Pourquoi aimer l’Ukraine?

Mais pourquoi aides-tu l’Ukraine ? Pourquoi pas les associations de ta ville, les SDF de ta rue, ou les habitants d’un autre pays que l’Ukraine ?

Que répondre à ça ? Que je ne me sens pas intéressée par le sort des gens en grande précarité ici, autour de moi ? Que les enfants et les citoyens d’un autre pays me concernent moins ? Que je n’ai aucun attrait pour souhaiter aider un autre pays que l’Ukraine ? Ce serait faux, entièrement faux.  Quand une personne a un cœur, elle se sent concernée par toute cause humanitaire. Donc loin de moi de penser que les autres pays, les autres citoyens, les autres causes à soutenir, ont moins d’importance que l’Ukraine.

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Et pourtant… Pourquoi l’Ukraine alors ? Pourquoi ce pays plus qu’un autre ? Parce que ma fille est d’origine ukrainienne ? Parce que la moitié de ma famille est ukrainienne ? Parce que dans notre famille, on a toujours aimé ce pays ? Même avant son Indépendance en 1991, quand on ne pouvait pas s’y rendre, car faisant partie de l’ancienne Union Soviétique ? Parce que l’histoire de notre famille et l’amour pour ce pays a plus de 50 ans ?

Comment expliquer qu’avant même d’y aller pour la première fois il y a 20 ans, j’aimais déjà ce pays? Comment expliquer que, petite, je lisais un livre pour enfant, “Maroussia”, l’histoire dune petite fille “russe”, et que deux phrases de ce livre ont touché mon cœur d’enfant : ” Voilà, dit Maroussia, de l’autre côté de ce pont sur le Dniepr, il y a mon Ukraine, mon pays, ma vie “… Pourtant, ce pays-région faisant alors partie de l’Union Soviétique… Mais l’histoire de cette petite fille retrouvant “son” pays au cœur d’un autre pays m’a troublée.

Comment exprimer que j’ai toujours fait la différence entre russes et ukrainiens, même quand ceux-ci étaient “officiellement” russes ? Comment expliquer aux gens d’ici, que l’Ukraine est une terre d’amour, une terre inoubliable, une terre qui fait partie de moi, alors que je n’ai aucune goutte de sang ukrainien ? Ils ne comprennent pas. Cependant, je continuais malgré tout d’aimer ce pays, qui n’est pas le mien, mais pour qui je ressens tout : espoir, violence, amour, patriotisme, sérénité, tristesse aussi, rage, et tout ce lot d’émotions qu’on peut éprouver d’un amour inconditionnel, passionné, infini.

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Je ne suis pas la seule, bien entendu, et toutes les personnes attirées par un pays, une contrée, une cause, peuvent comprendre ce que je ressens. Que ce soit pour le Burkina Faso, le Bénin, Haïti, la Thaïlande, le Brésil : quand on est aime un pays, peu importe ce que les autres peuvent penser de vous, vous dire, ou essayer de faire pour vous en empêcher, pour vous dire qu’on est loin du “droit chemin” : vous avez CE pays dans votre esprit, dans votre cœur, et votre âme, vous l’avez “dans la peau”…

Une trilogie cinématographique m’a toujours fait penser à cet amour pour l’Ukraine, sans qu’il y ait quoi que ce soit comme rapport d’ailleurs : une trilogie avec Matt Damon : ” La Mémoire dans la peau”  ” La Mort dans la peau ” ” la Vengeance dans la peau”, et enfin, un dernier film sorti, un peu en dehors de la trilogie, mais y donnant un sens encore plus fort : “l”Héritage” …

“Mémoire dans la peau” de ma famille, notamment côté maternel: c’est ma mère qui m’a transmis son amour pour l’Ukraine, elle-même le tenant d’ailleurs, d’un amour inné ou familial, peut-être un côté “rebelle” aussi… Depuis mon plus jeune âge, j’entends parler de l’Ukraine, des ukrainiens… Comment ne pas d’abord m’y intéresser ? Puis les découvrir ? Et enfin les aimer ?

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“Mort dans la peau” pour tous ces millions d’ukrainiens assassinés par Staline, l’Holodomor, 1933 : génocide par la faim… 6 millions d’ukrainiens disparus, morts de faim… Génocide que personne n’a encore officiellement reconnu… Six millions de morts, autant que le nombre de juifs tués par les nazis… Babi Yar aussi, premier charnier d’ukrainiens tués par balles dans les fossés, par les nazis… Babi Yar, c’est en Ukraine. Mort pour les “Maïdaners”, La Révolution de la Dignité, 2013-2014, Place Maïdan ( Place de l’Indépendance) morts tués parce que leur président, pro-russe corrompu et avide de pouvoir, a donné l’ordre de tirer à balles réelles sur son peuple… Son peuple, qui était pacifiste, mais dépité, déçu que leur président refuse au dernier moment un rapprochement prévu avec l’Europe… Mort pour les soldats de l’ATO: Opération Anti-Terroriste: “drôle” de nom, très diplomatiquement trouvé, pour qualifier la guerre dans l’est de l’Ukraine, guerre qu’un dictateur voisin continue en toute impunité sous les yeux aveugles de l’Occident… Plus de dix mille morts, un million de déplacés… Personne n’en parle plus, et mon cœur pleure de voir cette indifférence générale au profit d’histoires débiles de maillots de bains autorisés ou non,  ou de petits fours dégustés dans des “pique-niques party” politiques.

