux pas de Maïdan est noir de monde.
Des couples, des familles avec enfants mais aussi des groupes d’amis dégustent leurs plats dans une atmosphère chaleureuse tandis que les serveurs s’activent en cuisine. Au fond de la salle, des jeunes rient aux éclats. Certains, vêtus d’un treillis militaire et le crâne rasé, reviennent tout juste de la ligne de front. Sur le sweatshirt noir de l’un d’eux, on devine un casque militaire et une Kalachnikov. Miroslav, Yuri et Oleg sont des fidèles du lieu:
« C’est de loin la meilleure pizzeria de la ville, c’est devenu un lieu culte car ici, tout est à moitié prix pour les anciens militaires! «
En ouvrant la pizzeria fin 2015, son propriétaire, Leonid Ostaltzev, souhaitait avant tout créer un lieu de rencontres pour les combattants revenus du front de l’est. Vétéran de guerre lui-même, le gaillard de 29 ans a connu les pénibles heures du retour au train-train quotidien… D’autant qu’aucun véritable soutien psychologique n’est prévu par l’État ukrainien pour les militaires.
Crédit: Jeanne Bulant
En cuisine cohabitent d’anciens combattants et des employés « lambdas ». Chaque semaine, deux psychologues viennent prendre le pouls des troupes. Sur l’avant-bras du pizzaïolo, trois mots sont tatoués en grosses lettres noires: « liberté ou mort« . Il s’appelle Yevgen Fetisov et a passé un an dans le 12e bataillon d’infanterie motorisé. Lorsque sa femme est tombée enceinte, ce menuisier de 33 ans est revenu à Kiev. Mais il n’a pu reprendre son emploi, car il ne parvenait plus à travailler avec ses anciens collègues qui n’avaient pas fait la guerre. Le décalage était trop grand.
« C’est comme si une deuxième vie avait commencé à mon retour. Avant mon arrivée chez Veterano Pizza il y a quatre mois, j’étais réduit au silence. Je me sentais inutile et j’avais l’impression que personne ne me comprenait. Tout le monde me posait des questions absurdes. Et puis, les gens qui n’ont pas vécu la guerre voient les soldats comme des cinglés. »
Tablier attaché à la taille et casquette vissée sur la tête, Yevgen confie que ce travail l’a aidé à se réinsérer socialement. Entre deux pizzas, le père de famille à la barbe blonde raconte, la larme au coin de l’oeil, à quel point intégrer l’équipe lui a permis de dominer sa haine et sa frustration.
Yeugen Fzetisov, Cuisinier à Veterano Pizza depuis quatre mois. Crédit: Jeanne Bulant
Mais si les employés prétendent tous se plaire à la pizzeria, aucun d’entre eux n’a vocation à rester:
« Il n’est pas question que nos employés restent ici toute leur vie, affirme le propriétaire, Leonid Ostaltzev, Ici, ils réapprennent à avoir confiance en eux. On leur prouve qu’ils sont capables de faire des choses bien. Car ces jeunes ont du potentiel, la guerre le leur a simplement fait oublier. «
Le patron exige de ses salariés qu’il fassent des plans sur le long-terme et voient plus loin que ce gagne-pain. Il travaille avec chacun d’entre eux sur un « business plan », de telle sorte qu’ils puissent créer leur propre affaire par la suite. Deux anciens ont ainsi déjà ouvert des coffee shops à Kiev ces derniers mois. Régulièrement, les vétérans organisent des ateliers au cours desquels ils enseignent aux enfants ayant perdu leur père au combat à faire des pizzas… et ainsi, peut-être, à faire perdurer cette fraternité.
Crédit: Jeanne Bulant
Par Jeanne Bulant