Chef de guerre. Interview avec Vasyl Grytsak, chef du Service de sécurité d’Ukraine

Vasyl Grytsak, chef du Service de sécurité d’Ukraine (SBU) a accordé sa première grande interview à l’édition ukrainienne LIGA pour parler de la guerre hybride, la spécificité du travail du SBU et les massacres de la place Maїdan.

L’Ukraine Crisis Média Center propose une version courte de cette interview.

Vous occupez ce poste depuis un an. De quoi êtes-vous fier?

Notre plus grand succès c’est que nous avons réussi à préserver l’intégrité de notre État après l’annexion de la Crimée, à bloquer l’armée russe dans la zone d’opération anti-terroriste et à ne pas laisser le terrorisme se propager sur d’autres régions de l’Ukraine. Cela en parlant de la guerre.

Les réformes. Nous avons créé un Service de sécurité capable de réagir aux défis. Notre défi principal est la Russie et non les terroristes du Donbass. Nous sommes en état de guerre avec la Russie. Elle gère tous les corps des terroristes, tous les processus sur les territoires occupés.

La consolidation.  Nous avons réussi à réunir les élites politiques au nom d’État. C’est très important, car l’objectif de la Russie était de partager notre société.

Ce sont des succès. Parlons des problèmes.

Les pertes. Malheureusement, depuis le temps que j’ai passé à ce poste, un de mes employés est mort. Le 9 décembre 2015. D’autres ont été blessés.

Malheureusement, nous n’avons pas réussi à purifier notre équipe. Nous nous sommes engagés sur la voie des réformes, nous avons envoyé un projet de réformes du Service au Conseil national de sécurité et de défense. Mais pour le moment nous n’avons que ce que nous avons.

En théorie, notre projet prévoit la reconstruction de notre Service selon les modèles des Services de sécurités des pays les plus importants du monde. Nous nous sommes mis sur le chemin d’une adhésion à l’Union européenne et atlantique, donc, la fonctionnalité de nos services doit ressembler à celle de nos homologues occidentaux. Nos partenaires nous aident.

Parlons d’échange de Nadia Savtchenko. Vous étiez le responsable de la coordination lors de l’échange. Avec qui avez-vous travaillé et quelle était la partie non-publique de ce processus?

J’essaie de faire très attention en commentant cet échange. Depuis 2014, avec mon collègue Yuriy Tandit, nous avons réalisé beaucoup d’échanges. Mais je n’ai jamais rien commenté. Cela ne signifie pas que je n’ai rien à dire. Tout simplement, quand tu vois des gars battus avec des tridents coupés sur leurs dos ou dont les articulations des doigts ont été écrasés par des pinces, que peux-tu dire?

En ce qui concerne l’échange de Savtchenko, c’est un travail collectif.  Personnellement, je n’ai contacté personne de l’autre côté de la frontière. Oui, nous avons géré cette opération. Nous l’avons réalisée de manière synchronisée, car il y’avait une menace que l’autre côté essaie de nous tromper. Mais cette opération a réussi. Dieu merci. Et le reste n’est pas important.

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Mais il y a tout de même des questions. Viktor Medevetchouk qui est lié à l’échange des prisonniers est considéré comme une personne liant le pouvoir ukrainien et le régime de Moscou. Malgré tout, cette liaison existe et Medvetchouk y joue un rôle important. Est-ce que vous le connaissez bien? 

Tout au début j’ai dit à mon équipe et à moi-même :  peu importe qui nous aidera à sortir nos citoyens de captivité, on utilisera leurs service». Mais je déteste quand les gens se font de la publicité sur ce genre des choses.

À un certain moment, l’échange a été bloqué suite à différentes raisons, dont on peut beaucoup discuter. Donc, nous avons décidé d’introduire Medvetchouk dans notre groupe de négociations. Il nous a vraiment aidé à réaliser un échange très important juste avant le Réveillon 2015 : nous avons échangé 220 séparatistes contre 150 Ukrainiens.

Dans ce qu’une personne fait, il faut savoir distinguer le négatif et le positif. Si dans certaines situations, il nous aide à faire sortir nos soldats de captivité, c’est quelque chose de positif. Le rôle de Medvetchouk n’est pas à cacher, il est en contact avec l’autre partie. Mais si nous apprenons que lui ou son organisation mènent des activités nuisibles à l’Ukraine, nous enregistrons ces activités et nous lui donnerons une évaluation juridique.

 Il paraît que vous êtes une des rares personnes bénéficiant d’une confiance absolue du président. Où et comment avez vous fait connaissance avec Porochenko?

Nous nous sommes connus en 2006, quand je dirigeais la section de Kiev du Service de sécurité.  À cette époque, Petro Porochenko était le Secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense.

Lors de la Révolution de Dignité, j’avais plusieurs entretiens avec lui et Yuriy Loutsenko. Lors de la campagne présidentielle de Porochenko, j’étais son consultant en sécurité.

J’avais déjà l’expérience de la Révolution Orange de 2004 quand j’étais parmi ceux qui ont empêché de faire couler le sang. Une semaine avant les fusillades sur Maїdan en 2014, j’ai pris le poste d’officier sur des missions spéciales. La situation sur le Maidan a rappelé le corps à corps. J’ai donné leurs propositions sur la manière d’établir un dialogue et d’éviter le sang. Je vous assure que je n’avais rien avoir l’opération «Boomerang» (le plan d’offensive sur le Maїdan), ni avec rien d’autre. Toutes mes propositions visaient à sortir de la crise. Mais le bon sens, malheureusement, n’a pas gagné.

