Ces Ukrainiens qui sont devenus les otages de Poutine. Première partie : la Jeanne d’Arc ukrainienne, les prisonniers Tatars, l’affaire des «espions», le faux militaire du bataillon volontaire

Selon les données du Service de Sécurité d’Ukraine, au minimum 21 citoyens ukrainiens sont illégalement détenus dans des prisons et cellules d’isolement russes. Ils furent enlevés soit dans les territoires occupés de l’Ukraine, notamment, en Crimée ou dans la zone du conflit dans le Donbass ou lors de leur déplacement en Russie. L’Ukraine Crisis Média Center a préparé un dossier sur quelques unes de ces personnes qui se retrouvent otages de la guerre hybride.

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La Jeanne d’Arc ukrainienne

L’otage politique, de loin la plus connue, est Nadia Savtchenko, pilote militaire ukrainienne, capturée par des séparatistes le 17 juin 2014 dans la région de Lougansk.  Elle est accusée d’avoir contribué au meurtre de deux journalistes russes, Igor Korneluk et Anton Volochyn, et en outre d’avoir franchi illégalement la frontière russe. La pilote ukrainienne insiste sur le fait qu’elle avait été transportée en Russie contre son gré, un sac sur la tête, accompagnée d’un convoi armé.

En automne 2014, Nadia Savtchenko, tout en restant en cellule d’isolement russe, présente sa candidature aux élections législatives en Ukraine et devient député du parti de Yulia Timochenko «Batkivtchina».  Plus tard, elle devient membre de la délégation permanente d’Ukraine auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, donc, normalement, elle jouit de l’immunité de député.

Malheureusement, cela n’est pas suffisant pour la libérer de prison. Alors, la communauté mondiale se mobilise pour sauver cette femme courageuse qui refuse obstinément de reconnaître sa culpabilité:  les journalistes russes ont été tués après la capture de Nadia.Pour protester contre cette arrestation injuste, Nadia Savtchenko entame une grève de faim  qui durera plusieurs mois, à certains moments, cette grève de la faim devient aussi grève de la soif. Les activistes du monde entier, ainsi que des leaders des États-Unis, de France, d’Allemagne, des députés européens, des ONG humanitaires…. Tout le monde demande à Vladimir Poutine d’intervenir pour libérer Nadia Savtchenko. Personne ne doute que tout ce tribunal dans l’affaire de Savtchenko n’est qu’un spectacle et que la pilote restera en prison, car cela est voulu par les autorités russes.

Probablement, ce soutien international a dû  jouer un mauvais tour à Nadia Savtchenko, car Vladimir Poutine, apparemment dérangé par cette notoriété inouïe de la jeune femme, refuse de lui rendre sa liberté. Cependant, les avocats de Nadia ont réuni toutes les preuves de son innocence.

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On parle beaucoup de la possibilité d’échanger Nadia Savtchenko contre des officiers russes Alexandre Alexandrov et Evgeniy Eroféev, capturés en mai 2015 et condamnés par le tribunal de Kiev à 14 ans de prison ferme pour avoir mené une guerre agressive, contribué à des actions militaires, transféré des armes et des munitions dans un secteur non contrôlé du territoire ukrainien, franchi illégalement la frontière ukrainienne et commis un acte terroriste qui a entraîné de graves conséquences, notamment la mort d’une personne. En effet, un soldat ukrainien Vadym Pougatchev a été tué lors d’un affrontement  entre les militaires ukrainiens et russes au cours duquel Alexandrov et Eroféev ont été capturés.

Un mois avant le verdict du tribunal ukrainien dans l’affaire des militaires russes, dont l’implication dans l’agression russe contre l’Ukraine a été prouvée, Nadia Savtchenko a été condamnée à 22 ans de prison. Et pourtant, l’accusation n’a trouvé aucune preuve valable contre elle dans l’affaire du meurtre des deux journalistes russes.

Le 25 mai 2016, Nadia Savtchenko a été libérée du prison russe et échangée contre Eroféev et Alexandrov.


