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Entre frivolité et platitude: 5 manipulations dans le film «Un été brûlant à Odessa», Enquête exclusive

Après «Les masques de la Révolution» de Paul Moreira, un autre documentaire français, centré sur Odessa, vient de paraître sur les écrans. Il est présenté par Bernard de la Villardière sur la chaîne M6.

Au centre du narratif, sans surprise, Odessa et la tragédie du 2 mai 2014 où une cinquantaine d’activistes prorusses ont perdu la vie.

L’UCMC a pris la peine de regarder le document. Les auteurs du film arrivent à couvrir quelques sujets importants concernant la vie de la ville: les boîtes de nuit, la présence en ville des unités de forces en parallèle avec les forces de l’ordre officielles (appelées par les auteurs «milices nationalistes»), la nouvelle police etc.

Malheureusement, les auteurs du film n’ont pas su éviter plusieurs erreurs importantes, ainsi que quelques déformations et manipulations, qui nuisent à la qualité de cette vidéo. L’UCMC a fait un bilan sur les 5 erreurs les plus importantes du film.

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La vidéo commence par une séquence dans une boîte de nuit à Odessa, au centre de l’attention se trouvent de séduisantes gogo-danseuses et le patron de la boîte qui se vante de son succès. Une voix off souligne constamment l’atmosphère de vacances, de distraction qui prévaut dans ce Saint-Tropez ukrainien, et la présence de la guerre à l’est de l’Ukraine où presque tous les jours des gens meurent.

Un argument fort contestable: le conflit en Ukraine ne couvre que 3% du territoire et il n’influence directement qu’une partie de la population.

Les bénévoles ukrainiens, comme ceux qui vivent dans d’autres villes, aident les déplacés et les militaires. C’est la ville d’Odessa qui a accueilli les déplacés les plus compliqués à gérer : les handicapés. Les réformateurs d’Odessa avec Saakachvili, gouverneur de la région, en tête défient le système corrompu. Car c’est bien la corruption qui est le deuxième front en Ukraine.

La vie culturelle d’Odessa ne se limite pas aux boîtes de nuit. En ce moment même, comme chaque année, un festival prestigieux de films documentaires ouvre ses portes. Ce festival de cinéma est l’un des plus grands en Europe de l’est. Cette année, c’est le film «In California»de Charles Redon, réalisateur français, qui a remporté le premier prix dans la catégorie «le meilleur documentaire européen».

Eh oui, à Odessa on sait faire la fête, mais ni plus ni moins que dans n’importe quelle capitale ou station balnéaire d’Europe. Que ce soit à St-Tropez, à Barcelone, à Berlin, à Vienne, à Paris ou même à Nice après les attentats sanglants.

1) Manipulations géopolitiques : guerre civile, Сrimée russe

La faiblesse la plus criante de cette vidéo est l’ignorance par l’auteur des réalités géopolitiques dans lesquelles se trouve l’Ukraine. Le sujet de la vidéo est délibérément coquin, centré sur les filles et relève de la catégorie «people», donc il n’oblige pas l’auteur à aborder des sujets sérieux. C’est la raison pour laquelle il commet des erreurs chaque fois qu’il essaie d’être sérieux. C’est la raison pour laquelle le conflit, d’abord appelé « conflit entre l’Ukraine et la Russie» (4.41) devient «une guerre civile entre les pro-ukrainiens et les pro-russes qui a fait plus de 10000 morts selon les Nations Unies», (5.20) comme si l’auteur ne savait pas de quoi exactement il parlait.

La voix off qualifie Odessa de « poudrière menacée par un conflit entre pro-ukrainiens et pro-russes», mais plus tard elle affirme que «rien ne montre la présence de ce conflit». L’auteur n’est pas étonné que les «milices nationalistes» parlent russe et non pas ukrainien.

Au début de la vidéo, la carte de l’Europe de l’est nous est présentée. Sur cette carte, la Crimée est en rouge, la même couleur que la Russie, tandis que le territoire continental de l’Ukraine est en jaune (5.15).

Il ne faut pas oublier que la Crimée a été illégalement annexée par la Russie en mars 2014. Aucun pays européen, y compris la France, n’a reconnu le référendum du 16 mars 2014 et l’adhésion de la Crimée à la Russie. Le gouvernement français soutient les sanctions à l’égard de la Russie en raison de cette annexion.

La présentation de la carte de l’Europe avec la Crimée faisant partie de la Russie est en contradiction avec la politique extérieure française.

2) Erreur géographique: «un petit pays de 45 millions d’habitants» (5.16)

L’Ukraine est décrite comme «un petit pays de 45 millions d’habitants, сoincé entre l’Europe et la Russie» (5.16).Cette remarque est ridicule, étant donné que la superficie de l’Ukraine (603 549 km) est comparable à celle de la France (643,801 km), qui est le plus grand pays d’Europe.

3) 2 mai 2014: «300 pro-russes font face à 2000 pro-ukrainiens»

Le narrateur revient sur les événements tragiques du 2 mai 2014. À chaque minute du récit de cette tragédie datant de 2 ans, il y a des erreurs, des manipulations et des déformations. Les photos qui illustrent ces événements proviennent d’archives d’amateurs, elles sont fragmentées et mal montées. L’esprit général du récit correspond parfaitement à la propagande russe: les activistes pro-ukrainiens «tous armés de battes de baseball, de pavés et de cocktails Molotov» attaquent des pro-russes que la police essaie en vain de défendre. «La police est débordée, impossible de protéger les militants pro-russes» (8.26).

