L’année décisive. Trois scénarios de fin de guerre

Document basé sur l’article de Piotr Shouklinov, publié sur Ligabisnessinform

http://news.liga.net/articles/politics/8695750-reshayushchiy_god_tri_stsenariya_okonchaniya_voyny_kremlya_protiv_ukrainy.htm

La guerre entre l’Ukraine et la Russie pourrait se terminer cette année. Des projets ambitieux sont étroitement liés aux  Accords de Minsk et aux négociations entre Washington et Moscou.  Les démarches principales de Kiev consistent à déployer tous les efforts pour parvenir à prolonger les sanctions. Pour le moment, l’Ukraine, par sa stratégie, est parvenu à un résultat positif en obtenant l’association de la non-réalisation des Accords de Minsk et l’arrêt des relations économiques entre l’Union Européenne et la Russie. Mais les règlements de comptes dans le monde politique ukrainien compliquent de plus en plus ce combat.

Avant la fin de cette année, l’Ukraine doit réaliser au moins une partie du «scénario positif », qui prévoie le déroulement du même processus qu’en 1991, lorsque le Kremlin, affaibli économiquement et politiquement, a entraîné la Russie entière vers l’abîme. Le «mauvais scénario» conduit à la désintégration de l’État ukrainien. Le troisième scénario possible permettra de retarder la menace russe, mais ne résoudra pas le problème.

Ces trois scénarios pour l’Ukraine ont émergé après de nombreux entretiens de l’édition LIGA.net avec des hommes politiques, des diplomates, et des participants aux négociations internationales.

La théorie

L’affrontement russo-ukrainien se déroule sur trois niveaux : militaire, politique et économique. Les armes que l’Ukraine peut utiliser dans ce combat sont les alliés, les sanctions, les réformes et la lutte contre la corruption. Les méthodes utilisées par Moscou sont l’interdiction d’exportation des produits ukrainiens, la pression économique et les provocations médiatiques. L’Ukraine a su obtenir la prolongation des sanctions contre la Russie.  Les réformes ne sont réalisées qu’en partie : la nouvelle police, les achats d’État, le secteur militaire, la diminution de la dépendance énergétique. Les diplomates européens misent sur la zone de libre-échange et l’association Ukraine-Union Européenne.

– Le domaine militaire. Le scénario de force dans le Donbass est impossible. L’Ukraine ne pourrait pas effectuer cette tâche seule. Quant à la Russie, elle souhaite que l’Occident lève ou affaiblisse les sanctions. L’Ukraine a réussi à gagner du temps pour reconstruire son armée, réparer et acheter le matériel, coordonner les unités.

–  Le domaine politique. La défense des intérêts ukrainiens grâce aux Accords de Minsk est un projet plus ou moins réaliste. Mais l’intervention des forces armées russes et la reprise du contrôle de la frontière exigent une consolidation interne de l’Ukraine.  Malheureusement, cela n’est pas gagné. En grande partie, à cause des autorités ukrainiennes qui ne souhaitent pas combattre la corruption et continuent à s’affronter pour l’argent. Les opposants politiques ne semblent pas non plus constituer une élite. Dans ces conditions, le succès n’est possible qu’avec une pression extérieure sur la coalition qui est au pouvoir.

Le domaine économique. C’est là que l’Ukraine a le plus de chances de réussir. La crise en Russie s’accroît et risque de provoquer un effondrement de l’économie. Économiquement, la Russie est  à la veille d’un infarctus. La baisse du prix du pétrole renvoie la Russie au XX siècle dernier, tout en portant préjudice à l’Ukraine. Kiev doit obtenir la prolongation des sanctions contre la Russie, mais aussi parallèlement améliorer son économie.

Le scénario positif.