Les prisonniers Tatars

Achtem Tchiygoz, adjoint du chef du Medjlis des Tatars de Crimée  est connu en Crimée pour sa lutte contre les entreprises illégales.  Après la démission de Moustafa Djemilev du poste du chef de Medjlis, Achtem Tchiygoz était considéré comme son successeur probable, mais il a préféré retirer sa candidature au profit de Refat Tchoubarov. Il devient l’adjoint de Tchoubarov au Medjlis. Le 26 février 2014, il organise une manifestation pacifique des Tatars de Crimée et des habitants pro-ukrainiens de Crimée. Les Tatars de Crimée ont participé à la manifestation pro-ukrainienne, ils sont venus nombreux avec des drapeaux tatars et ukrainiens. Cependant, ce jour-là sera marqué par deux manifestations simultanées : une manifestation des activistes pro-ukrainiens et celle des activistes pro-russes.  Plus tard, la bagarre a commencé entre les membres des deux camps. Deux personnes sont mortes.

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Dans le cadre de l’enquête de l’affaire du «26 février», Achtem Tchiygoz  a été arrêté en Crimée le 29 janvier 2015 et des activistes tatars ont subi de nombreuses représailles. Il est accusé d’avoir organisé et participé à des émeutes massives le 26 février. Pour la même affaire, la police de Crimée a arrêté Moustafa Degermendjy et Ali Asanov, deux activistes tatars.

L’ONG Amnesty International  a déclaré que l’arrestation d’Ahcten Tchiygoz faisait partie d’un certain nombre de représailles contre les Tatars de Crimée. L’adjoint de Refat Tchoubarov a déclaré lors d’une audience au tribunal : « Tout cela est un ordre des politiciens, des autorités. Il n’y a aucun système juridique indépendant en Russie car la Russie avance sur la voie de la terreur».

Actuellement, Achtem Tchiygoz reste inculpé dans une cellule d’isolement à Simferopol jusqu’au 22 juillet 2016, au minimum.  Après, c’est le tribunal qui décidera de son sort. Le Procureur de Crimée demande une peine de 15 ans de prison ferme pour Achtem Tchiygoz et de 8 ans pour Moustafa Degermendjy et Ali Asanov.


L’affaire des «espions ukrainiens»

En Crimée, les Ukrainiens et les Tatars sont pourchassés non seulement pour leur position pro-ukrainienne, mais aussi pour des affaires complétement absurdes, telle l’affaire d’espionnage dirigée contre Valentin Vygovsky, entrepreneur ukrainien de 32 ans. Il a été arrêté en septembre 2014 en Crimée et accusé en premier lieu, d’avoir commis des crimes économiques et ensuite, d’avoir espionné au profit de l’Ukraine. Selon l’accusation, il était «soupçonné de collecte et de stockage d’informations qui constituaient un secret commercial, un don et des informations constituant un secret d’État, afin de les transférer au représentant d’un État étranger». Cette accusation est vraiment très étrange, vu que Valentin Vygovsky est Ukrainien, donc il ne pouvait pas espionner au profit de l’Ukraine. S’il le faisait au profit d’un autre pays, il devrait être jugé par la Cour pénale ukrainienne, mais pas la Cour russe.

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L’affaire de Valentin ressemble beaucoup à l’affaire Mykola Karpiuk et Yuriy Solochenko, deux autres otages du Kremlin qui ont été attirés par ruse sur le territoire russe ou occupé par la Russie afin d’être capturés. Le père de Valentin témoigne du départ mystérieux de son fils pour la Crimée déjà annexée par la Russie, de sa disparition et des tortures qu’il a subies : «dans la prison russe, ils savent convaincre».

Valentin Vygovsky a été transporté à Moscou et jugé par la Cour pénale de Léfortovo qui l’a condamné à 11 ans de prison ferme.


La même Cour pénale à jugé Yuriy Solochenko, Ukrainien de 73 ans, retraité et ancien directeur de l’entreprise de défense «Znamya».  Depuis l’époque soviétique, cette entreprise produisait des tubes électroniques pour la défense aérienne.  Après la chute de l’URSS, l’entreprise a continué à travailler jusqu’en 2012 et des entreprises de défense russes ont été ses principaux acheteurs.