Quand vous dirigiez le Centre anti-terroriste avez-vous eu à prendre des décisions se soldant sur la mort de vos subordonnés?

Nous étions à la guerre… Bien entendu, nous avons réalisé beaucoup d’opérations. Heureusement, durant mon travail au Centre, il n’y a pas eu de morts, que des blessés. Nous n’avons jamais envoyé des personnes en mission sans renseignements.

Nous avons créé un état-major commun pour une gestion centralisée du Service de sécurité dans la zone de l’opération anti-terroriste qui contrôle le travail de 800 personnes dans la zone du conflit. Ces personnes font tout pour mettre en œuvre le pouvoir ukrainien sur les territoires libérés.

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 Comment avez-vous démarré votre travail en tant que chef du Service de sécurité? 
Je venais de revenir de guerre. Ceux qui ont vu la guerre se distinguent beaucoup de ceux qui ne l’ont pas vue. Car tu vois une personne vivante mourir sous tes yeux. Je n’oublierai jamais le moment où j’ai vu la vie pour la première fois. Pour la première fois, j’ai dû ramasser des morceaux des corps pour les mettre dans un sac noir. Dans des situations comme ça, il n’y a ni généraux, ni colonels. Les obus qui éclatent ne distinguent pas de grades. Nous avons vomi lorsque nous ramassions des morceaux des corps.  C’est inoubliable. Je ne voulais pas revenir à Kiev, mais je suis un soldat. Je me le suis dit et ensuite, j’ai dis cela à mon équipe : «Les règles sont simples. Soit nous défendons notre pays, soit nous le perdons pour de bon».

La guerre hybride russe se propage loin en dehors de la zone du conflit. Elle continue à Kiev, à Odessa
à Kharkiv. Nous avons réussi à arrêter la désintégration du pays à sur des enclaves de bandits russes à l’image des soi-disant Républiques populaires de Donetsk et Lougansk.  Nous avons arrêté les scénarios de création des «Républiques populaires » de Kharkiv, Kherson, Mykolaev etc. La situation à Odessa était tout simplement catastrophique, nous étions à deux doigts de l’ouverture d’un deuxième front, quand les Russes s’apprêtaient à entrer de Transnistrie dans la région d’Odessa. Personne n’en parle.

Estce que vous soutenez la lustration au sein du Service de sécurité?

Oui, je la soutiens. Mais je suis contre la lustration formelle, quand on licencie des personnes n’ayant pas fait de mal. À titre d’exemple, on a licencié pour des raisons de lustration un adjoint d’un chef d’une institution à Ternopil. Il n’a jamais vu Ianoukovitch de sa vie, il n’a rien fait d’illégal, mais il était licencié parce qu’il en fallait. Parallèlement, il y a certaines personnes qui n’ont jamais été au pouvoir, mais faisaient du ravage : brisaient des destins, brûlaient les voitures des activistes. Mais la lustration ne les touche pas.

Malheureusement, la lustration a touché des fonctionnaires corrects. Ils viennent me voir pour me dire : « Trouvez au moins une personne du Maїdan pour témoigner contre moi, pour dire qu’ai-je fait contre la Révolution de Dignité.

Cependant, si le processus de la lustration est bloqué, ce sera plutôt positif ou négatif?

Je souligne : Il faut lustrer ceux qui ont commis des crimes contre l’Ukraine et contre le peuple ukrainien. Ils doivent être punis pour leurs crimes : licenciés ou condamnés à de peines de prison. Je comprends que ceci est un travail difficile. Pourtant, il y a des décisions de lustration que je voudrais bien réviser.

Presque tous les jours, le Service de sécurité arrête des officiers russes ou d’autres agents d’influence. Cependant, leurs noms ne sont pas diffusés. Combien de Russes restent à la disposition du service de sécurité, et ce qui les attend – un échange?

Tant que cette guerre non-déclarée avec la Russie continue, cette liste sera prolongée. Nous continuons la capture des soldats, des officiers russes. En tout, le Service de sécurité a arrêté une centaine de citoyens de la Fédération de Russie, impliqués dans les événements dans la zone de l’opération anti-terroriste.

Je voudrais aussi évoquer un autre problème. L’année dernière, le SBU a arrêté sur le territoire ukrainien 25 membres de l’État Islamique, organisation terroriste, dont 19 sont venus en Ukraine du territoire russe. Certains d’entre-eux sont originaires du Tadjikistan, certains sont d’autres pays, mais ils ont tous pénétrés en Ukraine à partir de la Russie. Et je n’ai jamais entendu parler du grand succès de la Russie dans la lutte contre l’intégrisme islamique et le terrorisme international. La  Russie est une zone libre pour les terroristes.

Récemment, nous avons arrêté un citoyen turc, lié à l’ Al-Qaïda. Il était recherché par Interpol. Il a été arrêté quand il essayait de se faire délivrer un passeport étranger pour quitter l’Ukraine. Une fois toutes les procédures juridiques sont finies, nous l’extradions en Turquie.


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