Petro Porochenko: «Nous devons, à l’est de l’Ukraine, reconquérir les esprits et les cœurs!»

Par Renaud Girard Publié le 27/06/2014 à 19:35

Vingt jours après sa prise de pouvoir, le président ukrainien, Petro Porochenko, a signé vendredi le volet économique d’un accord d’association historique avec l’Union européenne. Le nouvel homme fort de Kiev, qui hérite d’une Ukraine aux multiples crises, compte sur l’Europe pour aider à pacifier l’est du pays. À l’issue d’entretiens qui se sont considérablement prolongés avec les chefs d’État et de gouvernement de l’UE, le président ukrainien est arrivé tendu à son rendez-vous avec Le Figaro, le WSJ, le FT, le Guardian et le Spiegel, dans une salle sans fenêtre du siège du Conseil des ministres de l’Europe. Après s’être excusé de son retard dans son anglais parfait, il est entré immédiatement dans le vif du sujet… Le nouveau président ukrainien se dit conscient que la solution au conflit avec les séparatistes prorusses ne peut être purement militaire.

LE FIGARO. – Sur quoi ont porté vos discussions à huis clos avec les 28 chefs d’État et de gouvernement du Conseil européen ?

Petro POROCHENKO. – Nous avions beaucoup de sujets à aborder outre le traité d’association de l’Ukraine avec l’Union européenne que j’étais venu signer ici à Bruxelles. Quelle politique énergétique pour l’Ukraine et l’Europe dans le futur ? Comment l’Union peut-elle aider l’Ukraine à reconstruire son économie, à mettre en place un État de droit, à combattre la corruption ? Mais le principal sujet que j’ai abordé avec mes homologues de l’UE, c’est la situation sécuritaire dans l’est du pays. Au mo-ment même où je leur parlais, cinq soldats ukrai-niens étaient encore tués (par des militants sépara-tistes prorusses, NDLR). Pourtant, depuis le 20 juin, nous avions déclaré unilatéralement un cessez-le-feu d’une semaine. Il est possible que, après consul-tation de mon Conseil national de sécurité, je le re-conduise jusqu’au lundi 30 juin à minuit. Car le Conseil de l’UE vient de décider qu’il procédera ce lundi 30 à un examen de la situation sécuritaire dans l’est de l’Ukraine.

Que vous a promis de faire concrètement le Conseil ?

Il regardera si, sous l’égide de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, dont la Russie est membre, NDLR), un mécanisme de véri-fication a bien été mis en place, pour contrôler la réalité du cessez-le-feu et le respect des frontières internationales. Le Conseil européen s’assurera aussi que les trois postes-frontière qui ont été sous-traits à l’autorité de l’Ukraine lui ont bien été ren-dus. Il s’assurera que tous les otages – y compris les observateurs de l’OSCE – ont été libérés. Il vérifiera que de substantielles négociations ont été lancées pour pouvoir commencer l’exécution du plan de paix que j’ai proposé. J’ai beaucoup apprécié de sentir que l’ensemble du Conseil européen était derrière l’Ukraine, et qu’il était unanime pour sou-tenir mon plan de paix et l’intégrité territoriale de mon pays.

Si les choses ne s’améliorent pas d’ici au lundi 30 juin minuit, comptez-vous demander au Conseil de prendre un nouveau train de sanctions contre la Russie ?

Je ne me permettrais pas de m’ingérer dans les af-faires du Conseil européen. C’est une décision qui lui incombe souverainement. La seule chose que je peux dire est que nous nous trouvons dans une si-tuation très difficile. Que cherchons-nous ? Simplement à moderniser notre pays, et introduire chez nous la liberté, la démocratie, l’État de droit, les valeurs européennes. Et il y a une puissance qui n’aime pas cela, et qui nous attaque à cause de cela !

Pensez-vous que le vote de la Rada, le Parlement de Kiev, le 23 février 2014, pour abolir le statut du russe comme seconde langue officielle dans les régions orientales de l’Ukraine a été une erreur ?

Oui, je l’ai toujours dit. Pendant ma campagne électorale pour la présidence de l’Ukraine, j’ai dit que jamais je ne pourrai promulguer une loi pareille. J’espère que plus jamais dans notre histoire une question de langue ou de culture viendra met-tre en danger l’unité nationale.