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En août 2014, l’ancien client de Yuriy Solochenko l’a invité à Moscou ou l’Ukrainien a été arrêté le 5 août. Les avocats et les proches de Yuriy supposent qu’il s’agissait d’un piège pour le faire venir en Russie. Le retraité est alors accusé d’espionnage et même «de vouloir transporter en Ukraine une arme secrète russe dans un camion».  Dans le cas de Valentin Vygovsky, on ne comprend pas comment le directeur de l’usine ukrainienne de Poltava, retraité depuis 2010, pouvait espionner au profit de son propre pays, mais l’absurdité de l’accusation n’a pas été prise en compte.

Le verdict est tombé, Yuriy Solochenko a été condamné à 6 ans de colonie.


Le faux militaire du bataillon Dnipro-1

En août 2015, Serhiy Lytvynov, originaire du village Komychne de la région de Lougansk a eu la mauvaise idée de partir voir un dentiste en Russie. Le 22 août, il a été arrêté par le Service de Sécurité russe dans le cabinet du médecin. Il est accusé d’avoir combattu dans les rangs du bataillon volontaire ukrainien Dnipro-1 et d’avoir commis des crimes de guerre : des vols, des tortures, des viols, soi-disant en obéissant aux ordres d’Arsen Avakov, ministre ukrainien de l’Intérieur; il aurait, notamment, tué 39 hommes, violé et tué 8 femmes, y compris une fille de 12 ans. Torturé en cellule d’isolement, Lytvynov a signé des aveux.

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Cependant, les habitants du village Komychne témoignent que Serhiy Lytvynov n’a jamais quitté son village pour s’engager. Il n’a même pas terminé ses études à l’école et gagnait sa vie comme berger. Ils expliquent aussi que Serhiy Lytvynov est un déficient mental et qu’il pouvait décrire aux enquêteurs sa participation à des combats imaginaires, mais il ne fallait pas prendre cela en compte. Selon l’avocat de Serhiy Lytvynov, il a subi une expertise lors de laquelle les médecins n’ont constaté chez lui aucune propension à commettre des violences d’ordre sexuel. D’ailleurs, ni les corps des victimes, ni les femmes «violées», ni les témoins de ces «crimes» n’ont été retrouvés.

Le commandement du bataillon Dnipro-1 a déclaré qu’aucun Serhiy Lytvynov ne s’était battu dans les rangs du bataillon. D’ailleurs, le bataillon Dnipro-1 n’a jamais participé aux combats dans la région de Lougansk. Il était dans la région de Donetsk.

En avril 2016, le tribunal de la région de Rostov en Russie a condamné Serhiy Lytvynov  à 8 ans et 6 mois de prison. Ses avocats ont l’intention de s’adresser à la Cour européenne de défense des droits de l’Homme.


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En examinant tous les dossiers des Ukrainiens jugés et condamnés par Moscou, nous pouvons constater qu’ils ont tous été littéralement kidnappés et transportés de force en Russie ou sur le territoire occupé par la Russie. Les droits de l’Homme et les normes juridiques internationales ont été grièvement violés lors de chaque procès. À titre d’exemple, Nadia Savtchenko était militaire de carrière au moment où elle a été capturée, donc même si elle avait commis des crimes de guerre, ce qui n’est pas le cas bien entendu, elle aurait dû être jugée par un tribunal militaire, mais pas par une cour pénale pour des civils et surtout pas en Russie qui ne reconnaît toujours pas sa participation dans le conflit en Ukraine. Dans tous les cas, les représentants ukrainiens (les consuls, les proches et les avocats) n’arrivaient que très difficilement à voir les prisonniers, de plus, les preuves sont falsifiées et les peines attribuées très excessives. Tout cela prouve une fois de plus que la Russie moderne ne renonce pas à utiliser des méthodes staliniennes pour intimider le monde et prouver sa puissance.

Malheureusement, la liste des otages de Poutine est longue, donc, nous n’avons pu citer que quelques affaires.  Dans la deuxième partie, nous suivrons les dossiers des «terroristes» de Crimée et des prisonniers du Caucase.