Julian Röpcke, redacteur de Bild et auteur d’une enquête exclusive sur le financement des «républiques populaires» par la Russie s’exprime sur les amis allemands de Poutine

Combien d’argent la Russie dépense-t-elle pour le soutien financier des soi-disant Républiques populaires de Donetsk et Louhansk? Pourquoi certains politiciens allemands soutiennent-ils les séparatistes et invitent-ils le commandant du bataillon «Fantôme» pour une conférence et faut-il s’attendre à un troisième tour des Accords de Minsk? La chaîne Hromadske s’entretient de ces sujets avec Julian Röpcke, le rédacteur de Bild, auteur d’une enquête exclusive sur le financement des «républiques populaires» par la Russie.

Bienvenue sur Hromadske. Ma première question :   Vous venez de publier dans Bild votre enquête sur le financement des «républiques populaires de Donetsk et Louhansk» par la Russie.  Quelles sont les principales conclusions de cette enquête?

Avant Nöel, nous sommes allés avec mon équipe à l’est de l’Ukraine dans les territoires non-occupés du Donbass. Nous avons discuté avec plusieurs personnes qui vivaient dans les territoires occupés et avec d’autres qui les avaient quittés au cours des 6 derniers mois. Nous avons appris des choses intéressantes. Au cours de la période allant d’avril 2014 à avril 2015, la Russie a payé tous les frais sociaux dont un pays a besoin : les tarifs des services publics, les salaires des enseignants, des médecins, des ingénieurs et certainement, des prestations sociales.

Selon les résultats de votre enquête, quelle  somme la Russie dépense-t-elle par an pour soutenir ces «républiques»?

C’est à préciser. Nous savons combien de personnes ont besoin d’argent, car les autorités de ces «républiques» ont publié les chiffres suivants : il y a au total 170 8791 ingénieurs, dont chacun gagne 2248 roubles par mois, soit 28 euros. Nous avons étudié minutieusement chaque domaine: les frais sociaux, les créations de nouveaux emplois, les prestations sociales, les salaires des militaires. Nous avons calculé que la Russie dépense chaque mois 79,1 millions d’euros rien que pour les salaires et les frais sociaux, ce qui donne environ 1 milliard d’euros par an.

Un autre sujet très intéressant pour nous, c’est le  scandale récent autour d’un parti allemand de gauche Die Linke, qui a invité le commandant du bataillon «Fantôme» à un entretien via Skype. Comment pouvez-vous commenter cet événement et le scandale qu’il a provoqué?

Je ne vais pas faire de commentaires en mon nom propre, mais je peux vous dire que mon collègue Peter Tiede, qui était présent à la conférence, a publié un article à ce propos. Deux membres importants de ce parti, Oskar Lafontaine et Sahra Wagenknecht, étaient également présents. Markov, le commandant du bataillon, a déclaré qu’ils mènent une guerre contre les soldats ukrainiens, qui, à son avis, sont des fascistes.  Alors les organisateurs de cette conférence l’ont applaudi et lui ont souhaité le succès dans ce combat «contre les fascistes». Quand Peter Tiede a fait la remarque que Markov était sur la liste des personnes sanctionnées par l’Union Européenne depuis 2014 et qu’il ne pouvait donc pas être sponsorisé par des citoyens européens, un des organisateurs de cette conférence, journaliste du Junge Welt, journal allemand de gauche, lui a répondu : «Nous nous moquons qu’il soit sur cette liste, car cette liste a été faite par des personnes qui commettent quotidiennement des actes terroristes d’État ».  Il parlait des gouvernements européens.

Parlons d’une manière plus générale du système des partis politiques allemands qui soutiennent Poutine. Que pouvez-vous  dire sur le réseau pro-russe qui existe en Allemagne?

Officiellement, il n’existe  pas de réseaux pro-russes dans les partis politiques allemands. Cependant, il y a des partis favorables à la Russie qui mènent une politique soft envers la Russie. Il y a aussi Die Linke, un parti de gauche, qui soutient ouvertement la Russie. Pourtant, les membres du gouvernement allemand ont des opinions différentes à l’égard de la mise en œuvre des sanctions. Car la Russie ne remplit pas les Accords de Minsk. Certains citoyens allemands partagent la même opinion qu’Angela Merkel : ils estiment que les sanctions ne peuvent être levées qu’après la  réalisation complète des Accords. Mais d’autres, notamment, les membres du Parti social-démocrate, sont plus bienveillants envers la Russie. Ils pensent que les sanctions peuvent être levées avant la réalisation des Accords.

Comment Die Linke explique-t-il son soutien à la Russie?

Je ne peux pas m’exprimer pour chaque politicien. Beaucoup de membres de Die Linke ont répété les déclarations russes selon lesquelles en Ukraine les Russes se battent contre des nazis et des fascistes.

Je pense que tout le monde comprend que c’est faux. Pourtant cet argument a fait le tour du monde avec Vladimir Poutine. Certains partis européens y compris en Allemagne soutiennent Poutine en raison de sa rhétorique antifasciste.

L’opinion publique en Allemagne est-elle influencée par ce parti de gauche? Leurs arguments sont-ils importants pour la société? Ce parti est-il populaire en Allemagne?

Je n’ai pas grand chose à dire au sujet de Die Linke, je ne connais pas les pensées de leurs électeurs. Je sais seulement que plusieurs d’entre eux sont pro-russes, ils sont originaires d’Allemagne de l’est. C’est là que se trouve leur port d’attache et certains d’entre eux étaient des agents du ministère de la Sécurité d’État d’Allemagne qui, en fait, était le Service de renseignement. Mais je peux vous dire que les agences de propagande russe, notamment RussiaToday, n’ont pas le soutien voulu en Allemagne. RussiaToday n’a que 11 000 followers sur le Twitter allemand, ce qu’on ne peut pas comparer avec le nombre de followers sur le Twitter anglophone. Donc, je suppose que la société allemande n’est pas vraiment influencée par la propagande russe et ce qu’elle veut nous imposer.

Ma dernière question concerne les Accords de Minsk. Pouvez-vous commenter la dernière interview de Poutine dans laquelle il déclare que c’est l’Ukraine qui ne remplit pas les Accords de Minsk. Qu’en disent les médias allemands?

Je ne crois pas que les médias allemands en aient beaucoup parlé. Poutine a parlé du paragraphe №11 qui est le dernier paragraphe des Accords. Il a déclaré que la réforme constitutionnelle prévue par ce paragraphe est la partie la plus importante des Accords. Pourtant, j’ai discuté avec plusieurs diplomates et on sait que, malheureusement, il n’y a pas d’ordre dans lesquels les paragraphes doivent être exécutés. Pourtant, le premier paragraphe prévoit un cessez-le-feu complet, ce qui n’est pas réalisé. Nous savons que rien qu’hier, 6 militaires ukrainiens ont été blessés dans cette guerre qui dure toujours. Je pense que si le premier paragraphe n’a pas été réalisé à cause de l’armée russe qui combat toujours, alors Poutine ne peut pas exiger que l’Ukraine remplisse le dernier, le 11ème  paragraphe des Accords.

Je vous remercie pour cet entretien très intéressant.