L’Ukraine mérite toute sa place au 70e anniversaire du Débarquement

GALIA ACKERMAN SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DU FORUM EUROPÉEN POUR L’UKRAINE, IRYNA DMYTRYCHYN MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L’INALCO, PHILIPPE DE LARA MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L’UNIVERSITÉ PANTHÉON ASSAS ET NATHALIE PASTERNAK PRÉSIDENTE DU COMITÉ REPRÉSENTATIF DE LA COMMUNAUTÉ UKRAINIENNE EN FRANCE (CRCUF)

De nombreuses voix se sont exprimées pour demander que le chef de l’Etat ukrainien soit invité aux cérémonies commémorant le Débarquement des troupes alliées le 6 juin 1944 en Normandie. Désormais, c’est chose faite, avec l’invitation lancée mercredi par François Hollande à Petro Porochenko. Cette commémoration a une importance particulière cette année parce que c’est le 70e anniversaire du Débarquement. C’est aussi une année spéciale pour l’Ukraine, indépendante depuis vingt-trois ans, et qui lutte aujourd’hui pour réaliser pleinement cette indépendance et se libérer des vestiges du passé soviétique.

L’Ukraine est un des protagonistes majeurs de la guerre contre l’Allemagne nazie, et il est naturel de l’inviter à cette commémoration où sont présents tous les pays alliés contre l’Axe. D’autant plus que des Ukrainiens ont participé directement au Débarquement : il y avait 10 000 soldats ukrainiens sous l’uniforme canadien, 84 d’entre eux sont enterrés dans un cimetière de Normandie à Cintheaux.

Dans les raisons d’inviter l’Ukraine, il y a d’abord le nombre élevé de soldats ukrainiens qui sont tombés ou qui se sont distingués dans la lutte contre le nazisme. Les pertes militaires ukrainiennes dans les combats contre la Wehrmacht furent plus élevées que celles des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France réunies. Mais ce n’est pas tout. L’Ukraine a connu une terrible saignée, entre 16% et 19% de sa population totale. Un pourcentage qui n’est dépassé que par la Biélorussie (25%), et qui s’élève à 12,7% pour la Russie. Depuis la fin de la guerre, la recherche historique et la conscience mémorielle ont progressé. Les chiffres sont désormais plus précis, et les différentes catégories de victimes, selon la nationalité, le statut (combattants, prisonniers de guerre, civils), les conditions de la mort (massacres collectifs, exécutions individuelles, famine provoquée, maladie, etc.) sont distinguées avec plus de rigueur et de respect qu’à l’époque où l’on avait tendance à confondre, par ignorance ou pour d’autres raisons, toutes les victimes d’un conflit qui fut, à l’Est, d’une violence sans équivalent : oubliant les nationalités des soldats, oubliant les victimes civiles, les villages rasés, oubliant le sort unique des Juifs d’Europe, voués à l’extermination jusqu’au dernier, oubliant le sort des prisonniers de guerre de l’Armée rouge, 3 millions qui périrent de faim et de maladie dans les camps nazis. Or, dans chacune de ces catégories, le nombre des Ukrainiens est immense, terrifiant, et ce nombre à lui seul impose une reconnaissance spécifique de la place de l’Ukraine dans cette guerre. Suivant les calculs des historiens, près de 7 millions d’Ukrainiens ont été tués pendant la guerre. Il y avait parmi eux 1 650 000 combattants de l’Armée rouge, et plus de 5 millions de civils, dont plus de 1 million de prisonniers de guerre et 1,5 million de Juifs. Ces soldats et officiers ukrainiens qui ont payé un lourd tribut au nom de la victoire sur les nazis, ainsi que des millions de civils, hommes, femmes et enfants, massacrés ou affamés parce qu’ils étaient pour les nazis des Untermenschen ; exterminés parce que Juifs ; exécutés parce qu’ils avaient caché leurs voisins juifs ou parce que leur village abritait des partisans, tous ces morts doivent être présents dans notre mémoire collective, d’où le besoin moral d’associer l’Ukraine à la commémoration du 6 juin.

Les peuples d’Europe centrale et orientale ont subi dans la douleur des approximations et omissions, longtemps tolérées par les occidentaux, mais qu’il est devenu impossible d’accepter de bonne foi. Au contraire, à l’heure où les derniers témoins et protagonistes de la guerre sont en train de disparaître, les nouvelles générations ont un devoir accru de vérité et d’exactitude, qui n’est pas seulement celui des intellectuels et des éducateurs, mais de tous les citoyens. Inviter l’Ukraine aux cérémonies anniversaires du Débarquement n’est pas seulement un hommage aux héros, aux martyrs, et aux survivants de la Seconde Guerre mondiale, c’est un devoir à l’égard de la vérité, que nous devons aux vivants, à nos enfants. C’est pourquoi il importe que l’Ukraine soit présente à ces cérémonies, que nos concitoyens sachent ce qui s’est passé sur le sol ukrainien, et aussi ce qu’ont accompli des Ukrainiens sur d’autres théâtres d’opération, y compris lors du Débarquement.

Galia ACKERMAN Secrétaire générale du Forum européen pour l’Ukraine, Iryna DMYTRYCHYN Maître de conférences à l’Inalco, Philippe de LARA Maître de conférences à l’université Panthéon Assas et Nathalie PASTERNAK Présidente du Comité représentatif de la communauté ukrainienne en France (CRCUF)

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