Que vous a dit le président russe, Vladimir Poutine, lorsque vous l’avez rencontré en Normandie le 6 juin dernier, dans le cadre des célébrations de l’anniversaire du Débarquement ?

Cet entretien – auquel assistèrent le président Hollande et la chancelière Merkel – a représenté une formidable occasion de paix. Malheureusement rien de concret n’a été fait du côté russe postérieu-rement, à part ce nouveau vote de la Douma, solli-cité par le président Poutine, qui annule la loi de mars lui donnant le droit d’utiliser l’armée russe pour envahir l’Ukraine.

Croyez-vous vraiment que les militants séparatistes armés de Louhansk et de Donetsk soient sous le contrôle direct de Moscou ?

Figurez-vous que, profitant du cessez-le-feu que j’ai décrété unilatéralement, des tanks ont franchi la frontière en provenance de Russie ! Comment croire qu’un tel mouvement puisse se faire sans l’accord du Kremlin ? Les agitateurs séparatistes sont des ci-toyens russes, qui s’arment en Russie, et qui brandis-sent le drapeau russe sur notre territoire. Que la Russie les retire ! Qu’elle cesse de s’ingérer dans nos affaires intérieures !

Quelle est votre stratégie pour reprendre les régions du bassin du Don passées aux mains des séparatistes ?

Nous comprenons parfaitement que nous ne rega-gnerons jamais ces régions par la voie militaire. Nous devons reconquérir là-bas les esprits et les cœurs. Nous n’avons strictement rien contre l’usage du rus-se comme langue officielle. Nous sommes prêts à une décentralisation poussée. Nous sommes prêts à payer sur fonds d’État toutes les réparations d’immeubles endommagés pendant ce conflit. Nous sommes prêts à rénover immédiatement les infrastructures (routes, électricité, eau) des régions orientales et à investir dans les sites industriels. Nous utiliserons pour cela les financements promis par l’UE et les États-Unis. Il est vital que nos industries repartent, afin qu’on puisse relancer l’emploi des jeunes. Mais on ne peut pas faire tout cela quand on nous impose un état de guerre ! Nous avons 180 personnes qui sont otages ! Il nous faut une zone-tampon de 10 km à la frontière. Il faut que cesse en Russie le travail des agents recru-teurs qui nous envoient des soldats de fortune origi-naires de l’ex-espace soviétique !

Quelle est la proportion de votre territoire qui vous échappe ?

13 %. La situation est incroyable. Sur 87 % du territoire ukrainien, la vie est tout à fait normale. Mais sur 13 %, vous avez des bandes armées qui rôdent ; aucune usine, aucune banque ne fonctionne ; les citoyens sont paralysés par la peur.

Que proposez-vous de concret aux rebelles, avec qui vous avez accepté de parler, par l’intermédiaire de l’ancien président Koutchma ?

Je suis prêt à aménager des corridors pour que les sé-paratistes qui souhaitent retourner en Russie puis-sent le faire sans danger. Je suis prêt à proclamer une amnistie générale. Mais je ne le ferai pas tant qu’on me tuera mes soldats. Le cessez-le-feu que j’ai proclamé unilatéralement ne pourra durer éternellement ! Je ne peux pas bloquer mon armée, alors même que les terroristes importent du matériel de guerre de Russie !

Que pensez-vous de la politique étrangère russe ?

Elle me semble manquer de pragmatisme. Elle est très émotionnelle. Un jour le Kremlin vous annon-ce des mesures pour bâtir la confiance réciproque, le lendemain on tire sur nos avions avec des missi-les sol-air fabriqués en Russie ! Nous, les dirigeants du monde démocratique, nous devons tous tra-vailler à faire en sorte que la Russie ait une politique moins imprévisible, moins erratique. C’est l’inté-rêt de l’Ukraine, mais c’est aussi celui de la planète entière !

http://www.lefigaro.fr/international/2014/06/27/01003-20140627ARTFIG00358-petro-porochenko-nous-devons-a-l-est-de-l-ukraine-reconquerir-les-esprits-et-les-coeurs.php