“La Vengeance dans la peau”, je ne sais pas ce que c’est, je n’ai ni rancune, ni regret, ne ressens aucune once de méchanceté… Ma vengeance, à moi, vengeance personnelle, vengeance du cœur : celle de continuer à les aimer envers et contre tous, envers et contre tout, le pays que j’ai choisi, le pays qui m’a apporté tout ce qu’une personne peut rechercher pour être heureuse. Ma vengeance, c’est d’aimer ce pays, d’y trouver mon bol d’oxygène, d’y retrouver confiance en moi, d’y retrouver une liberté perdue psychologiquement ici, en France, ou en Belgique. Je ne me sens plus belge, depuis que j’ai quitté mon pays natal il y a plus de 25 ans… Française, je le suis par nationalité, naturalisée, et je suis francophone… Mais je n’ai pas de sang français,  je ne me suis jamais sentie totalement française, alors que je vis ici. Je n’ai pas le même ressenti, la même passion, le même amour, ici, pour la France, ou pour mon pays natal, la Belgique, que j’ai envers l’Ukraine… Et pourtant j’aime mes amis belges et ma famille belge, ils sont adorables, ils comprennent mes réactions, mes émotions, ils sont proches de ce que je ressens, eux-mêmes ressentant de tels sentiments pour d’autres pays. J’aime la Belgique, et j’aime la France, mais l’Ukraine est un amour unique… C’est aussi pour elle que je suis devenue orthodoxe depuis peu, moi qui ne priais pas avant la guerre dans le Donbass…

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C’est en Ukraine que j’ai retrouvé le goût de la vie, il y a 20 ans… C’est elle qui m’a redonné le sourire, pour qui je me suis rendue sur place, j’ai appris le russe en quelques semaines, seule, chez moi, pour partir…. L’Ukraine m’a tendu les bras, ouvert son cœur, montré ses trésors d’âme, de paysages, de beauté, de religion aussi… D’une découverte hebdomadaire, ma vie a basculé : il fallait que je retourne là-bas, que je “revive” à nouveau…

Pourquoi expliquer tout cela de façon assez personnelle ? Pourquoi vouloir raconter une partie de ma vie, et surtout mes émotions envers ce pays ?

Parce que je voudrais remercier les Ukrainiens de tout ce qu’ils m’ont apporté depuis des années, et tout ce qu’ils ont pu aussi m’apporter comme leçons de vie, que ces leçons soient belles, ou tristes. Parce que mon meilleur ami, mon “frère de cœur”, disparu aujourd’hui, fut pendant 14 ans un double d’âme;  il était ukrainien, et sans lui, peut être n’aurais-je pas prolongé cet amour pour ce pays, depuis la France. Parce que dans mon entourage, la plupart de mes connaissances sont à présent d’origine ukrainienne, ou en Ukraine, et tout ce qui fait partie de ma vie au quotidien a rapport avec l’Ukraine.

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Mais aussi…

Je voudrais par ce texte expliquer et exprimer, à certains détracteurs de cet amour que je ressens envers ce pays, envers ce peuple, qu’ils peuvent continuer à discréditer mon aide envers l’Ukraine, que des français qui soi-disant aiment l’Ukraine, arrêtent de vouloir détruire cet amour, car plus ils essaieront, plus cet amour se renforcera : cela prouve que j’ai raison d’aimer ce pays plus que d’autres, et d’aimer plus les ukrainiens que ces gens-là. Je voudrais par ces mots expliquer que sans cet amour pour l’Ukraine, sans cet amour envers ce peuple, malgré leur foutu caractère de ” tête de bois” comme on dit, je ne serais pas celle que je suis maintenant, je n’aurais pas cet espoir en moi et cette volonté farouche de tout faire pour sauver ce pays qui m’a sauvé, et me sauve encore maintenant.

Je ne demande pas qu’on comprenne cet amour absolu, je veux simplement expliquer, pourquoi j’aime l’Ukraine, et demande une seule chose : laissez-moi l’aimer. Ne détruisez pas mon espoir, ne détruisez pas cet amour, même si celui-ci peut à terme s’avérer destructeur, au moins aurais-je aimé.

Pour toi, Ukraine, comme dirait Lara Fabian : ” Comme un fou, comme un soldat, comme un homme que je ne suis pas, tu vois, je t’aime comme ça”…

Ingrid Grisard

photo:www.meteoprog.ua