L’Ukraine doit convaincre l’Union Européenne de prolonger les sanctions contre la Russie. Dans ce cas, si les prix du pétrole restent bas, les réserves monétaires russes s’épuiseront. Selon les estimations de Barack Obama, le président américain, les dommages causés par les sanctions ont fait perdre à la Russie environ 150 milliards de dollars. Selon les estimations des économistes internationaux, les pertes dues à la baisse de prix sur les matières premières atteignent 70 milliards de dollars par an. Au total, les pertes et les dépenses de la Russie atteignent 250-500 milliards de dollars. Si on compte la fuite des capitaux, le profit potentiel perdu suite aux sanctions, les dépenses de réserves, l’amortissement des entreprises publiques, l’entretien des terroristes dans le Donbass et l’entretien de la Crimée occupée, les prix du pétrole, la réduction de la fourniture de gaz, à la fin de l’année 2016 la somme des pertes de ces deux dernières années pourrait atteindre, selon diverses estimations, entre 500 milliards et 1 billion de dollars. Dans ces conditions, si la guerre ne cesse pas, les forces centrifuges au sein de la Fédération de Russie  pourraient être à l’origine de processus irréversibles. Actuellement, selon le sondage de Levada, 34% des sondés ont déclaré que le pays allait dans une impasse.  Seuls 45% soutiennent les choix actuels du pays.

Selon certaines informations , Moscou pourrait prochainement remplacer les chefs des séparatistes du Donbass par d’autres, moins odieux et moins corrompus. C’est une condition probablement imposée par l’Ukraine et transmise à Gryzlov, représentant de la Russie dans le groupe de contact. De toute façon, personne n’a l’intention de négocier avec les terroristes et d’organiser des élections dans le Donbass occupé avant la réalisation des Accords de Minsk par la Russie : notamment le désarmement des terroristes, le retrait de l’armée russe, la libération des otages, le cessez-le-feu total et l’accès libre de l’OSCE.

L’objectif de ce scénario est, pour la fin de l’année, le renforcement de l’Ukraine et l’affaiblissement de la Russie avec la perte de tous les leviers de pression.  L’Ukraine continuera les réformes, commencera la lutte contre la corruption, se rapprochera de l’OTAN et de l’UE. Les sanctions contre la Russie seront prolongées pour  six mois encore, ce qui conduira à l’effondrement définitif de l’économie russe et, probablement, du pouvoir. La guerre dans le Donbass deviendra un conflit gelé. Le retour de ces territoires n’est pas à l’ordre du jour, ainsi que le retour de la Crimée annexée. Ils feront l’objet d’une discussion ultérieure.

Le mauvais scénario

Ne plus être un «paria», obtenir la levée des sanctions, rétablir des relations diplomatiques et  commerciales normales, telles sont les priorités de Moscou. Pour l’économie russe le temps est compté. Dans les six prochains mois, le régime en Russie usera de tous les moyens militaires, politiques et économiques afin d’obtenir la levée des sanctions et de regagner l’accès aux crédits de l’Occident, à la technologie et aux investissements.

Ce «mauvais scénario» est stimulé par les conflits politiques internes en Ukraine. Le tandem Président- Premier ministre s’écroule et la coalition au Parlement est sur le point de s’effondrer. Si la situation s’aggrave, il faudrait réaliser des élections anticipées. Cela signifie qu’une fois encore, la tourmente électorale s’abattra sur l’Ukraine et bloquera les réformes.

L’Ukraine pourrait aussi perdre le soutien de l’Union Européenne, si Berlin et Paris voient que Kiev néglige les accords de Minsk ou s’embourbe dans des confrontations politiques internes.

Si ce «mauvais scénario» est réalisé, alors cet été la Russie se libérera d’une grande partie des sanctions et l’Ukraine restera seule pour régler ses problèmes. Cela conduira à de lourdes pertes. Aujourd’hui chaque obus tiré par la Russie sur l’armée ukrainienne lui coûte des milliards de dollars perdus en raison des sanctions. Si les sanctions sont levées, chaque obus ne coûtera que son prix. Donc, la Russie pourrait mettre plus d’argent dans la guerre contre l’Ukraine. Alors, la crise politique sera inévitable, elle conduira à de nouvelles conséquences imprévisibles, et des élections législatives et présidentielles anticipées en Ukraine.

Le scénario alternatif

«Lors de leur entretien à Kaliningrad, Victoria Nuland, secrétaire d’État-adjoint des Etats-Unis pour l’Europe et l’Eurasie, et Vladislav Sourkov, conseiller du président Poutine, ont discuté de la réalisation des Accords de Minsk : que peut faire la coalition occidentale avec l’Ukraine et que peut faire la Russie », dixit une source.

