Pour la plupart des Ukrainiens, les statues de Lénine ne représentent pas les objets de l’héritage historique, mais les symboles menaçants d’insécurité.

Les Ukrainiens souhaitent se débarrasser de Lénine. Pour les Ukrainiens, de nombreuses statues à l’égérie du leader communiste sont le symbole des liens avec leur passé communiste. Les Ukrainiens font leurs adieux à ce passé qui représente le contrôle total de l’État sur l’individu et le manque de libertés fondamentales. Ils font leurs adieux au système soviétique. Système qui a organisé l’un  des plus graves crimes contre l’humanité du 20e siècle : une famine artificielle qui a causé la mort de 4 à 10 millions d’Ukrainiens entre  1932 et 1933.

Les régions où  les statues restent où sont restées jusqu’au dernier moment en place sont les régions de l’Est, où Lénine représente toujours  le  symbole d’un État rêvé où l’on bénéficiait d’une forme de sécurité en échange de l’abandon de sa liberté, d’un État qui fait tout, qui est la source de toute information, d’un État paternel où il n’y a aucune place pour la décision individuelle. Un État qui décide à la place des individus. C’est pour cette raison que la démolition des statues de  Lénine dans l’est de l’Ukraine à Kharkiv est un signe de changement dans l’esprit de la population locale qui indique l’éveil de l’initiative et  l’émergence de la société civile.  Cela représente aussi le désir de prendre des décisions et de ne pas attendre tout de l’Etat en même temps qu’une manière d’assumer ses  responsabilités. Là, ou il n’y a plus de Lénine, l’espace d’idéologie communiste et de l’impérialisme russe disparait.

Par contre, en Russie il existe  d’autres processus. On trouve encore  beaucoup de nostalgiques de la  période soviétique. Le Kremlin profite de cette nostalgie de manière officielle : Staline a été réhabilité comme un grand gestionnaire. Il y a eu de nouveau une majorité de gens le considérant comme un grand homme d’état. Le modèle totalitaire et la base idéologique du pouvoir de Moscou semble redevenir  un modèle pour l’avenir. Lénine est aussi considèré comme un symbole « de la puissance » impérialiste de la Russie.

Ce modèle Soviétique est la base du lien idéologique avec Moscou. L’intervention russe actuelle fait partie de cette idéologie. Poutine présente la chute de l’URSS comme une catastrophe géopolitique, et le passé étant meilleur que le présent. Or, les statues de Lénine représentent pour l’Ukraine un symbole d’insécurité. Pendant la « Révolution d’Honneur » (« Maidan »), on a nommé la démolition massive de ces statues « Léninopad », (« Léninochute »). Cette « Léninochute » au-delà de laquelle  le retour à l’Union Soviétique n’est plus possible. Ainsi, en faisant tomber Lénine, les Ukrainiens s’empressent de rompre ce lien qui n’est pas uniquement le lien avec le passé soviétique  mais aussi avec la Russie moderne qui, aux yeux des Ukrainiens,  n’est plus une source de la menace militaire imaginaire  mais bien réelle.

Après le début de l’agression russe à l’Est de l’Ukraine, le danger a pris une forme concrète. Par conséquent, il est tout à fait possible de comprendre  l’envie des Ukrainiens de se dissocier et de créer une «frontière», même à un niveau symbolique, entre l’Ukraine et la Russie.  Cette même Ukraine se battant  entre autres pour une adhésion à l’Union Européenne en opposition à une Russie qui semble renouer avec son passé totalitaire.

En tant que ministre de l’Éducation de l’Ukraine, je comprends que nous ne pouvons pas élever une nouvelle génération d’Ukrainiens dans l’esprit du droit et des libertés européennes, ainsi que dans l’esprit du respect de l’individu et des droits de l’homme si, dans le même temps, les enfants voient dans les rues de leurs villes et villages les monuments a l’honneur du créateur du système qui a piétiné violemment ces droits . En faisant ce choix de civilisation pour l’avenir européen, les Ukrainiens font leurs adieux au passé soviétique.

Peut-être, pour l’observateur occidental, le renversement des statues de Lénine semblerait inepte. Je suis d’accord avec cela, il ne faut pas s’y habituer. Mais cela est une mesure forcée, temporaire et il faut le faire. La machine d’État est trop bureaucratique et trop lente pour réagir rapidement aux demandes de la société qui veut être purifiée du passé totalitaire. Les Ukrainiens font eux-mêmes ce que l’État aurait dû faire il y a bien longtemps.

Ce sont des adieux purement symboliques. Malgré le rejet de l’idéologie soviétique, en Ukraine, il n’y a pas de persécution des communistes pour leurs points de vue, tout comme il n’y a pas d’agression envers les Russes ethniques ou les Ukrainiens russophones. La nation ukrainienne est très tolérante.

Les arguments sur la valeur artistique présumée des monuments, ou encore  les tentatives de protéger les monuments, car soi-disant, ils « font partie du passé historique » ne sont pas valables. Il est difficile d’imaginer qu’en Allemagne, on protège des artefacts liés à l’héritage de Hitler sous prétexte que cela « fait partie du passé historique ».

La chute de Lénine à Kharkiv, la plus grande ville dans l’Est industriel de l’Ukraine, a une signification très symbolique : c’est le Rubicon de Kharkiv Rubicon, c’est le point de non-retour, qui établit une fois pour toute le statut de Kharkiv en tant qu’une ville ukrainienne et européenne et non en tant qu’un simple ville post soviétique.