Un peu plus tard, le spectateur apprend que «dans la Maison des syndicats se trouvaient des activistes pro-russes, ainsi que de simples citoyens avec leur famille» (10.32) et que les activistes pro-ukrainiens ont pris le bâtiment d’assaut. Ensuite, ils auraient mis le feu à l’intérieur de la Maison des syndicats, brûlant délibérément des activistes pro-russes. Ces faits ne correspondent pas à la réalité.

À la recherche du sensationnel et du dramatique, les auteurs de la vidéo ne se sont pas donné la peine d’essayer de comprendre ce qui s’était vraiment passé le 2 mai 2014. Et cela malgré le fait que le déroulement de ces événements reproduit pratiquement minute après minute est disponible en anglais et accessible à tout le monde. Ce document a été réalisé par le «Groupe du 2 mai», composé d’experts indépendants et de représentants de la société civile.

4) «La police américaine»

La nouvelle police de patrouille à Odessa est l’un des sujets principaux du film. Bien entendu, les auteurs du film s’attachent surtout à montrer de jolies filles-policières (un tiers des policiers en Ukraine sont des femmes). La présence de femmes dans la police est certes très importante, mais ce n’est pas le seul avantage de la nouvelle police.

Un autre détail qui saute aux yeux est l’accent mis sur le «côté américain» de cette nouvelle police, car, selon les auteurs, «Les unités de la nouvelle police sont entièrement payées par le gouvernement américain. Les instructeurs viennent directement de Los Angeles». (41.38)

Il est vrai que la tenue des nouveaux policiers ressemble beaucoup à celle de la police américaine. Mais elle aurait pu tout aussi bien ressembler à celle de la police française ou britannique, le plus important, c’est que la création de cette nouvelle police en Ukraine a changé l’opinion des citoyens sur les forces de l’ordre. Il n’y avait que 8% des Ukrainiens qui faisaient confiance à l’ancienne police. Tandis que, dans les premiers mois de sa prise de fonction, 80% des habitants de Kiev étaient très satisfaits du travail de la nouvelle police. Actuellement, la nouvelle police fonctionne dans 26 villes et bénéficie du soutien de 44% de la population.

Pour comparer, la police française bénéficie du même niveau du soutien.

5) Banalité des clichés : les femmes ukrainiennes 

Un sexisme outrancié et presque ridicule règne dans le film. Les femmes ukrainiennes sont représentées surtout par les gogo-danseuses et les clientes des agences matrimoniales, dont le seul objectif est de bien se marier.

La banalité de ces images ne fait que choquer. L’auteur de ce reportage ignore complètement le fait que les problèmes concernant l’égalité des sexes sont toujours importants dans la société ukrainienne et se sont considérablement intensifiés après le Maїdan.

Actuellement, parmi les députés au parlement ukrainien, il y a 12% de femmes. Dans les ministères, 11% des fonctionnaires sont des femmes. À partir de juin 2016, les femmes ont obtenu le droit de faire partie des unités de combats dans l’armée ukrainienne (et pas seulement dans les bataillons volontaires, comme les auteurs du reportage l’affirment), les femmes servent aussi dans la police et font du bénévolat.

Ce sont les femmes ukrainiennes qui ont lancé le flash mob «JeN’aiPasPeurdeDire» dédié à la violence conjugale. Ce flash mob a aidé à libérer la parole des femmes en Ukraine, mais aussi dans d’autres pays.

Rappelons à titre de comparaison que, dans le rapport Global Gender Index Gap en France, selon une échelle de 0 à 1, où 0 est l’indice de l’inégalité et 1 est l’indice de l’égalité, le taux de la France est 0,761 point, tandis que le taux de l’Ukraine est juste un tout petit peu plus bas avec 0,702. L’Ukraine et la France ont des problèmes dus à la faible représentation des femmes dans la politique et l’inégalité dans la rémunération des femmes et des hommes de même niveau professionnel.

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Toutes ces erreurs et manipulations nuisent gravement à ce reportage et dévalorisent les quelques épisodes évoquant des situations compliquées et des moments difficiles dans l’histoire du pays.

L’Ukraine est un pays très intéressant, avec beaucoup de diversité, un côté parfois comique, parfois tragique. Ce pays, qui traverse une période particulièrement difficile, mérite une couverture médiatique réaliste et objective, y compris dans les documentaires. Des documentaires qui ne doivent pas être otages de clichés rebattus, de généralisations vulgaires et de faits non vérifiés.


À lire aussi: 

Il est très important de connaître toute la vérité sur les événements du 2 mai à Odessa – interview avec Zoia Kazanjy, journaliste et écrivaine ukrainienne originaire d’Odessa, une des leaders du Maїdan d’Odessa. Elle a créé une Commission, le «Groupe du 2 mai», et elle a participé activement à l’enquête sur la tragédie.

2 ans après la tragédie d’Odessa : seule une enquête objective sur la tragédie pourrait mettre fin à la tension sociale existant dans la ville – Tetyana Gerasimova, journaliste, membre du «Groupe du 2 mai».

Le documentaire de Canal+ sur l’Ukraine: 7 faits – résumé de l’article de Hromadske sur «Ukraine : les masques de la révolution», le documentaire de Paul Moreira, réalisateur français a été diffusé sur la chaîne Canal+ lundi 1 février.

«Le plus important à la guerre n’est pas le soldat, mais l’être humain» –  interview des réalisatrices du documentaire «Alisa in Warland».

Ukraine : A Odessa, défenseurs de la révolution et groupes anti-Maïdan s’affrontent à coup de symboles – article de de Fabrice Deprez, journaliste français

Le classement des 10 meilleures réalisations de l’Ukraine en 2015 – le pays qui change petit à petit.

Une élégance innée…- essai sur les femmes ukrainiennes