Washington continue  de donner des signaux à Moscou. John Kerry, Secrétaire d’État des États-Unis s’entretient une fois par semaine avec le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov. Le risque existe que Washington mette la guerre russo-ukrainienne dans le pack des compromis. Bien entendu, des compromis partiels, mais des compromis quand même, faits au détriment des intérêts ukrainiens. L’option inverse n’est pas exclue. Ils’agit des compromis sur l’État Islamique. L’intention des États-Unis de lancer une opération terrestre en Syrie et en Irak en témoigne. Ou plutôt, il a été prévu de confier cette opération à la Fédération de Russie. Maintenant Moscou critique les projets américains concernant cettecampagne. Les deux pays sont en compétition pour renforcer leur présence en Syrie.

Pour les négociations avec Washington, Moscou est actuellement en position défavorable : l’approche du rapport final sur le vol MH17 et d’autres crimes de guerre hybride de la Fédération russe en Ukraine, plusieurs procès internationaux de plusieurs milliards de dollars, des  accusations personnelles de  corruption et de meurtres sur contrat contre Poutine, l’absence absolue d’alliés et de soutien, la baisse des prix du pétrole et d’autres matières premières, les contrats perdus en Iran et en Asie, le désordre dans l’Union douanière, la nouvelle Route de la Soie en provenance de Chine et contournant la Russie, l’indépendance énergétique de l’Ukraine, de nouveaux circuits de distribution de l’énergie dans l’UE en provenance des pays en concurrence avec la Fédération de Russie, la rupture avec la Turquie, la fuite des capitaux étrangers de Russie, le dossier déposé à La Haye sur le nettoyage ethnique des Géorgiens en Ossétie du Sud en 2008.

Certains pays européens pourraient aider la Russie à obtenir une levée des sanctions, mais le Kremlin continue d’ignorer les Accords de Minsk. «L’UE voudrait lever les sanctions. Angela Merkel est accaparée par le problème des immigrés, elle a besoin d’un succès dans l’Est. François Hollande est sur le point de perdre sa campagne électorale».

«Moscou comprend que ses exigences ne seront pas prises en compte, mais continue de les avancer », a confié une source dans une délégation de Minsk.

L’Occident parle de la nécessité de régler la question des sanctions rapidement. Certains médias, notamment Bloomberg, prédisent le retour rapide de la Russie dans le grand jeu. Cependant, les représentants des autorités ukrainiennes expliquent qu’il était prévu que les sanctions soient levées une fois les Accords de Minsk réalisés.

Washington joue une partie à long terme et ne voit pas de raisons de presser l’Ukraine à réaliser les Accords de Minsk. Les États-Unis souhaitent voir des progrès en Ukraine avant fin 2016, afin que le parti démocrate renforce son candidat avant les élections présidentielles.

Autrement dit, chaque partie souhaite éteindre le conflit dans le Donbass avant la fin de l’année. Les alliés de l’Ukraine ne souhaitent vraiment ni le «bon scénario », ni le «mauvais». Car le scénario positif pour l’Ukraine veut dire que l’Europe et les États-Unis vont devoir résoudre le problème de l’effondrement de la Russie, et ceci est un problème bien trop difficile pour les leaders mondiaux.  Le «mauvais scénario » n’intéresse pas non plus les États-Unis, car cela signifie le renforcement de la Russie.  Mais on peut laisser la Russie sauver la face.

Pratique

Pour le moment, aucun paragraphe des Accords de Minsk n’a été rempli. Les tirs n’ont pas cessé, les armements restent près de la ligne de front, les otages restent dans les caves de l’armée russe, pas d’amnistie, pas de statut spécial, pas d’amendements dans la Constitution, pas d’élections, les séparatistes n’ont pas rendu les armes, l’armée russe reste en Ukraine. Les Accords de Minsk restent un papier virtuel que tout le monde a promis de respecter, mais la seule chose qu’on a réussie, c’est de diminuer l’intensification des combats. Alors, les sanctions économiques introduites contre la Russie pour son agression dans le Donbass, liées aux Accords de Minsk, restent très efficaces pour la deuxième année consécutive.